BFMTV
Santé

Cinq questions sur la chloroquine, ce médicament testé contre le Covid-19

placeholder video
Un traitement contre le Covid-19 est activement recherché par les scientifiques du monde entier afin d'endiguer la pandémie. Parmi les molécules prometteuses, la chloroquine. Déjà prescrite et testée en France, elle ne fait pourtant pas l'unanimité.

Molécule miracle ou faux espoir? Alors que l'épidémie de Covid-19 continue de s'étendre en France, et dans le monde, la recherche de traitements se fait pressante. Parmi ceux envisagés, la chloroquine rencontre un écho particulier auprès de certains scientifiques, notamment Didier Raoult, directeur de l'Institut Méditerranée Infection à Marseille. 

Après sa rencontre avec Emmanuel Macron ce jeudi, le professeur Raoult a publié les résultats d'une nouvelle étude réalisée dans son institut marseillais, dans lequel il défend "un traitement sûr et efficace contre le Covid-19". Mais les capacités de ce médicament sont toutefois remises en question par d'autres scientifiques, qui attendent toujours d'autres tests.

  • C'est quoi au juste cette molécule ?

La "chloroquine" est à l'origine un traitement contre le paludisme. Quand le terme "chloroquine" est actuellement évoqué, il englobe en réalité deux molécules différentes, toutes deux utilisées contre la paludisme: la chloroquine (connue sous le médicament Nivaquine), et l'hydroxychloroquine (le Plaquenil). C'est cette dernière molécule que le Docteur Didier Raoult teste actuellement en France sur ses patients atteints du Covid-19.

"On donne de l'hydroxychloroquine à raison de 600 mg par jour pendant dix jours sous la forme de comprimés administrés trois fois par jour", expliquait dimanche au journal Le Parisien Didier Raoult.

La fiche du Plaquenil, disponible sur le site du ministère de la Santé, précise que "ce médicament est indiqué pour traiter les maladies articulaires d'origine inflammatoire, telles que la polyarthrite rhumatoïde, ou d'autres maladies telles que le lupus ou en prévention des lucites".

  • Qui a eu l'idée de l'utiliser pour le coronavirus ?

L'utilisation d'un traitement contre le Covid-19 avec la chloroquine a été d'abord évoqué dans une courte étude chinoise publiée le 19 février dans la revue scientifique BioScience Trends. "Les capacités antivirales et anti-inflammatoires de la chloroquine pourraient jouer dans son efficacité potentielle à traiter des patients atteints de pneumonies provoquées par le Covid-19", précisaient les chercheurs chinois

"La chloroquine est un médicament peu cher et sans danger, utilisé depuis plus de 70 ans", insiste l'article. Il s'agit en effet de "l'un des médicaments les plus prescrits dans l'histoire de l'humanité, des milliards de gens ont pris ce médicament", déclarait fin février sur BFMTV Didier Raoult.
  • Quels sont ses résultats actuels?
"Les résultats obtenus jusqu'à présent sur plus de 100 patients ont démontré que le phosphate de chloroquine était plus efficace que le traitement reçu par le groupe comparatif pour contenir l'évolution de la pneumonie, pour améliorer l'état des poumons, pour que le patient redevienne négatif au virus et pour raccourcir la durée de la maladie", précisaient fin février les chercheurs chinois. La brève étude ne quantifiait toutefois pas cette différence d'efficacité.

Selon les conclusions d'une première étude publiée le 17 mars par l'Institut Méditerranée Infection, réalisée sur 36 malades, "le traitement par l'hydroxychloroquine est significativement associé à une réduction/disparition de la charge virale chez les patients COVID-19 et son effet est renforcé par l'azithromycine", un antibiotique contre la pneumonie bactérienne.

Résultats des tests avec la chloroquine de l'Institut Méditerranée Infection
Résultats des tests avec la chloroquine de l'Institut Méditerranée Infection © Institut Méditerranée Infection
Le traitement donné par l'Institut Méditerranée Infection est une association "d'hydroxychloroquine (200 mg x 3 par jour pour 10 jours) + Azithromycine (500 mg le 1er jour puis 250 mg par jour pour 5 jours de plus)", expliquait le communiqué.

La nouvelle étude du professeur Raoult, publiée ce jeudi, porte sur 1061 patients positifs au Covid-19, dont l'âge médian était de 43,8 ans. Selon les résultats divulgués par l'Institut, la guérison virologique a été observée chez 973 personnes en dix jours, soit un taux d'efficacité du traitement par la combinaison hydroxychloroquine-azithromycine de 91,7%. Derrière ce pourcentage, 46 patients présentent toutefois de mauvais résultats (4,3%), avec la mort de 5 d'entre eux âgés de 74 et 95 ans.

Le traitement par hydroxychloroquine et l'azithromycine, lorsqu'il est mis en place juste après le diagnostic, "est un traitement sûr et efficace contre le Covid-19, avec un taux de mortalité de 0,5% chez les patients les plus âgés. Il évite l'aggravation et élimine la persistance et la contagiosité du virus dans la plupart des cas", conclut l'étude. 
  • Pourquoi son usage contre le Covid-19 est-il critiqué?

Cette molécule, a priori miracle, est loin d'être plébiscitée par tous les scientifiques travaillant sur le nouveau coronavirus, qui réclament plus de tests avant de la prescrire.

La première étude de l'institut marseillais est notamment critiquée pour le petit nombre de malades testés (24), et l'absence de "patient placebo". Un placebo est une préparation "dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d'un médicament pour son effet psychologique", explique le Larousse. L'utilisation de patients placebo est une étape importante dans la réalisation d'une étude sur les médicaments, qui permet de vérifier l'efficacité réelle d'un traitement.

La seconde étude porte sur un panel de patients nettement plus large, mais relativement plus jeune que les personnes susceptibles de développer des complications. Et les résultats sont là encore à prendre avec prudence, selon le consultant santé de BFMTV, Alain Ducardonnet : "91% de gens guéris, on se dit que c'est génial, (mais) la maladie c'est 85-88% de guérisons spontanées, pour lesquelles on a pris du Doliprane et on est resté chez soi".

Là encore, il n'y a "pas de comparatif", a-t-il poursuivi ce vendredi sur notre antenne. "On ne sait pas si l'évolution spontanée de la maladie ou si c'est vraiment le médicament qui fait quelque chose", a-t-il détaillé. "Sans groupe contrôle, comment savoir si la guérison s'est faite grâce à la chloroquine ou à leur système immunitaire", interroge Le Figaro dans son édition du jour. "En l'occurrence, 95% des patients inclus étaient jugés 'à faible risque de développer des complications'."

"Tous ces médicaments doivent être testés selon des protocoles", a martelé Alain Ducardonnet. D'autant que la chloroquine n'est pas un médicament "anodin", "il y a en effet des effets secondaires", expliquait-il lors de la première étude. "On sait qu'il peut y avoir des incidences cardiologiques, donc on doit faire un bilan initial avant d'engager ce traitement", continue-t-il. "Il faut le faire dans des conditions de sécurité médicale qui correspondent à la déontologie et à l'éthique".

Après trois décès suspects, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait alerté fin mars sur les possibles "effets secondaires" des traitements, dont le Plaquénil (hydroxychloroquine). Depuis le 27 mars, 54 cas de troubles cardiaques dont 7 morts soudaines ou inexpliquées relatifs à la prise d'hydroxychloroquine seule ou associée à l’antibiotique azithromycine ont été analysés au centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Nice, chargé de la surveillance nationale, rapporte Le Monde ce vendredi.

  • Et maintenant, comment ce médicament va être testé?

Un essai clinique européen a été lancé dans au moins sept pays européens, dont la France, pour tester quatre traitements expérimentaux contre le coronavirus, qui va inclure en tout 3200 patients. Parmi ces traitements, l’hyroxychloroquine, comme le précise un communiqué de l'Inserm, l'organisme qui chapeaute la recherche médicale en France.

Les autres traitements testés à grande échelle seront les molécules suivantes: "le remdesivir, le lopinavir en combinaison avec le ritonavir, ce dernier traitement étant associé ou non à l’interféron bêta". Cinq hôpitaux français participeront au départ, l'IHU Méditerranée Infection n'en faisant pas partie, selon l'Inserm.

"Ce qui compte aujourd'hui, (...) c'est qu'on produise tous, tous ensemble, des connaissances scientifiques en urgence dans des bonnes conditions pour que très rapidement les solutions apparaissent, qu'elles soient négatives ou positives", a déclaré le Directeur Général de la Santé Jérôme Salomon dimanche.
Salomé Vincendon