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Cyberharcèlement, détresse psychologique… que font les programmes de télé-réalité pour accompagner les candidats?

Que font les télé-réalités pour accompagner psychologiquement les candidats face au cyberharcèlement?

Que font les télé-réalités pour accompagner psychologiquement les candidats face au cyberharcèlement? - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

Marianne, candidate de Secret Story accusée de racisme, a évoqué jeudi l'état de détresse psychologique dans lequel elle se trouve après avoir été visée par une vague de cyberharcèlement. Face à ce problème désormais récurrent, les productions mettent en place certains dispositifs, qui restent insuffisants.

"Je pense que je vais avoir besoin d'une hospitalisation". Le youtubeur Jeremstar a publié ce jeudi 10 juillet une interview de 50 minutes de Marianne, candidate de cette saison de Secret Story, la montrant dans un profond état de détresse psychologique.

Éliminée par le public du programme de télé-réalité la semaine dernière, la jeune femme fait depuis face à une violente vague de cyberharcèlement. Insultes, propos grossophobes, menaces... Marianne a livré quelques exemples de messages reçus ces derniers jours: "Le karma n'épargne personne, grosse truie. Difficile de se cacher quand on pèse 150 kilos", "Je vais te retrouver, toi et toute ta famille, on va te harceler comme jamais, te traquer". Des messages qui l'ont "détruite", selon ses mots.

Son comportement dans l'émission a choqué de nombreux téléspectateurs, qui l'ont accusée de harceler deux autres candidates, sur fond de racisme. La production a même dû faire un avertissement aux participants à l'émission, appelant à plus de "bienveillance". Ce rappel a aussi été diffusé publiquement, fait très rare en télé-réalité.

La candidate dénonce une aide insuffisante

Marianne a découvert ces critiques en sortant de l'émission, qu'elle blâme en partie pour son état actuel. Dans l'interview de Jeremstar, elle partage une note vocale qu'elle a envoyée à un responsable d'Endemol, la société qui produit Secret Story.

"Vous m'avez détruit ma vie. Vous m'avez tout détruit. Vous avez laissé faire tout ce que je vois sur moi, sur les réseaux sociaux, toutes les images qu'on a montrées de moi. C'est normal que les gens pensent ça de moi. Je comprends pas comment j'ai pu vous faire confiance", lui dit-elle, en larmes.

La jeune femme bénéficie d'un suivi avec la psychologue de l'émission, qu'elle voyait déjà sur le tournage. "J'ai une psy avec moi, que je peux appeler 24 heures sur 24, donc ça, il n'y a pas de souci. Après, je trouve qu'ils remettent beaucoup à demain" la recherche de solutions supplémentaires, a-t-elle déploré.

Jean-Louis Blot, le président d'Endemol, qui produit aussi la Star Academy, a rappelé jeudi auprès du Parisien cette aide dont les candidats peuvent bénéficier, face aux "vagues de harcèlement qui déboulent et s’emballent sur les réseaux sociaux. "Les familles sont en souffrance, donc nous avons mis en place un accompagnement psychologique pour elles également", a-t-il précisé.

"Un vrai problème dans les entretiens psychologiques"

Force est toutefois de constater que cette aide n'est pas suffisante dans le cas de Marianne. Pour Jérémy Gisclon, alias Jeremstar, spécialiste de longue date de la télé-réalité, le problème vient des profils qui sont choisis lors des castings de ces émissions, qui incluent généralement des entretiens avec un psychologue.

"Il y a un vrai problème dans les entretiens psychologiques réalisés en amont. Entre Loana, Aurélie Preston, Marianne, Angie de Secret Story… On a plein d'exemples de personnalités qui ont des énormes failles émotionnelles et psychologiques et qui de toute évidence n'ont pas été suffisamment examinées en amont sur leur capacité à résister à la pression des réseaux sociaux et la médiatisation", estime l'ex-blogueur.

Angie, qui a participé à Secret Story saison 3 en 2009, avait notamment témoigné auprès de Jeremstar après avoir fait une tentative de suicide en 2015. "Malheureusement, dans Secret, il ne faut que des sensibles, que des fragiles, que des gens avec des passés douloureux, parce que sinon, qu'est-ce qui fait vendre?", avait-elle déclaré.

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Angélique Gozlan, psychologue clinicienne, juge aussi que "quand un candidat est atteint par les attaques, c'est que ça vient faire écho à des blessures antérieures". "Il faut l'aider à faire la part des choses entre ce qui est de l'ordre du harcèlement actuel et ce qui est issu d'un trauma qui n'a pas été guéri" et à créer une distance entre son personnage de télé-réalité et sa vraie personnalité, préconise-t-elle.

"Après les émissions, il y a un psychologue mais ensuite, les candidats reprennent leur vie. Ils sont un peu relâchés dans la nature et il n'y a plus trop de soutien ou d'encadrement", constate de son côté Jeremstar.

Un cyberharcèlement désormais récurrent

La problématique du cyberharcèlement est désormais quasi-systématique en télé-réalité. Lors de la dernière saison de la Star Academy, c'est par exemple la finaliste Ebony qui a été victime d'une vague de haine raciste et sexiste. Pendant la diffusion de la saison 7 de Mariés au premier regard, Jessica a aussi reçu de très nombreuses insultes, qui ont eu un effet important sur sa vie. "On me disait, (...) 'va crever avec tes chats'", "je vais te vomir dessus", a-t-elle décrit au youtubeur Sam Zirah en avril 2024.

"J'ai perdu une grosse partie de mes cheveux (à cause du) stress, j'ai eu un problème au niveau de mes dents", a-t-elle ajouté.

La psychologue spécialiste du cyberharcèlement Angélique Gozlan confirme que l'effet psychologique du cyberharcèlement peut être très lourd. "Les conséquences peuvent être dévastatrices", affirme-t-elle, et peuvent aller jusqu'à la phobie sociale, la dépression et le suicide.

Depuis plusieurs années, les productions de télé-réalités semblent démunies face à ces déferlements de haine. Mariés au premier regard, Pékin Express, Star Academy, Koh Lanta... Pour toutes ces émissions, ces derniers mois, les productions ont publié des messages appelant les internautes à modérer leurs propos envers les participants.

Auprès du Parisien, Jean-Louis Blot a décrit ce qu'Endemol met en place pour tenter de protéger ses candidats: "nous supprimons les commentaires insultants ou menaçants. Nous prenons la parole à l’antenne ou sur les réseaux sociaux. Nous faisons des signalements à Pharos (le portail de signalement du gouvernement, NDLR), au procureur de la République également".

Il a toutefois reconnu que l'efficacité de ces mesures est limitée, car "ce sont des incendies difficiles à éteindre". "Les réseaux sociaux prennent beaucoup trop de temps à réagir alors que nous sommes dans l’urgence. Nous avons fait de nombreux signalements à Pharos sur la Star Academy et Secret Story. Nous n’avons jamais été contactés en retour", a dénoncé le dirigeant. Contactée, la société de production n'avait pas donné suite à nos sollicitations au moment de la publication de cet article.

La peine encourue pour le harcèlement moral sur Internet est de deux ans de prison et de 30.000 euros d'amende. Une peine qui peut être élevée à 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende si l'auteur savait que la victime était déjà ciblée par d'autres personnes.

Des productions impuissantes

Jeremstar, qui a monté une plateforme sur le cyberharcèlement, est aussi sceptique sur la capacité des productions à réellement lutter contre ce phénomène. "C'est terrible à dire, mais je pense qu'il n'y a pas de solution" face à des messages venant de "milliers de personnes" et pour lesquels les décisions judiciaires sont "assez faibles", estime-t-il. D'autant que le concept de la télé-réalité est de créer des émotions chez le téléspectateur en créant des personnages et notamment des antagonistes.

"Si on choisit des personnes qui n'ont pas de faiblesses, les téléspectateurs ne peuvent pas s'y identifier", tandis que l'identification est un facteur important pour faire de l'audience, note Angélique Gozlan.

Selon la psychologue, l'une des choses les plus importantes à faire face au cyberharcèlement est de constituer "une communauté autour de la victime" pour qu'elle ne reste pas seule, avec par exemple "des propositions de rencontre dans la vie réelle où on fait autre chose que de regarder les insultes". Et "pour que le groupe de soutien puisse faire front face à la communauté du harceleur", ajoute-t-elle.

Pour le cas de Marianne, Jeremstar juge qu'il est "compliqué" pour la production de s'engager en faveur de la candidate qui a eu "des comportements de racisme banalisé", même s'il pointe qu'elle n'est pas la seule. "Si la production commençait à soutenir Marianne publiquement, ça serait cautionner ce que les internautes reprochent. Donc c'est difficile de jauger entre condamner le cyberharcèlement et soutenir Marianne", analyse-t-il.

Le vidéaste suggère en revanche que pour endiguer le cyberharcèlement, "il faut de la prévention et de l'éducation". "Peut-être même à l'antenne. Par exemple avec des ateliers dans la Star Academy qui pourraient sensibiliser des téléspectateurs", propose-t-il. Et de conclure, résigné: "mais je pense qu'il y a une forme d'impuissance de la part de la production qui est réelle".

Un numéro vert dédié au cyberharcèlement
En cas de cyberharcèlement, vous pouvez composer le 3018. Appel gratuit, anonyme et confidentiel, accessible 7 jours sur 7 de 9 h à 23 h – jours fériés inclus.

Sophie Cazaux