Produit plus "marketing" que miracle: que valent les compléments alimentaires contre le syndrome prémenstruel?

Un étal de pharmacie le 23 octobre 2023 à Riedisheim (Haut-Rhin) - SEBASTIEN BOZON / AFP
"Méga en forme" depuis que cette internaute prend un complément alimentaire contre son syndrome prémenstruel (SPM). "J'ai trouvé un complément alimentaire qui m'apaise un peu en début de SPM", témoigne une autre qui explique que ce syndrome lui était "invivable chaque mois". "Les gélules de feuilles de framboisier m'ont sauvée", abonde une troisième.
Ils sont nombreux dans les pharmacies et sur les sites de vente en ligne: les compléments alimentaires pour "soulager le syndrome prémenstruel". Des compléments alimentaires pour "réduire les sautes d'humeur", contribuer "à la neurotransmission normale", réguler "l'équilibre hormonal" et "réduire la fatigue physique et nerveuse" selon leurs promesses.
Le syndrome prémenstruel est une série de symptômes physiques et psychiques dont souffrent certaines femmes durant leurs cycles. Fatigue, maux de tête, douleurs aux seins, troubles digestifs ou problèmes dermatologiques... Des maux qui démarrent "entre quelques heures et plusieurs jours avant les règles et qui disparaissent généralement peu après leur arrivée", explique l'Inserm.
Quelque 20% à 40% des femmes en âge de procréer seraient concernées par le SPM, avec des symptômes plus ou moins prononcés et plus ou moins gênants au quotidien. "Certaines femmes ont tellement mal qu'elles en vomissent de douleur, d'autres ont des migraines avec aura (c'est-à-dire avec des troubles visuels, sensitifs, de la parole, ou moteurs, NDLR)", relate pour BFMTV.com Caroline Brochet, présidente de l'Association professionnelle de sages-femmes.
Dans 5% des cas, ce syndrome perturberait en effet fortement les vies sociale, professionnelle et familiale de ces femmes. Le SPM peut même être associé à des symptômes analogues à ceux de la dépression majeure, précise l'Inserm.
"Pas d'essais cliniques solides"
Les causes de ce syndrome restent floues. Des facteurs hormonaux pourraient être en lien, comme une prédisposition génétique ou encore une carence en sérotonine (un neurotransmetteur). Et pour l'heure, il n'existe aucun traitement spécifique, si ce n'est des traitements hormonaux (pour certaines femmes), du paracétamol, des anti-inflammatoires, des anxiolytiques et des diurétiques pour diminuer la rétention d'eau.
Faute de médicaments, les compléments alimentaires ciblés SPM sont légion. Un marché qui ne connaît pas la crise. Globalement, en 2023, plus de sept Français sur dix ont consommé des compléments alimentaires, selon le Syndicat national des compléments alimentaires. Un marché estimé à 2,6 milliards d'euros en 2022 avec une croissance de 3%, d'après son dernier rapport d'activité.
Dans la formulation de ces compléments à destination des femmes qui souffrent de SPM, certains composants reviennent souvent. Dont le gattilier, l'alchemille, l'achillée millefeuille, la mélisse ou le ginkgo biloba, des plantes souvent utilisées à des fins médicinales. Mais pour un résultat modeste à discutable, analyse pour BFMTV.com Sylvie Michel, professeure de pharmacognosie et de chimie des substances naturelles à l'université Paris-Cité.
"C'est vrai que ce sont des plantes qui sont traditionnellement utilisées. Mais le problème, c'est que dans la plupart des cas, il n'y a pas d'essais cliniques solides, les cohortes sont petites et certaines études comportent des biais."
Exemple avec le gattilier (une espèce d'arbuste également appelé arbre au poivre, vitex agnus-castus de son nom scientifique). Si l'Agence européenne du médicament statue que "l'efficacité de cette plante médicinale est plausible", elle reconnaît que "les preuves issues d'essais cliniques (en l'occurrence une étude menée sur 178 femmes, NDLR) sont insuffisantes".
"C'est du marketing"
"Il est très difficile d'affirmer que ces produits ont bien un effet", assure Sylvie Michel, également membre de l'Académie nationale de pharmacie. "Il y a bien un consensus de la communauté scientifique autour de ces produits, à savoir que c'est du marketing", balaie pour BFMTV.com Laurence Coiffard, enseignante-chercheuse à la faculté de pharmacie de Nantes université .
Le Vidal, dictionnaire médical et site de référence sur les produits de santé, se montre lui aussi très réservé sur le sujet. "Les compléments alimentaires destinés à soulager le syndrome prémenstruel (...) contiennent des ingrédients variés dont l'efficacité n'a, le plus souvent, guère été prouvée", prévient-il.
Sans compter que certains ingrédients, comme le gattilier, pourraient par ailleurs être nocifs. Dans un avis publié en 2023 sur les compléments alimentaires contenant des plantes médicinales, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) a recommandé que ceux contenant du gattilier comportent "un avertissement déconseillant l'usage chez les femmes ayant des antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein". Ceux que BFMTV.com a observés ne présentaient pas ces informations.
"Le gattilier peut en effet avoir une action hormonale", met en garde la chercheuse Laurence Coiffard, également membre correspondant national de l'Académie nationale de pharmacie. "De ce fait, quelqu'un qui serait sujet à un cancer hormono-dépendant ne doit surtout pas en prendre."
"La balance bénéfices-risques est défavorable. Le principe de précaution doit s'appliquer."
Parmi les autres composants de ces compléments alimentaires: magnésium, zinc, différentes vitamines B (principalement la B6), tryptophane (un acide aminé qui aide à produire la sérotonine), ou encore safran et curcuma. Des ingrédients qui seraient inutiles pour certains, problématiques pour d'autres, pointe encore Laurence Coiffard.
"Des minéraux et des vitamines, c'est assez peu pertinent dans le cas de la population française. Une alimentation normale couvre tous les besoins, sauf bien sûr les cas particuliers de maladies ou de traitements qui peuvent entraîner des carences."
L'Anses indique en effet que "les déficits d'apport et a fortiori les carences en nutriments sont très rares dans la population générale". À l'exception de la vitamine D: en 2019, plus de 70% des adultes présentaient une insuffisance, selon l'Anses. Mais la vitamine D est synthétisée par l'organisme en s'exposant quinze à vingt minutes par jour au soleil.
"Ce n'est pas parce que c'est naturel que c'est bon"
Laurence Coiffard émet une autre alerte sur le tryptophane, un des acides aminés dits essentiels, c'est-à-dire qui ne peuvent pas être fabriqués par le corps. "En principe, une alimentation normale assure les besoins quotidiens", continue la chercheuse Laurence Coiffard. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) estime ainsi qu'ils s'élèvent à 220 mg par jour (dans le détail: 4 mg par kilo de poids).
Un risque de surdosage? "Les apports les plus faibles en tryptophane observés dans la population française ne font porter aucun risque d'insuffisance", ajoute l'Afssa. Or, cette agence a pointé le risque d'effets indésirables (somnolence, nausées, céphalées) causés par une consommation excessive de tryptophane.
Quant au curcuma, après plusieurs signalements d'hépatites, l'Anses a dénoncé le risque d'effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires en contenant. L'une des formulations du curcuma peut même être "potentiellement toxique".
"Ce n'est pas parce qu'un produit est naturel qu'il est bon pour la santé", insiste Laurence Coiffard.
La docteure en pharmacologie appelle à la prudence. "On ne sait pas quel type d'actif est extrait de ces plantes ni comment l'extraction est réalisée." Et explique que selon les solvants utilisés, "ce n'est pas la même quantité d'actif qui est extraite". "On ne s'improvise pas à fabriquer des extraits végétaux."
Pourtant, ces compléments alimentaires promettent "équilibre hormonal", "régulation du syndrome prémenstruel" ou encore clament: "Fini la mauvaise humeur, le stress et autres symptômes pendant la période du SPM".
Confusion pour le consommateur
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) rappelle que les compléments alimentaires sont "des denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal". Et insiste: "Les compléments alimentaires ne sont pas (des) médicaments".
De plus, leur étiquetage, leur présentation et leur publicité ne doivent pas attribuer à ces produits "des propriétés de prévention, de traitement ou de guérison d'une maladie humaine, ni évoquer ces propriétés". Pourtant, certains de ces compléments alimentaires assurent bel et bien "soulager" ou "réguler" le SPM. D'autres annoncent "réduire les sautes d'humeur, la fatigue, l'inconfort physique" mais aussi "l'irritabilité et la tension nerveuse", "maintenir une humeur positive".
"Ces termes peuvent porter à confusion dans l'esprit des personnes qui les achètent", remarque pour BFMTV.com Philippe Courtois, avocat spécialisé en droit médical. Il rappelle que "ce qui guérit, soulage ou soigne relève du médicament". Or, selon lui, si ces compléments alimentaires affichent des allégations de ce genre, "c'est tout simplement de la tromperie aggravée".
En 2015, sur 78 sites internet contrôlés, quelque 80% utilisaient des allégations de santé non autorisées ou des allégations faisant état de propriétés thérapeutiques, "pratique strictement interdite pour les denrées alimentaires car exclusivement réservée aux médicaments", pointe la DGCCRF.
Avant de se tourner vers des compléments alimentaires, le premier réflexe en cas de SPM, "c'est d'en parler à son médecin traitant, son gynécologue ou sa sage-femme", rappelle Caroline Brochet, de l'Association professionnelle de sages-femmes. Car il est impératif, selon elle, de vérifier qu'aucune pathologie ne se cache derrière ces douleurs.
"Il peut s'agit d'endométriose, d'un fibrome, d'adénomyose ou de tout autre pathologie gynécologique. Seul un professionnel de santé pourra s'en assurer, notamment avec des investigations médicales."
Et si ces douleurs relèvent en effet du champ physiologique, différentes prises en charge peuvent être proposées, assure Caroline Brochet. "Parmi les thérapeutiques, on trouve des crèmes pour les douleurs aux seins, des petites bouillottes pour les contractions de l'utérus. Il n'y a pas que les compléments alimentaires."