Coup d'arrêt aux "salles de shoot": soulagement des uns et incompréhension des autres

Dans la société civile comme dans la classe politique, les "salles de shoot" continuent de diviser. - -
Après l'avis négatif du Conseil d'Etat sur l'ouverture des salles de shoot pour toxicomanes, ce sujet ne sera pas un enjeu des municipales de 2014 à Paris: la plus haute juridiction administrative du pays a décidé de soumettre l'autorisation de ces salles contrôlées et médicalisées à l'adoption préalable d'une nouvelle loi.
Anne Hidalgo, la candidate PS à la mairie de Paris, déçue par cette décision, le reconnaît. A la question de savoir si une ouverture serait possible avant les municipales, la première adjointe au maire de Paris Bertrand Delanoë, répond: "Je ne crois pas".
Soulagement teinté de moquerie à l'UMP
"L'avis des Sages est un véritable désaveu pour la municipalité socialiste, et témoigne de l'amateurisme dans la construction de ce projet", a raillé l'équipe de Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate UMP à la mairie de Paris, dans un communiqué. "Si l'installation de la salle de shoot est ainsi nécessairement reportée, les Parisiens ne doivent toutefois pas être dupes", avertissent les proches de NKM. "La gauche tente d'étouffer un projet qu'elle assume de moins en moins, et qu'elle ressortirait du chapeau au lendemain des élections. Il est temps de stopper purement et simplement un projet qui ne consiste en rien d'autre qu'en une légalisation des drogues".
Au niveau national, la réaction de l'opposition va dans le même sens. Pour Bruno Beschizza, secrétaire national de l'UMP: "Cet avis vient conforter l'opposition très ferme de l'UMP au projet insensé d'ouverture de salles de shoot en France", car cela "revient à légaliser la consommation de drogue".
La mairie de Paris et le ministère de la Santé temporisent
Du côté des principaux intéressés, autrement dit le Parti socialiste, l'heure est aux regrets. Anne Hidalgo fixe le cap: "Nous allons retravailler avec le ministère de la Santé".
Justement, la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a confirmé jeudi que le gouvernement allait présenter un projet de loi afin de "sécuriser juridiquement" les salles de consommation de drogue, se conformant ainsi à la lettre de l'avis du Conseil d'Etat. "Le Conseil d'Etat recommande de passer par une loi, c'est un conseil qu'évidemment nous allons suivre", a déclaré la ministre dans les couloirs de l'Assemblée.
Centristes et écologistes, différemment déçus
La position de l'UDI n'est pas aussi tranchée que celle de l'UMP puisque, avec moult réserves, les instances parisiennes du parti centriste avaient soutenu du bout des lèvres l'idée d'une expérimentation de salles de consommation de drogue. Catherine Bruno, du groupe UDI au Conseil de Paris déplore que "la légèreté des socialistes gâche la réflexion menée autour des salles de consommations de drogue".
Pour Bernard Jomier, porte-parole de campagne du candidat EELV à la mairie de Paris, candidat lui-même et par ailleurs médecin, "il est temps que cesse l'hypocrisie". Il interprète aussi différemment la décision du Conseil d'Etat qui, selon lui, "souligne la nécessité de réformer rapidement la loi de 1970 qui interdit l'usage de stupéfiants et est à bout de souffle". "Notre politique de santé ne peut pas rester sourde et aveugle à une catégorie de citoyens en grande difficulté, menacés dans leur vie même", ajoute-t-il.
La société civile très divisée
Dans l'opinion, la question des salles de shoot divise. Chez Parents contre la drogue, qui revendique 300 membres et qui avait déposé un recours devant le Conseil d'Etat, "on est plus que contents", expliquait ce jeudi son président Serge Lebigot. "Le Conseil d'État confirme ce qu'on dit, que sans modification de la loi, il n'est pas question de faire de salle de shoot".
Les avis de Médecins du Monde (MDM) et de la Fédération Addiction, présidée par le psychologue clinicien Jean-Pierre Couteron, sont diamétralement opposés. Les deux associations relèvent qu'on ne peut pas développer une politique de santé publique à la hauteur dans ce domaine des dépendances aux drogues, avec une loi dépassée qui a plus de 40 ans, la loi de 1970.
Le projet d'expérimentation de ces salles, destinées à des usagers de drogues injectables et parfois surnommées "salles de shoot", "ne doit surtout pas être abandonné", souligne l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA), présidée par le Docteur Alain Rigaud, en évoquant celle prévue à Paris dans le 10e.
Cette expérimentation est en effet "l'une des mesures novatrices du plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017", ajoute l'association qui réunit "1.400 professionnels et de nombreux bénévoles". Elle appelle également la ministre de la Santé, Marisol Touraine, à "étudier au plus vite les évolutions législatives ou réglementaires à mettre en œuvre pour surmonter les observations du Conseil d'Etat."
Qu'en pense-t-on au niveau local? Pour les riverains, engagés contre le projet depuis plusieurs mois, c'est un soulagement. Mais temporaire. Le projet est toujours jugé indispensable par les élus locaux et le maire d'arrondissement, Rémi Féraud, souligne sa nécessité.