"C'est dangereux": derrière la mode de "l'hydrothérapie du côlon", un exercice illégal de la médecine

Image d'illustration. - Pierre-Oscar Brunet
Une séance pour "stimuler le système immunitaire", "désintoxiquer l'organisme", lutter contre "les problèmes digestifs", améliorer "la circulation sanguine par un meilleur retour veineux" ou encore "nettoyer les angoisses" avec l'effet "d'une véritable 'mini-psychothérapie'". C'est ce que promettent les promoteurs de l'hydrothérapie du colon - ou "lavement évacuateur".
En clair: la pratique consiste à injecter de l'eau par le rectum à l'aide d'un tuyau, un autre récupérant les matières fécales. Elle semble à la mode, en témoigne le nombre de cabinets qui proposent ce type de service partout en France, pour des tarifs de 70 à 140 euros la séance.
Offre dégressive si l'on opte pour plusieurs séances -présentées comme un "nettoyage profond" ou un "cure"- ou bien en choisissant un pack combinant hydrothérapie du côlon avec un autre soin, comme de la réflexologie plantaire ou un "soin intuitif" comprenant un "scan corporel" et un "nettoyage énergétique".
Derrière toutes ces promesses, la pratique est loin d'être sans danger pour la santé. Claire Siret, médecin généraliste et présidente de la section santé publique du conseil national de l'Ordre des médecins, met en garde contre les risques, notamment infectieux ou de perforation du côlon.
"Le risque est réel, contrairement aux bénéfices", affirme-t-elle à BFMTV.com.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins a également pointé le risque de report de diagnostic et de soins pour des patients souffrant de véritables pathologies. Avec "une perte de chance ou un risque vital", accuse-t-il dans son rapport sur les pratiques de soin non conventionnelles et leurs dérives publié en juin 2023.
Parmi les bienfaits et bénéfices vantés par ces promoteurs de l'hydrothérapie du côlon, on retrouve pêle-mêle: l'amélioration des "problèmes digestifs de toutes sortes (constipation, syndrome de l'intestin irritable, mauvaise haleine...)", la "décongestion de la muqueuse colique", l'assainissement du microbiote "en l'aidant à se reconstituer sainement", l'"amélioration des symptômes liés aux allergies et de manière générale des problèmes de peau" ou encore la "prévention des maladies du côlon".
Autres promesses: une "stimulation" du système immunitaire "en désintoxiquant l'organisme", assure un autre site internet qui propose ce type de service. "Cette allégation ne repose sur aucune étude scientifique conclusive", balaie la Direction générale de la santé (DGS), l'une des directions du ministère de la Santé.
"Aucun praticien ne réalise ce genre de prise en charge dont les effets ne sont pas démontrés", alerte auprès de BFMTV.com Armand Garioud, gastroentérologue et hépatologue au CHI de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) et président du conseil scientifique de l'Association nationale des hépato-gastroentérologues des hôpitaux généraux. Pauline Jouët, gastroentérologue à l'hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP) et professeure au Collège de médecine des Hôpitaux de Paris, partage le même avis.
"L'hydrothérapie du côlon ne stimule absolument pas le système immunitaire, ne favorise pas non plus le retour veineux et ne détoxifie pas. Il n'y a rien à détoxifier, je rappelle que les selles ne sont pas toxiques", insiste-t-elle pour BFMTV.com.
Également présidente du groupe français de neuro-gastroentérologie, une société savante qui associe médecins et chercheurs, Pauline Jouët rappelle que même dans les cas de constipation sévère, il reste très rare de procéder à un lavement -la technique est d'ailleurs très différente à l'hôpital.
"C'est quelque chose qui doit arriver deux ou trois par an dans mon service. La plupart des patients n'ont pas besoin de ça. On privilégie d'abord des laxatifs, il y a beaucoup de traitements possibles dans ce genre de situation", détaille-t-elle. "C'est du charlatanisme", tempête encore la médecin Claire Siret. "C'est grotesque, ça n'a absolument aucune vertu thérapeutique."
Cette représentante de l'Ordre des médecins dénonce une forme de manipulation. "Les personnes qui se tournent vers ce type d'offres sont déjà fragilisées, souffrant de colopathies, de troubles fonctionnels intestinaux pas faciles à soulager."
"Leur faire croire qu'on va les guérir, c'est de l'abus de faiblesse."
Sans compter qu'avec la pénurie de médecins, des patients souffrant de véritables pathologies pourraient ainsi être tentés de se tourner vers ce type d'offre plutôt que de consulter un médecin. "Parler d'un 'soin', proposer une 'consultation' pour faire le 'bilan', on est bien sur quelque chose de l'ordre du diagnostic", déplore Claire Siret. "La limite est franchie."
De l'exercice illégal de la médecine
Si l'offre d'hydrothérapie du colon se banalise, elle est pourtant illégale. La Direction générale de la santé est formelle: cette pratique "est un acte strictement médical", atteste-t-on à BFMTV.com, rappelant le code de la santé publique. Un acte qui est donc "réservé aux médecins" -bien qu'il puisse être également réalisé par des infirmiers diplômés d'État en application d'une prescription médicale.
La plupart des personnes qui proposent ces séances n'ont pourtant aucune compétence médicale ou pas suffisamment, comme l'a constaté BFMTV.com. Il s'agit le plus souvent de naturopathes, d'ostéopathes -l'une d'entre elles nous a même proposé une facture pour nous faire rembourser par notre mutuelle- ainsi que de "praticiens en hydrothérapie".
Une personne que nous avons contactée, qui se présente comme "praticienne en irrigation colonique et éducatrice de santé", ne nous demande pas lors d'un premier contact par téléphone si nous souffrons de troubles ou de maladies particulières, mais précise qu'un "point" sur notre alimentation serait fait durant une "consultation". Une autre nous interroge simplement sur l'état de notre transit. Et la plupart propose d'office de fixer un rendez-vous pour une séance.
On nous recommande également trois séances pour "libérer tout le côlon" parce qu'en une seule séance, "on ne peut pas tout nettoyer, trop de toxines remontent dans le sang". La même nous assure également qu'en cas "d'inflammation" du côlon -elle le "ressent" au toucher- elle nous proposera "un traitement", sans détailler lequel.
Sur leurs sites internets, certains évoquent "des recherches" sur le sujet -sans toutefois les mentionner clairement ni les sourcer- d'autres citent des noms de médecins réputés affirmant s'inspirer de leurs pratiques. Pour Claire Siret, la représentante du conseil national de l'Ordre des médecins, il y a "tromperie".
"Ils utilisent un langage médical, des termes médicaux pour donner l'impression de s'y connaître. C'est de l'escroquerie", s'indigne-t-elle.
"Tout professionnel non titulaire du diplôme d'État de docteur en médecine effectuant cette pratique s'expose à une condamnation pénale pour exercice illégal de la médecine", certifie la DGS. Soit deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende. Les naturopathes, ostéopathes, "praticiens en hydrothérapie" et infirmiers sans prescription médicale qui proposent ce type de service sont donc hors la loi et risquent des poursuites.
Dans son rapport "'Médecines' douces ou alternatives", la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) relevait en 2018 près d'une dizaine de cas potentiels d'exercice illégal de la médecine "concernant principalement des acupuncteurs, mais aussi des auriculothérapeutes et des professionnels exerçant l'hydrothérapie du côlon".
Philippe Courtois, avocat spécialisé en droit médical, va même plus loin. "En plus d'exercice illégal de la médecine, ces personnes pourraient également être poursuivies pour tromperie aggravée et publicité mensongère", juge-t-il. "Et ça relève du pénal."
Quel contrôle de cette pratique?
En 2013, une publicité en faveur d'une méthode d'hydrothérapie du côlon a été interdite par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), "considérant que les réponses fournies par la firme ne contiennent aucun élément scientifique permettant d'apporter la preuve de ces allégations".
Sur son site internet, l'individu qui en faisait la promotion assurait notamment que "la circulation, en particulier le retour veineux, est stimulée", que l'hydrothérapie était "efficace pour les ballonnements" et promettait une "détoxification générale de l'organisme". Ce type de propos se retrouve aujourd'hui largement sur les sites internet de ceux et celles qui proposent des séances. Quant à cette personne, dix ans plus tard, elle officie toujours.
Bien que ces prestations soient en principe illégales, ces cabinets semblent avoir la voie libre. La DGS précise cependant que "les services de l'État, et notamment les Agences régionales de santé (ARS), sont vigilants face aux alertes et signalements qu'ils sont susceptibles de recevoir". Comme des plaintes des patients ou des signalements de professionnels de santé ou des transmissions d'informations via la DGCCRF. Dans ces situations, "les ARS instruisent chaque signalement et le cas échéant, les poursuites peuvent être disciplinaires, administratives ou pénales".
Interrogée sur le sujet, une naturopathe répond ne pas savoir ce que dit la loi mais ajoute "ne jamais avoir eu de problèmes" depuis qu'elle a commencé à pratiquer l'hydrothérapie du côlon. Elle mentionne plusieurs années de travail aux côtés d'un médecin qui pratiquait l'hydrothérapie du côlon, avoir ensuite été formée pour ouvrir son cabinet, précisant que certains médecins lui envoient parfois leurs patients.
Une praticienne en irrigation du côlon et shiatsu, est quant à elle catégorique: sa pratique n'a rien de médical. Et insiste: elle n'est pas médecin, ne leur fait pas concurrence, ne propose pas de diagnostic ni de traitement. Et en cas de doute, elle précise d'ailleurs renvoyer vers un médecin. "Je n'ai aucune légitimité, il n'y a aucune ambiguïté sur ce point", se défend-elle.
Preuve en est, selon elle: elle ne parle de "patientèle" mais de "clientèle". Elle déclare également prendre le temps d'échanger avec ses clients avant toute séance afin de vérifier l'absence de contre-indications (maladie grave, traitement lourd...). "C'est un impératif pour moi de rester cadrée."
"Nettoyer les angoisses, la psyché"
Les défenseurs de l'hydrothérapie du côlon avancent également des arguments d'une autre nature. Selon eux, elle permettrait de "conscientiser l'aspect émotionnel et symbolique de l'intestin lorsqu'on a besoin de 'faire le ménage'", "nettoyer les angoisses" et les "émotions négatives" avec "l'effet d'une véritable 'mini-psychothérapie'".
Celui dont la publicité avait été interdite indique dorénavant que "l'hydrothérapie permet une évacuation des vieilles problématiques, puisque le côlon, extrêmement riche en neurones et en terminaisons nerveuses, est considéré comme une 'somatotopie' au même titre que l'iris, la plante des pieds ou l'oreille". Ajoutant que "l'irrigation du côlon permet donc de nettoyer la psyché".
Un autre écrit: "Il est préconisé de faire une irrigation du côlon au printemps, pour accompagner les énergies montantes du foie et de la vésicule biliaire (...) À l'automne, une irrigation va stimuler votre système immunitaire et vous prémunir contre les attaques virales hivernales."
Des propos qui inquiètent. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a ainsi pointé les risques liés à l'hydrothérapie du côlon dans un guide sur les dérives sectaires.
"Il est impératif de réglementer clairement cette pratique", appelle l'avocat Philippe Courtois. Claire Siret, la représentante du conseil de l'Ordre des médecins, n'a quant à elle pas de mots assez durs pour condamner cette pratique. "Ils rendent les choses confuses en surfant sur le retour au naturel et la défiance envers le monde médical. C'est dangereux."