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Société

À Grenoble, la thèse de la bavure policière nourrit les tensions

Un tag "Police tueur" dans le quartier du Mistral à Grenoble, le 5 mars 2019.

Un tag "Police tueur" dans le quartier du Mistral à Grenoble, le 5 mars 2019. - JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Au quartier du Mistral, la version avancée par les autorités sur la mort d'Adam et Fatih ne convainc pas les habitants. Une méfiance également entretenue par de fausses informations diffusées sur les réseaux sociaux.

Après plusieurs jours de tension à Grenoble, un rassemblement est prévu ce mercredi après-midi pour rendre hommage à Adam et Fatih, deux jeunes décédés dans un accident de scooter alors qu’ils étaient poursuivis par une voiture de la brigade anticriminalité (BAC). La marche porte le nom de “vérité et justice pour Adam et Fatih”. Car la vérité, ou tout du moins la version de la Justice, nombreux sont ceux qui la remettent en cause dans le quartier du Mistral.

“La police est responsable de leur mort”

Lors d’une conférence de presse dimanche, le procureur de la République a expliqué les circonstances du drame: les forces de l’ordre ont tenté d’interpeller deux jeunes qui conduisaient un scooter signalé volé et ne portaient pas de casque. La course-poursuite s’est terminée sur une bretelle d’autoroute où les deux jeunes sont entrés en collision avec un bus.

Dès la fin de l’allocution du magistrat, un proche des victimes s’est adressé à un journaliste de l’AFP en lui lançant “Vous pouvez écrire que la police est responsable de leur mort”. La thèse avancée par le Procureur ne convient pas l’entourage des victimes. Elle ne trouve pas non plus un accueil favorable sur les réseaux sociaux.

“Adam et Fatih, 2 jeunes de 17 et 19 ans ont été tués hier à Grenoble par la police après une course poursuite”, s’indigne sur Twitter une association se présentant comme “féministe” et “antiraciste”.

Se diffuse rapidement l’idée d’une bavure policière, comme le suppose ce site d’une autre association “contre le système de domination à Grenoble et dans son agglo”:

“Le procureur de Grenoble a donné dimanche soir une version des faits: Adam et Fatih se seraient fait percuter par un bus. Mais cette version est fortement remise en cause, la BAC est accusée d’avoir percuté le scooter. Quand on connaît les méthodes de la BAC, on est en droit de douter...”

La présence même d’un bus est remise en question: “Des témoins affirment que ces derniers [les policiers] ont volontairement percuté le scooter des deux jeunes avec leur voiture. (...)”, avance par exemple un jeune sur Instagram.

Capture d'écran Instagram
Capture d'écran Instagram © Capture d'écran Instagram

Des preuves matérielles qui ne suffisent plus

Les premiers éléments de l’enquête s’appuient sur les images d'une caméra de vidéosurveillance et sur le témoignage du chauffeur de l'autocar. Des preuves irréfutables pour certains, insuffisantes pour d’autres. “Ca me laisse perplexe”, nous confie Karim Kadri, président de l’association de quartier CoHaMis: 

“Les motifs de la course-poursuite sont flous. Une seule et même version est avancée. Mais il faut savoir lire entre les lignes”, avance-t-il, avant de déclarer que “la police a obligé les jeunes à prendre la bretelle d’autoroute”.

Une suspicion qui témoigne d’une relation de confiance, déjà bien fragile, entre police et habitants de quartiers sensibles.

"Le chauffeur de bus, on l’a pas inventé quand même”

“Sur les réseaux sociaux, certains colportent des fausses informations. Il n’y aurait pas de bus et la collision aurait eu lieu avec la voiture de police. Ces ragots attisent la haine à notre égard. Mais le chauffeur de bus, on l’a pas inventé quand même”, s’emporte Valérie Mourier, secrétaire départementale du syndicat de police Alliance.

La fonctionnaire s’interroge sur l’idée de rendre publique la vidéo surveillance pour couper court aux fausses rumeurs, “mais je ne suis même pas sûre que ça calmera le quartier”, regrette-t-elle.

Polarisation entre discours officiel et version alternative

De la mort de Zyed et Bounna à Clichy-sur-Bois en 2005 à celle d’Adama Traoré en 2016, la méfiance à l’égard de la parole des autorités n’est certes pas nouvelle. Mais elle s’accentue d’autant plus avec les réseaux sociaux et ce climat anti-système, nous explique Marie Peltier, historienne et spécialiste du complotisme:

“Ces événements ont une forte charge symbolique, mêlant violences policières et violences des jeunes de quartier. Cela favorise une polarisation entre le discours officiel et une version alternative.”

Sans forcément parler de théorie du complot, l’auteur de L’ère du complotisme, la maladie d’une société fracturée parle “d’un imaginaire collectif de défiance, qui touche toutes les franges de la société, où le réflexe est de ne plus croire ce qui est dit.” Cet imaginaire collectif même qui s’illustre depuis trois jours dans ces scènes de violences urbaines au quartier du Mistral.

Esther Paolini