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Coronavirus: la loi permettrait-elle de déconfiner les Français immunisés et pas les autres?

Image d'illustration, personnes portant des masques

Image d'illustration, personnes portant des masques - AFP

De plus en plus évoquée par la communauté scientifique, l'hypothèse d'un "passeport d'immunité" accordé aux patients touchés par le Covid-19 afin de les déconfiner est l'une des pistes envisagées par le gouvernement.

C'est l'une des pistes actuellement sur la table pour organiser le déconfinement, lorsque le premier pic de la pandémie de Covid-19 sera derrière nous. Elle a été évoquée à demi-mot par Édouard Philippe lors de son audition à l'Assemblée nationale le 1er avril.

"Nous étudions l'opportunité et la faisabilité d'un déconfinement qui serait régionalisé, ou sujet à une politique de tests, ou en fonction, qui sait, de classes d'âge", déclarait le Premier ministre, alors face aux députés membres de la mission d'information portant sur l'état d'urgence sanitaire. 

En l'espèce, c'est cette allusion à une "politique de tests" de dépistage qui nous intéresse. Depuis plusieurs jours, chercheurs et scientifiques se penchent sur l'opportunité d'un "passeport d'immunité", censé permettre à une catégorie de la population de circuler plus librement. Au Royaume-Uni, une partie de la classe politique milite pour cela.

L'idée serait d'autoriser les personnes déjà touchées par le coronavirus - et donc, en théorie immunisées - à quitter leur domicile. Par opposition, celles qui n'y ont pas été exposées resteraient cloîtrées chez elles, faute d'immunité.

Des discriminations préexistantes

Pour ce qui concerne la France, une telle option poserait une évidente question d'ordre juridique à trancher. Peut-on restreindre la liberté de mouvement d'une catégorie de Français en se basant sur un critère de santé publique?

Des discriminations comparables existent déjà dans d'autres domaines. Par exemple, il est obligatoire d'être citoyen français pour occuper ce qu'on appelle un "emploi de souveraineté". Cette notion a été délimitée par le Conseil d'État dans un avis rendu le 31 janvier 2002.

La haute juridiction administrative y affirme ainsi que les secteurs ministériels pouvant être qualifiés de régaliens - et ainsi correspondre à des champs de fermeture d’emplois - sont les suivants: Défense, Budget, Économie et finances, Justice, Intérieur, Police, Affaires étrangères. Il s'agit donc bien d'une discrimination dans le sens étymologique du terme.

Autre discrimination autrement plus basique: celle restreignant en fonction de l'âge le droit de vote, dont les Français de moins de 18 ans sont dépourvus.

"Le droit fourmille de différences établies entre individus", abonde Diane Roman, juriste agrégée et professeure de droit public à l'École de droit de la Sorbonne (Paris I), interrogée par BFMTV.com. 

Contexte d'état d'urgence sanitaire

S'agissant toutefois de cette nouvelle distinction entre immuns et non-immuns au Covid-19, il faut tenir compte de deux facteurs importants. Il y a d'abord le contexte, qui est celui d'un état d'urgence sanitaire, adopté par le Parlement et qui dote le gouvernement de pouvoirs exceptionnels.

"Le Conseil constitutionnel lui-même a refusé de censurer une violation manifeste de la Constitution", rappelle Diane Roman. 

En effet, dans leur décision du 26 mars, les Sages de la rue de Montpensier ont développé un raisonnement consistant à dire que, si elle n'était pas à proprement parler suspendue, la Constitution pourrait faire l'objet de dérogations durant cette période. Le Conseil d'État, de son côté, a adopté une position plutôt défensive, rejetant récemment des recours déposés contre le gouvernement par des associations de soignants ou d'avocats sur des questions intimement liées à la crise.

"Partant de là, si le gouvernement décidait d'instaurer un 'passeport d'immunité', je ne vois pas bien ce qui l'en empêcherait", en déduit l'universitaire, co-auteur de Droits de l'Homme et libertés fondamentales (Éd. Dalloz, 4e édition prévue pour mai 2020, co-écrite avec Stéphanie Hennette-Vauchez).

Dérogation au principe d'égalité

C'est là qu'entre en jeu le second facteur, plus prospectif. "Si l'on se place en dehors du contexte, il ne peut y avoir, en soi, de discrimination fondée sur l'état de santé. C'est comme l'orientation sexuelle", rappelle la juriste.

"Il est possible, en revanche, de fonder des différenciations de traitement sur ce critère - en l'occurrence, le statut sérologique des personnes - si cela repose sur un objectif à la fois légitime et proportionné", ajoute-t-elle. 

Ces deux termes - légitime et proportionné - sont à la base du principe d'égalité, gravé dans le marbre de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 (article 1er) et de notre Constitution (aussi dans son article 1er). La possibilité d'y déroger, par le biais d'éventuelles discriminations, a été précisée par la jurisprudence du Conseil d'État

"Derrière cette discrimination en fonction du statut sérologique (qui est testé positif et qui ne l'est pas, NDLR), il y a un objectif légitime de protection de la santé publique", juge Diane Roman.

"On peut considérer par ailleurs que c'est proportionné, car une telle mesure permettrait d'instaurer un confinement simplement allégé, moins restrictif", ajoute-t-elle.

Tests insuffisants?

Autre norme qui n'entraverait pas la mise en place d'un "passeport d'immunité": la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH). Son article 5 proscrit toute privation de liberté, tout en intégrant la dérogation suivante: 

"S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond."

Le gouvernement risque toutefois de buter sur la question des tests. Y en aura-t-il en quantité suffisante pour évaluer le nombre de Français ayant été contaminés et qui ne sont plus à risque? Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, a annoncé le 26 mars que deux millions de tests avaient été commandés. Ce mardi, il a précisé sur BFMTV qu'ils seraient remboursés par la Sécurité sociale. 

Par ailleurs, un tel dispositif nécessitera-t-il de contourner le secret médical, protégé de façon stricte par le juge européen? Le "passeport d'immunité" sera-t-il ainsi réservé à ceux qui se porteront volontaires pour être testés? Ces questions exigeront des réponses le moment venu. 

Option étudiée en Allemagne

Quoi qu'il en soit, l'option est actuellement à l'étude en Allemagne, racontait récemment le quotidien britannique The Guardian. La recherche est chapeautée, entre autres, par l'autorité sanitaire du gouvernement allemand, l'Institut Robert Koch et le centre allemand de recherche en infectiologie.

Peter Openshaw, membre du conseil scientifique - dédié aux maladies infectieuses - qui épaule le gouvernement allemand, estime que le "passeport d'immunité" serait une bonne "mesure provisoire".

"Il est possible que le coronavirus entraîne une réaction immune robuste, qui serait durable et protectrice pour une période longue, peut-être un an, voire cinq, mais on ne le sait pas car il s'agit d'un nouveau virus", développe-t-il.

Pour l'heure, le gouvernement allemand n'a donné aucune indication quant à sa volonté ou non d'appliquer cette méthode, les résultats de la recherche étant encore attendus. 

Jules Pecnard