"On avait la boule au ventre": les confidences de Martin Hirsch sur la crise du coronavirus

Martin Hirsch a compris que la France et le monde faisaient face à une crise inédite le 13 mars dernier. "C'est un moment où l'un de nos épidémiologistes va voir son collègue, puis la directrice de l'hôpital, qui me passe un coup de fil pour me dire que le modèle (du Covid-19, NDLR) est assez différent de celui sur lequel on travaille, se rappelle le directeur des Hôpitaux de Paris. Ça va être beaucoup plus grave. A ce moment-là, on s'est mis encore plus en branle-bas de combat (...) On s'est dit que ce qu'on était en train de préparer ne serait pas suffisant, (qu')il faudrait préparer tout autre chose".
Dans une interview accordée à BFMTV et diffusée ce mardi, le patron de l'AP-HP, qui regroupe 39 hôpitaux, revient sur ces dernières semaines où il a fallu gérer "la pire crise l'histoire" de l'institution. "Dans toutes les crises, il y a toujours quelqu'un pour vous dire 'ça me rappelle quelque chose', là, ça ne rappelle rien à personne, estime Martin Hirsch. Personne n'imaginait cette ampleur-là." Et d'ajouter: "La deuxième chose que je n'imaginais pas, c'est cette extraordinaire, remarquable, invraisemblable mobilisation de tous, que tout le monde se mobilise pour un même objectif, que tout le monde fasse face."
"On imaginait ni le pire, ni le meilleur", ajoute-t-il.
"On avait la boule au ventre"
Le pire, pour Martin Hirsch, restera peut-être cette nuit du 31 mars au 1er avril. "Le 31 mars, on était à 16h, je me souviens, dans le centre de régulation, des chirurgiens étaient là au téléphone à aider les réanimateurs, le Samu, à trouver des places", pour les malades du Covid-19, raconte-t-il, ému. "A 16h, on me dit: on est à une place près". A cette date, le directeur de l'AP-HP avait lancé un cri d'alarme, estimant "ne plus avoir de marges de manoeuvre".
Dans la nuit, "vers 1h du matin, le responsable de la cellule de régulation m'appelle, Laurent, et me dit: 'là j'ai un patient que je ne sais pas où mettre, il est dans un camion, on ne sait pas où le mettre'", poursuit-il encore sur BFMTV, témoignant de la recherche compliquée pour chaque patient. "Il a essayé d'appeler les autres de garde, et on lui a trouvé une place".
Martin Hirsch se souvient avoir fait appel aux autorités pour que des patients d'Ile-de-France soient transférés, pour que des renforts arrivent. A cette délicate gestion au lit près des services de réanimation s'ajoutent les scènes difficiles à supporter dans les hôpitaux. Le directeur de l'AP-HP se rappelle s'être rendu dans le service de réanimation de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre. "J'ai eu un gros choc, se souvient-il. En deux jours, les choses avaient changé. Dans la même pièce, 25 patients, tout le monde s'affairait. On avait la boule au ventre pour les malades, pour les équipes qui passaient d'un patient à l'autre."
Une solidarité "contagieuse"
Au plus fort de la crise, l'AP-HP a pu monter jusqu'à 2.800 lits de réanimation. "Si on n'avait rien fait, ce n'est pas 2.800 malades qu'il y aurait eu ici, pris en charge, c'est probablement 10.000, estime Martin Hirsch, saluant les mesures de confinement prises par le gouvernement. Nous n'aurions pas pu faire face, il y aurait eu un nombre de morts considérables." Saluant les mesures politiques, le directeur des Hôpitaux parisiens souligne aussi le respect des règles par les Français.
"C'est quelque chose d'assez extraordinaire, confie-t-il. Il y a eu les décisions nationales mais aussi les décisions individuelles qui ont été remarquables."
C'est peut-être le "meilleur" de cette crise pour Martin Hirsch: la solidarité de tous les Français. "Des médecins, des infirmières m'ont bluffé, des électriciens, des restaurateurs m'ont bluffé, lance-t-il. Une société, c'est une société qui sait donner un rôle utile. Les gens donnent de l'énergie aux autres. Il y a un virus transmissible, mais une solidarité encore plus contagieuse."
Un "mouvement long"
Et cette solidarité sera nécessaire pour les semaines et les mois à venir. Depuis une dizaine de jours, le nombre de personnes en réanimation baisse à Paris. "C'est une période très compliquée mais c'est bien mieux, rassure le directeur de l'AP-HP. On n'a plus un sentiment d'étouffement complet, comme si les soignants avaient le même étouffement que leurs patients." Mais les efforts restent à maintenir. "Pour que les choses se passent bien, il faut qu'on aille encore plus bas dans la circulation du virus", prévient Martin Hirsch.
L'une des solutions, selon lui, est "l'isolement des personnes contaminées" et une "approche plus individualisée" des nouveaux cas, comme c'était le cas au début de l'épidémie, afin d'"aller casser la deuxième vague". Une amélioration de la situation sur le front Covid-19 qui doit permettre d'éviter de "créer de la mortalité pour d'autres maladies".
"On ne peut pas dire que l'ouragan est dernière nous, prévient Martin Hirsch. C'est une lame de fond, un mouvement long."