Carreleuse, peintre ou enduiseuse... Les travailleuses du BTP se construisent une place sur TikTok

La présence de Kelly Cruz sur les chantiers continue encore d'en étonner certains. Sur TikTok, cette carreleuse alsacienne de 29 ans partage à ses plus de 460.000 abonnés son quotidien, mais aussi ses conseils et astuces bricolage. Dans ses courtes vidéos, dont certaines dépassent le million de vues, on la voit casser, poser des carreaux de carrelage ou encore essayer ses nouvelles tenues de travail.
Et pourtant, des internautes refusent encore de croire que c'est elle qui réalise les travaux qu'elle expose. "Certains disent que ce n'est pas vrai, que c'est pas moi qui fait les travaux, que je fais juste la belle sur TikTok", raconte la jeune femme, agacée, à BFMTV.com. "D'autres, encore, disent que ce n'est pas possible avec mes longs ongles."
Mais au-delà de ces remarques sexistes, "je reçois beaucoup de commentaires positifs", se réjouit Kelly Cruz. Lundi dernier, le chef de l'État a même commenté l'une de ses vidéos les plus populaires, saluant "un bel exemple pour répondre aux préjugés". "Bravo de partager votre passion!", lui a écrit Emmanuel Macron.
"Quand je dis que je suis carreleuse, on me rit au nez"
La Tiktokeuse est tout de même parfaitement consciente qu'elle sort du lot. Le secteur du BTP reste un milieu ultra-masculin: en 2020, les femmes ne représentaient que 12,3% des effectifs, selon la Fédération française du bâtiment (FFB) - contre 8.7% en 2001. La féminisation du métier est amorcée, mais elle est encore très timide.
"Quand je dis aux garçons que je rencontre que je suis carreleuse, ils croient tous que je leur fais une blague", sourit Kelly Cruz. "Quand je croise quelqu'un dans la rue avec mes habits de tous les jours et que je dis que je suis carreleuse, on me rigole au nez, on ne va pas se mentir".
"Dans leur tête, les gens pensent qu'une fille qui travaille dans le bâtiment, elle est forcémment forte ou moche... Et ben non", plaisante l'Alsacienne qui exhibe fièrement ses faux ongles colorés, comme pour balayer en bloc l'idée reçue selon laquelle les femmes de ce milieu ne seraient pas aussi féminines que les autres.

Un préjugé auquel s'attaquent d'autres travailleuses du BTP, de plus en plus en nombreuses à investir les réseaux sociaux. C'est le cas d'Hilanie Rousseau, peintre en bâtiment depuis 10 ans dans une entreprise basée à Meulan (Yvelines).
"Les gens ne s'attendent jamais à ce que je leur dise que je fais ça comme métier", confie à BFMTV.com la jeune femme de bientôt 28 ans. "À chaque fois ils sont choqués, on me dit que je ne ressemble pas à quelqu'un qui travaille dans le bâtiment".
Sur son compte TikTok @Hilanie_7825, où elle est suivie par 18.300 abonnés, cette peintre en bâtiment partage elle aussi son quotidien sur les chantiers, ses techniques et ses coups de gueule. Même si Hilanie "adore" son métier, elle reconnaît aussi qu'en tant que jeune femme, "c'est dur de se faire une place au début" sur les chantiers. Encore aujourd'hui avec ses 10 ans d'expérience, "sur de gros chantiers, on peut entendre des remarques..."
Des réactions comparables à celles auxquelles elle doit faire face dans la vraie vie. "Il y en a qui refusent de me croire tant qu'ils ne m'ont pas vu à l'action, ils ne me prennent vraiment pas au sérieux", poursuit la jeune femme, qui préfère s'en moquer: "Certains ont encore du mal (...), mais ça n'est pas grave, on s'en fout."
À son compte depuis 10 ans, Kelly Cruz a elle dû faire face aux doutes de son propre père dont elle a suivi le chemin, après avoir arrêté un CAP coiffure qui ne lui plaisait pas. "Sur le coup, il a un peu cherché à me dégoûter du métier, mais je ne lui en veux pas car il en connaissait la dureté. Il savait que c'est très physique, et il a voulu me montrer dès le début le côté un peu dégueulasse".
"Autour de moi, plein de gens me disaient que j'étais complètement folle, que je n'y arriverai jamais, que je ne tiendrai pas trois jours, patati patata. Mais en fait pour moi, ça a été une motivation plus qu'un frein", explique la jeune femme, déterminée.
Pour autant, Kelly Cruz ne cache à aucun moment qu'il s'agit d'"un métier dur". "Mes premiers jours de stage, je m'en souviens encore. J'avais dû décharger seule une palette de colle entière. Le lendemain matin quand j'ai ouvert les yeux, je n'arrivais plus à bouger. Mais j'ai rien dit, je ne me suis pas plaint et je suis retournée au travail".
Une tendance susceptible de créer des vocations?
Toutefois, elle espère motiver d'autres jeunes femmes à emprunter le même chemin qu'elle, "parce qu'on manque d'énormément de monde dans le bâtiment". Et indéniablement, la nouvelle "star des réseaux" suscite déjà des vocations: elle dit recevoir régulièrement en commentaire les questions de jeunes filles intéressées par son parcours professionnel.
"C'est Kelly Cruz qui m'a donné envie de me lancer sur TikTok!", confie par exemple à BFMTV.com Pauline Lang Gilles, peintre et enduiseuse à son compte à Évreux (Normandie) depuis le mois de mai. La jeune femme de 21 ans n'a lancé son compte @Pauline_951 que mercredi. Six jours plus tard, elle comptabilise déjà plus de 10.600 abonnés, et l'une de ses vidéos a été vue à plus de 630.000 reprises.
"Je suis tellement heureuse que les mentalités évoluent", poursuit celle qui s'est découverte une passion pour l'artisanat du bâtiment pendant le confinement du printemps 2020, en travaillant (elle-aussi) avec son père. Kelly Cruz, elle aussi dit "espérer que ça va permettre de sensibiliser les jeunes", mais "pense que beaucoup de femmes vont se réveiller et se dire qu'elles aussi peuvent le faire".