Retour de Thomas Pesquet: à quoi vont servir les expériences menées durant son séjour dans l'espace?

Thomas Pesquet, en septembre 2021, en train d'assurer l'entretien du "rack-laboratoire" de physique des fluides installé à bord de la Station spatiale internationale. - THOMAS PESQUET / ESA / NASA
Plus de 200 expériences menées sur près de 200 jours. Le second séjour de Thomas Pesquet à bord de la Station spatiale internationale (ISS) est loin d’avoir été qu’une simple balade en apesanteur avec une vue imprenable sur la planète bleue.
Au-delà des (magnifiques) clichés pris par le spationaute à plus de 400km au dessus de nous, le Français - qui doit arriver sur Terre ce mardi - laisse aussi derrière lui un amas considérable de données récoltées au cours des expériences menées pendant ces six mois.
La microgravité de l’ISS comme terrain de jeu
Ces travaux scientifiques effectués par l’astronaute dans le cadre de la mission Alpha portent le plus souvent sur la réaction du corps humain et des élément face à un environnement singulier. Car au-delà de son envergure et de sa vitesse exceptionelle (28.000km/h tout de même), l'ISS est avant tout un laboratoire. Comme n’importe quel autre? Pas vraiment.
"L’objectif pour les scientifiques n’est pas tant d’être dans l’espace en tant que tel, mais d’être en situation d'impesanteur pour observer certains phénomènes", explique à BFMTV.com Rémi Canton, chef de projet de la mission Alpha. "Il n'y a que dans l'espace qu'on peut obtenir une situation d'impesanteur permanente".
Des tentatives de recréer les conditions de l’ISS existent bien, avec des tour sd’impesanteur, des aéronefs zéro G ou encore des vols suborbitaux financés par des milliardaires... Mais aucune ne permet pour l’heure de réaliser des expérimentations sur une très longue période.
“Un astronaute ne monte pas avec ses expériences et ne redescend pas avec”
Le séjour d’un seul habitant de la station est loin d’être suffisant pour tirer des conclusions. Aussi, il convient de voir l’ISS comme une entreprise où chaque salarié se voit proposer un CDD - souvent d'une durée de six mois - pour effectuer des tâches similaires à celles de ses prédécesseurs.
“Un astronaute ne monte pas avec ses expériences et ne redescend pas avec. Le temps de la science, et donc des expériences, est bien plus long que le temps de mission d’un astronaute", souligne Rémi Canton. "L’objectif de sa mission, c’est juste de faire avancer la science et la technologie, de faire un pas de plus à chaque expérience en étant soit sujet, soit opérateur."
"Le travail des astronautes est essentiellement d’être des laborantins pour les expériences menées là haut", abonde pour BFMTV.com Olivier Sanguy, médiateur scientifique à la Cité de l'espace à Toulouse.
"Thomas a d’ailleurs refait lors de sa mission des expériences qu’il avait effectué il y a cinq ans", note Rémi Canton. Comme par exemple Fluidics, qu’il avait lui-même installé. L'idée est ici de mieux comprendre comment les fluides - comme le carburant des fusées - se comportent en impesanteur, et ainsi d'optimiser leur consommation mais aussi d'améliorer le pointage des satellites.
Un planning chargé et préparé pour éviter la monotonie
Olivier Sanguy précise par ailleurs qu’une seule et unique expérience scientifique est loin d’occuper toute une journée de l’astronaute. "Certaines ne sont faites qu’une fois, d’autres pendant deux à trois sessions", détaille Rémi Canton. "Celle par exemple sur Dreem (un bandeau permettant d’évaluer la qualité du sommeil, NDLR), il y en a eu au début, au milieu et en fin de vol, la dernière fois c’était fin septembre." Dans un environnement où le jour et la la nuit s'alternent toutes les 45 minutes, de telles analyses s'avèrent essentielles pour préparer les missions encore plus lointaines et de plus longue durée comme par exemple Mars.
Là encore, Thomas Pesquet ne sera pas le seul à se prêter à l'exercice. Matthias Maurer, l’astronaute allemand qui lui succède, l’utilisera à son tour. Et il en sera sans doute de même pour l’Italienne Samantha Cristoforetti au printemps 2022. Question aussi de confidentialité des données: les résultats des expériences sont souvent anonymisés, il est donc primordial que plusieurs sujets se prêtent à ces exercices.
Dans le détail, ce sont 232 expériences qui auront été menées au cours de ces six mois dont une quarantaine européennes et une douzaine dirigées par le Cnes. De nombreuses tâches pour éviter la répétitivité?
"L’impression de routine est extrêmement dangereuse dans l’espace", explique Olivier Sanguy.
Pour Rémi Canton, "ce n’est pas tant pour le confort de l’astronaute, c’est qu’au contraire on essaye d’optimiser le temps" accordé aux mission européennes, Thomas Pesquet étant aussi sollicité pour des expériences au profit de la Nasa mais aussi pour l'amélioration et la maintenance de l'ISS.
Astronaute, ingénieur et ambassadeur de l’espace
Restent malgré tout quelques exceptions à cette règle: des expériences menées uniquement au cours du séjour de Thomas Pesquet, et qui ne sont pas destinées à être prolongées. C'est le cas par exemple de celle où l’astronaute a comparé l’évolution sur Terre et en micropesanteur, un organisme inclassable - ni animal, ni plante, ni champignon - qui fascine les biologistes.
Un travail mené conjointement avec des centaines de milliers d’élèves Français car il s’agit là aussi d’une autre mission pour l'astronaute: celle de jouer l’ambassadeur et de susciter des vocations chez les plus jeunes générations.
L'intérêt est ici davantage éducatif que scientifique. "L'expérience du blob lui a tenu à cœur du fait que cela s'adresse surtout à un public jeune, des élèves de primaire, de collège et de lycée", explique Rémi Canton.
Deux autres expériences impliquant des étudiants ont été menées, précise-t-il. L’une d’entre elles, qui consistait à suivre la croissance d’un œillet d’Inde envoyé en cours de mission dans l'ISS, a été aussi l'occasion de lui transmettre des messages de ses proches.
Des expériences contestées par certains
Mais ces expériences - et ces séjours onéreux - dans une Station spatiale décriée par certains pour son coût ne plaisent pas à toute la communauté scientifique et spatiale. Ainsi l'astronaute français Patrick Baudry dénonce le "tourisme spatial" que représente désormais l'ISS à ses yeux, un frein selon lui au retour sur la Lune et à la conquête de Mars.
"Ça ne sert à rien, à part faire de la communication et à faire rêver les gens, surtout les jeunes", confiait-il en avril dernier sur France Bleu. "Sur le plan scientifique et technique, eu égard aux sommes investies, ça ne sert pratiquement à rien."
Dans le lot des expériences menées, et dont les explications peuvent s’avérer des plus complexes, il en est tout de même certaines bien concrètes, qui servent à préparer le terrain à de futures missions. Ainsi l’expérience de neuroscience et de télérobotique Pilote à laquelle Thomas Pesquet a participé doit notamment permettre à long terme de contrôler à distance un rover sur la Lune depuis Gateway. Les résultats seront utiles pour cette future station spatiale qui sera placée en orbite autour du satellite naturel. Une prochaine mission pour l'astronaute français?