"Je demande 25 fois par jour": comment les médecins s'adaptent à la question du consentement

"Je pense que je demande 25 fois par jour, mais je ne me rends même plus compte". Cela fait bien longtemps que la question du consentement s'est invitée dans le cabinet du Dr Marie Msika-Razon. Cette médecin généraliste parisienne n'a pas attendu que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) se penche sur cette notion pour faire évoluer sa manière de pratiquer les actes médicaux afin de s'assurer qu'ils respectent l'intimité du patient.
"L’idée c’est juste de dire 'est-ce que vous êtes d'accord pour passer à l'examen gynécologique?'", explique la praticienne.
Un détail qui change pourtant assez radicalement la façon de penser l'acte médical, qui jusqu'ici pouvait parfois porter peu de considération au bien-être du patient.
"On était là pour soigner, et donc c’était forcément bien ce qu’on faisait", explique à BFMTV Marie Msika-Razon dans une autocritique de sa profession.
Nouvellement nommée première ministre, Élisabeth Borne avait ainsi, en juillet 2022, demandé au CCNE de se prononcer sur la manière d'intégrer la notion de consentement à la pratique de la médecine. Une demande faite après la multiplication des témoignages de femmes qui se disaient victimes de violences gynécologiques, et qui a abouti à un avis de l'organisme publié en mars dernier sur le bon comportement à tenir.
Consentement tout au long de l'examen
Plus en détails, en mars 2023, le CCNE a rendu, sous la forme d'un avis nommé "Consentement et respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques ou touchant à l'intimité", ses conclusions à ce sujet.
Après l'audition d'une trentaine de patients et de professionnels, l'organisme estime qu'il est désormais préférable de passer d’un consentement tacite ou présumé à un consentement explicité et différencié, en, particulier pour les examens les plus intimes.
"Ça veut dire qu’on précède l’examen d’explications, en quoi il va consister, pourquoi on le réalise, s'il est susceptible de générer de la douleur, de l’inconfort", détaille, à BFMTV, Fabrice Gzil, philosophe, membre du Comité consultatif nationale d’éthique (CCNE).
Selon lui, ces vérifications doivent perdurer "aux différentes étapes de l’examen." "On vérifie l’accord de la personne sur les différents actes qui sont réalisés", ajoute-t-il.
Dans cet avis, le CCNE rappelle également qu'en moyenne, une femme connaît "entre 50 et 80 consultations gynécologiques au cours de sa vie." Des consultations "asymétriques par nature", pour lesquelles il faut "respecter l'éventuel refus" de celle-ci. Il y est également recommandé "l'intervention de patients dans la formation des professionnels de santé."
Du côté du corps médical, les demandes du Comité consultatif nationale d’éthique sont bien reçues. Invité ce mardi matin sur l'antenne de BFMTV, le docteur Aurel Guedj, médecin aux urgences de l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt (AP-HP), rappelle que "si pour nous certains gestes peuvent paraître banaux, ils ne le sont pas."
"Pendant toute notre formation, on est formés à désacraliser le corps et on oublie la perception qu’a le patient du soin", rappelle-t-il, ajoutant que "ce qui compte, et avec les nouvelles générations qui arrivent, c’est de plus en plus enseigné, ce n'est pas la nature du soin, mais sa perception."
Lors de cette intervention, Aurel Guedj a salué "une évolution des mœurs" à ce sujet et a encouragé ses collègues à "prendre en humilité." "Quand on voit les très vieux médecins, et la culture du médecin qui sait tout, on a appris à se remettre en question", dit-il.
En juin 2022, dans une tribune publiée dans les colonnes du Journal du Dimanche, plusieurs gynécologues avaient toutefois appelé à faire "attention à la grande confusion" et demandé un discernement entre "examens médicaux et viols."Auprès de BFMTV.com, plusieurs d'entre eux s'étaient plaints d'une profession "compliquée à exercer."