Deux ans après sa mise en place, la pénalisation des clients jugée "préjudiciable" par les prostituées

Manifestation contre la pénalisation des clients des prostituées, le 8 avril 2017 à Paris - Zakaria ABDELKAFI, AFP/Archives
Revenus en baisse, violences en hausse: les travailleuses du sexe jugent "préjudiciable" la loi qui pénalise leurs clients, deux ans après sa mise en application, révèle une enquête auprès de plus 600 prostituées publiée par des associations et des ONG ce jeudi.
La peur du gendarme
La mesure la plus saillante de la loi entrée en vigueur le 13 avril 2016 concerne les clients de prostituées sur la voie publique qui risquent une amende de 1.500 euros, voire 3.750 euros en cas de récidive. Et c'est bien de ce pan de la législation dont les travailleuses du sexe interrogées se plaignent.
La peur du gendarme éloigne les clients, leur nombre diminue, ce qui provoque une baisse de leurs revenus, pointe l'enquête coordonnée par Médecins du Monde et publiée notamment par l'association Aides, le Planning familial et le Syndicat du travail sexuel (Strass).
Entre avril 2016 et mars 2018, 2.354 clients ont été verbalisés par les forces de l'ordre dans toute la France, selon des chiffres transmis à l'AFP.
Baisse des revenus pour 78 % d'entre elles
En outre, la loi a provoqué une pression à la baisse sur les prix: plus rare, le client "impose plus souvent ses conditions", car c'est lui "qui prend des risques". L'enquête relève d'ailleurs que 78,2% des travailleuses du sexe interrogées ont constaté une baisse de leurs revenus.
La raréfaction de la clientèle pousse aussi les prostituées à accepter des clients qu'elles "n'auraient pas acceptés autrefois, quitte (...) à risquer une plus forte exposition aux violences" et à des pratiques sexuelles à risques. Ainsi, le port du préservatif "redevient un enjeu de négociations avec le client".

Détérioration des conditions de travail
Au total, 62,9% des personnes interrogées pour l'enquête "constatent une détérioration de leurs conditions de vie depuis avril 2016", qui se manifestent notamment par un stress plus élevé, de la fatigue, voire un état dépressif.
L'abrogation du délit de racolage constitue un autre pan de la loi, mais, note l'enquête, au niveau local "des villes continuent d'appliquer des arrêtés visant à empêcher le travail du sexe dans certains quartiers".
Les relations avec les forces de l'ordre s'en ressentent: la police est décrite agissant soit pour "une gêne dans le travail" soit en pratiquant une forme d'intimidation" visant à ce que les travailleuses du sexe "dénoncent" leurs clients.
Validation "très lente" des parcours de sortie
La loi d'avril 2016 met enfin en place des "parcours de sortie de la prostitution" qui prévoient, entre autres, une aide à l'insertion professionnelle, une aide financière de 330 euros mensuels, et une autorisation provisoire de séjour minimale de six mois.
Mais les travailleuses du sexe interrogées se plaignent de ce que l'abandon de leur activité soit retenue comme l'une des conditions impératives à l'attribution d'un "parcours de sortie". Le volet financier de l'aide leur paraît "très irréaliste" et la mise en place des commissions qui doivent valider les demandes de " "parcours de sortie" est très lente depuis avril 2016".
Au total, 583 prostituées et prostitués ont répondu à cette "enquête qualitative", tandis que 70 autres ont participé à des "entretiens longs".