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"14/20, presque en larmes": le contrôle continu au bac, source d'angoisse chez les élèves

Des candidats lors de l'épreuve de philosophie du bac à Paris le 14 juin 2023 (photo d'illustration)

Des candidats lors de l'épreuve de philosophie du bac à Paris le 14 juin 2023 (photo d'illustration) - Bertrand GUAY © 2019 AFP

Depuis la réforme du bac, le contrôle continu représente 40% de la note finale. Et avec le report des épreuves de spécialité, l'orientation dans le supérieur se jouera aussi au contrôle continu.

"C'est stressant", confie à BFMTV.com Manon, 16 ans, en classe de terminale générale dans un lycée près d'Auxerre (Yonne). "Chaque note compte, on a beaucoup plus la pression même pour un contrôle de routine." Pourtant, la jeune fille est plutôt une très bonne élève -15/20 de moyenne générale à ses trois trimestres de première.

"Mais l'ambiance est pesante, on a un peu l'impression qu'on passe le bac tous les jours."

Depuis la réforme du baccalauréat et son entrée en vigueur en 2019 pour les élèves de première, le contrôle continu est intégré dans la note du bac. Il est même pris en compte à hauteur de 40% de la note finale. Ce qui correspond à la moyenne annuelle des bulletins scolaires des classes de première et de terminale dans les disciplines qui ne sont pas évaluées lors d'épreuves terminales.

En clair, il s'agit des deux langues vivantes, l'histoire-géographie, l'enseignement scientifique pour la voie générale et les mathématiques pour la voie technologique, l'éducation physique et sportive ainsi que l'enseignement moral et civique. L'enseignement de spécialité suivi uniquement en première est également pris en compte ainsi que tous les enseignements optionnels.

"Même pour des petites évaluations, comme les TP (travaux pratiques, NDLR) en enseignement scientifique notés sur 5", poursuit Manon, "on se dit que ça peut se jouer à peu de choses".

"Un stress permanent"

Selon une enquête du Snes-FSU -le premier syndicat des enseignants du second degré- menée au printemps dernier, près de neuf enseignants sur dix considèrent que le controle continu représente une source d'angoisse pour leurs élèves. "Les élèves sont en grande souffrance", déplore pour BFMTV.com Pierre Priouret, professeur de mathématiques à Toulouse et responsable du groupe mathématiques au Snes-FSU -les mathématiques s'incrivant dans le tronc commun d'enseignement scientifique.

"C'est générateur de stress dès le mois de septembre, un stress permanent."

"Je le vois en classe", abonde pour BFMTV.com Claire Guéville, professeure d'histoire-géographie à Dieppe et secrétaire nationale du Snes-FSU en charge du lycée. "Dès la première note de l'année scolaire, les élèves lèvent la main et disent qu'elle va faire baisser leur moyenne."

Ce qu'a également constaté Saphia Guereshi, secrétaire générale du syndicat majoritaire des infirmiers et infirmières de l'Éducation nationale (SNICS-FSU). Si elle ne dispose pas de données nationales, elle constate à son échelle une augmentation du mal-être, voire de la souffrance psychologique des lycéens et lycéennes.

"Ils nous le disent en consultation: c'est comme si une mauvaise note devenait un élément déterminant de leur avenir", pointe-t-elle pour BFMTV.com.

"Il n'y a plus que ça qui compte"

L'un des travers du contrôle continu, c'est la "sacralisation" de la note au détriment des apprentissages, dénonce Claire Guéville, du Snes-FSU. "Il leur faut la meilleure note possible au quotidien. Les élèves sont tellement focalisés sur leur note qu'ils n'écoutent pas le corrigé."

"Il n'y a plus que ça qui compte."

Alors que l'introduction du contrôle continu avait pour objectif de "valoriser le travail régulier des élèves", rappelle le ministère de l'Éducation nationale, moins de 5% des professeurs jugent qu'il serait bel et bien une source de motivation, selon la même enquête du Snes-FSU. Et près de huit enseignants sur dix estiment même que le contrôle continu serait à l'origine de l'absentéisme des élèves lors des devoirs sur table.

Ce que confirme Saphia Guereshi, du syndicat infirmier. Certains élèves renonceraient à venir en classe lors des évaluations du fait du contrôle continu. "Ils se mettent en échec par peur de ne pas être à la hauteur."

"14/20, presque en larmes"

Autre ricochet négatif lié au contrôle continu: une détérioration de la relation avec l'enseignant. Toujours selon l'enquête du Snes-FSU, pour plus de la moitié des professeurs interrogés, le contrôle continu représente une source de tensions avec les élèves.

Ce qu'a remarqué Marie, professeure d'arts plastiques en Île-de-France qui donne cours à des élèves de première et de terminale dans le cadre de l'option arts. "L'année dernière, un élève qui avait eu 14/20 à un projet était venu me voir, presque en larmes, pour plaider sa cause et me demander pourquoi il n'avait eu que 14", se souvient-elle pour BFMTV.com.

"J'ai dû taper du poing sur la table pour lui faire comprendre qu'on n'était pas au marché à discuter du prix."

Et quand ce ne sont pas les élèves, certaines familles n'hésitent pas à contester les notes, notamment via les espaces numériques de travail ou directement auprès des directions d'établissement. Rares sont en effet les enseignants à ne pas avoir été confrontés à ce type de situation.

"Les élèves ont perdu le droit à l'erreur"

Les répercussions seraient même bien plus vastes, redoute Claire Guéville, la professeure d'histoire-géographie. "On n'a pas encore pris la mesure des conséquences sur l'ensemble du système d'apprentissage." Elle explique qu'en principe, les évaluations s'inscrivent dans une progression pédagogique. "Ce qu'on a complètement perdu avec le contrôle continu", analyse-t-elle.

"Les élèves pouvaient avoir une mauvaise note à un moment et ce n'était pas grave, ça permettait même de s'évaluer, se corriger et progresser. Mais à partir du moment où ça compte pour le bac, ce n'est plus du tout la même chose."

"Les élèves ont perdu le droit à l'erreur", s'indigne Pierre Priouret, le professeur de mathématiques.

Cet enseignant rappelle "qu'apprendre, c'est faire des erreurs" et regrette ainsi que le contrôle continue ne les "grave dans le marbre". "Les élèves doivent être tout de suite performants, avec le devoir de réussir du premier coup." Pour étayer son propos, Pierre Priouret file la métaphore sportive. "On évalue la performance au match, pas aux entraînements."

"C'est antinomique au principe même d'apprentissage."

"On est là pour faire progresser nos élèves"

Un contrôle continu qui n'est sans causer des difficultés aux professeurs, notamment du point de vue pédagogique. "On est là pour faire progresser nos élèves, pas les pénaliser d'emblée", insiste Pierre Priouret. Les enseignants seraient donc contraints de modifier et d'adapter les évaluations qu'ils proposent.

Une bienveillance que confirme Manon, la lycéenne de terminale. "Les profs sont compréhensifs. Ils font en sorte que les devoirs ne défoncent pas trop notre moyenne."

La professeure d'histoire-gérographie Claire Guéville s'interroge sur la méthode à employer. "Soit je leur donne une dissertation alors qu'ils ne sont pas prêts et je les pénalise, soit je leur donne des questions de cours mais qui ne s'inscrivent pas dans un processus de construction des apprentissages, ce qui ne les sert pas non plus."

Sa solution: proposer des exercices adaptés à ses élèves et donc différenciés d'une classe à une autre. C'est le problème que soulève le contrôle continu: la possibilité que des écarts importants ne se creusent d'un établissement à un autre avec des inégalités entre les élèves.

"Je ne vois pas comment le contrôle continu peut être équitable", craint Claire Guéville.

"Une course à la note pour Parcoursup"

L'autre élément à prendre en compte dans l'équation, c'est Parcoursup -la plateforme d'orientation dans l'enseignement supérieur. Car dans la nouvelle mouture du bac, seules les notes du contrôle continu seront prises en compte lors de l'examen des candidatures par les formations.

Les épreuves de spécialité qui devaient à l'origine se tenir au mois de mars se tiendront dorénavant au mois de juin. Alors que ces enseignements étaient censés préfigurer et amorcer l'entrée dans l'enseignement supérieur, ces notes ne figureront donc pas dans les dossiers.

"Du début de la première à la fin de la terminale, c'est une course à la note, à la fabrication du bon dossier pour le supérieur", observe Claire Guéville, du Snes-FSU. "Dès le mois d'octobre, ils sont déjà dans l'angoisse de Parcoursup", abonde Marie, la professeure d'arts plastiques. Elle évoque le cas de l'une de ses élèves, excellente - "autour de 17 ou 18/20 de moyenne générale" -qui ne se destinait pas à des études artistiques.

"Elle angoissait de ne pas avoir d'assez bonnes notes, notamment pour son dossier sur Parcoursup. Elle se disait que cette option lui permettrait d'exceller encore plus et de faire briller son dossier."
https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV