Convention citoyenne sur le climat: comment travaillent les 150 Français tirés au sort

Le Premier ministre, Edouard Philippe, au conseil économique, social et environnemental en décembre 2019 (photo d'illustration) - Thomas Samson-AFP
Ils sont 150 et proposeront des mesures afin de lutter contre le changement climatique. Ces citoyennes et citoyens français tirés au sort ont accepté de consacrer trois jours par mois entre octobre 2019 et avril 2020 à débattre et réfléchir aux solutions qui permettront de baisser d'au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 "dans un esprit de justice sociale", comme le précise la convention citoyenne pour le climat.
Lors de la quatrième session de cette convention citoyenne organisée par le conseil économique, social et environnemental (Cese) qui se tient à partir de ce vendredi et jusqu'à dimanche, ces 150 personnes pourront poser des questions à Emmanuel Macron. Une rencontre "à leur demande", selon l'Elysée, alors que le président de la République avait annoncé cette initiative dans la foulée du grand débat national, né de la crise des gilets jaunes.
Composé à 51% de femmes et à 49% d'hommes; de mineurs ou de sexagénaires; de diplômés ou non; d'ouvriers, d'artisans, de retraités, de cadres ou d'inactifs; de CSP+ ou de personnes en situation de grande pauvreté; d'habitants de communes rurales ou de grands pôles urbains; de métropolitains ou d'ultra-marins, cette assemblée se veut représentative de la population française.
"Le soir à l'hôtel, on continue de discuter"
Grégory Oliveira Dos Santos est l'un d'eux. Cet électricien âgé de 36 ans actuellement en formation professionnelle s'est, depuis le début de la convention, "jeté corps et âme" dans la lutte contre le changement climatique, assure-t-il à BFMTV.com. Cet adepte de la collapsologie - ce courant qui étudie l'effondrement de la civilisation - est même devenu végétarien et s'est racheté un vélo. "Au début, pour certains, ça a été un choc. Ils ne se rendaient pas compte de l'urgence climatique. Il y en a qui ont pleuré, d'autres envisagent de quitter leur entreprise en raison de son impact sur l'environnement. Je sais aussi qu'un climatosceptique a totalement changé de point de vue."
Lors des premières sessions, les 150 ont échangé avec de nombreux experts - chercheurs, personnels associatifs ou entrepreneurs - dans différents domaines, aussi bien sur les pratiques agricoles, les questions énergétiques ou les enjeux alimentaires lors de conférences et tables rondes. Répartis en groupes - "se déplacer", "se loger", "se nourrir", "produire et travailler" ainsi que "consommer" - ces citoyens ont encore trois séances pour finaliser leurs propositions. Grégory Oliveira Dos Santos, membre de la commission "se nourrir", a fait de l'éthique alimentaire sa priorité et souhaite qu'une mesure allant dans ce sens figure dans le document final.
"J'ai été très marqué par les explications des experts sur l'augmentation de l'obésité et du diabète. Il me paraît évident que notre alimentation manque de transparence et a un impact défavorable sur le climat. Il me semble qu'il y a quelque chose à faire pour changer la donne."
Les débats entre les participants se poursuivent même au-delà des murs du Cese. "Le soir à l'hôtel, on continue de discuter, poursuit Grégory Oliveira Dos Santos. On a fait venir un spécialiste que nous n'avions pas eu le temps de rencontrer durant la journée. Le dimanche soir (les sessions se déroulent du vendredi au dimanche, NDLR), les anciens sont rincés."
Et entre les sessions, les 150 continuent de débattre, notamment sur les réseaux sociaux. "On a créé des groupes sur Whatsapp et Facebook sur lesquels on s'envoie des idées, des articles, des conseils de lecture. Il y a une réelle émulation. C'est impressionnant comme tout le monde s'est pris au jeu", assure cet habitant de Rennes qui tente à présent au quotidien de sensibiliser ses proches à l'urgence climatique.
"Comme la petite équipe qui bat le PSG en finale"
C'est également le cas de Sylvain Burquier, un Parisien de 45 ans qui travaille dans le marketing et la communication. Membre du groupe "produire et travailler", il a co-organisé depuis le début des travaux plusieurs Clim'Apéro à la Recyclerie, dans le 18e arrondissement de la capitale, afin de "faire sortir la convention des murs", explique-t-il à BFMTV.com. "Il y a une forte attente de la population sur le sujet. Ces initiatives locales permettent aussi aux gens de nous faire passer des messages afin de les intégrer au projet."
Son combat au sein de la convention: changer la Constitution. "Ce serait un signal fort que d'intégrer à l'article premier le respect de l'environnement et de la cause climatique. Et ce serait un véritable symbole que les Français, avec leur esprit de sans-culottes, s'emparent de la Constitution. On peut se tirer par le haut du changement climatique, encore faut-il accepter de changer de société."
Il évoque quelque 90 propositions en cours de réflexion. Le travail des prochaines semaines consistera à en réduire le nombre et à les préciser. Parmi celles-ci: imposer aux entreprises un bilan carbone avec la mise en place d'un bonus, rendre obligatoire le recyclage de tous les déchets plastiques ou encore augmenter la durée de vie des produits. Sylvain Burquier se dit lui aussi surpris de l'engagement et de l'implication des 150. "Ils sont bien plus crédibles que ce que l'on aurait pensé." Et selon lui, cet exercice inédit de démocratie participative représente "une aventure humaine exceptionnelle d'intelligence collective".
"On mange convention, on dort convention, on se sent comme la petite équipe qui bat le PSG en finale. Là, il s'agit de citoyens d'origines diverses qui se retrouvent avec la volonté de sauver la planète. Cela peut paraître un peu disproportionné mais il y a un véritable esprit de corps qui nous donne tous envie d'aller jusqu'au bout. On a l'impression d'avoir une fenêtre de tir pour changer les choses et que tout est possible."
"Tout ce que nous avons proposé vient de nous"
Selja Lamouri est l'une des cinq mineures de la convention climatique. Cette jeune fille âgée de 16 ans, élève de première dans un lycée de Champigny-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, a cru à une arnaque lorsqu'elle a été tirée au sort. Quand elle a compris qu'il n'en était rien, elle a immédiatement été enthousiaste à l'idée de contribuer à cette initiative.
"C'est une chance de pouvoir être acteur et force de proposition sur ces sujets, confie-t-elle à BFMTV.com. Tout ce que nous avons proposé vient de nous et seulement de nous."
Pour cette lycéenne, participer à la convention est cependant synonyme de sacrifice. "Je manque trois heures de français le vendredi alors que j'ai le bac en fin d'année. Mais jusque-là j'ai réussi à rattraper les cours."
La jeune fille fait elle aussi partie du groupe "se nourrir" qui peaufine actuellement une dizaine de pistes, dont un étiquetage qui indiquerait le bilan carbone du produit sur le même modèle que le Nutriscore. Quant à la visite du chef de l'Etat ce vendredi, Selja Lamouri considère qu'elle "crédibilise" la convention aux yeux du public mais aussi des institutions et de la classe politique. "J'y vois le signe que nos propositions seront entendues, espère-t-elle, et auront un aboutissement concret."