"Tu peux baisser la clim?": avec la chaleur, le retour du bras de fer autour de la température au bureau

Des salariés dans un open-space (photo d'illustration) - Kenzo Tribouillard - AFP
Chaque été dès que les températures montent, Timothy fait le tour de l'open-space de son travail, à la recherche de fenêtres laissées ouvertes par ses collègues. Cet agent administratif à Montrouge (Hauts-de-Seine) raconte qu'en cas de fortes chaleurs, certains de ses collaborateurs n'ont pas la patience d'attendre que la climatisation refroidisse les locaux.
Timothy a beau leur expliquer qu'ouvrir les fenêtres est contre-productif car ça casse l'effet de froid, "ça a du mal à rentrer dans les têtes", râle ce Francilien de 45 ans. Ses collègues lui disent avoir tellement chaud qu'ils préfèrent entrouvrir les fenêtres pour "laisser passer l'air", bien que cela ait pour effet d'interrompre le système d'air conditionné.
"Tu peux baisser la clim, s'il te plaît?"
En guise de riposte, il prend désormais quelques minutes sur son temps de travail quotidien pour passer ostensiblement d'une fenêtre à l'autre et les refermer, une à une. "Je dois en soûler quelques-uns, car je fais ça assez bruyamment pour leur faire comprendre, même si je sais que tout sera sans doute rouvert derrière mon dos dans une ou deux heures".
Un bras de fer entre collègues qui s'exerce de façon plus ou moins légère dans les open-space français, dans le privé comme dans le secteur public. Si le code du Travail ne statue pas sur la température à maintenir dans les bureaux, il est précisé que celle-ci doit être adaptée au corps humain grâce à des courants d'air ou de la climatisation, autour de 30°C maximum pour une activité assise selon des experts.
"Tu peux baisser la clim, s'il te plaît?": cette petite phrase, Karim l'entend plusieurs fois par jour au sein de l'agence de télécommunications pour laquelle il travaille à Grenoble (Isère). Et pour cause là-bas, la clim est diffusée de façon unidirectionnelle et tout le monde n'a pas accès à l'interrupteur permettant de régler l'intensité de la ventilation. Ainsi l'air froid tombe tout le temps sur les épaules des mêmes collègues.
"Elles se plaignent souvent d'être régulièrement enrhumées à cause de la clim, c'est vrai", reconnaît Karim. "Même l'été, elles viennent avec des plaids et des gilets".
La température, source d'agacement au bureau
Denis Monneuse, chercheur en ressources humaines à l'université catholique de l'Ouest, confirme que la clim peut cristalliser des tensions et être "un irritant", c'est-à-dire "une source d'agacement qui revient assez souvent dans les entretiens individuels et peut nuire à l'ambiance au travail".
"La question de la température collective soulève des problématiques de vivre ensemble ainsi que des débats idéologiques entre collègues, notamment sur les questions d'écologie. Il peut aussi créer des tensions, voire des jalousies entre salariés lorsque les locaux sont climatisés de façon hétérogène", développe le chercheur.
"On voit surgir des questions qui peuvent paraître futiles, mais qui sont en réalité plus révélatrices que ce que l'on pourrait imaginer. Tout va être sujet à interprétation et certains vont se demander 'pourquoi tel service a une température adéquate alors que de notre côté on doit supporter d'avoir trop chaud toute la journée?"
D'autant que "tout le monde n'a pas la même sensibilité au chaud et au froid", note Robin, qui fait partie de ces collègues très sensibles au froid. Pour faire comprendre à ses collaborateurs de baisser la clim, ce stagiaire ingénieur de 20 ans a trouvé la parade: il tousse ou éternue fort avant de s'étonner oralement du froid qui règne dans l'open-space. "Ça ne manque pas, c'est comme un bâillement. À chaque fois dans la minute il y en a un qui va déclarer: 'C'est vrai qu'il fait un peu froid ici, non?'", remarque-t-il.
Un impact sur la concentration et sur la productivité
À l'inverse, certains supportent mal la chaleur et se voient contraints de mettre en place des stratagèmes pour ne pas souffrir sur leur temps de travail. C'est pour cela que Karim a récemment ressorti son petit ventilateur de bureau individuel, qu'il branche sur port USB.
"On a subi une panne de clim pendant une semaine, au moment des fortes chaleurs, c'était très désagréable", témoigne ce jeune Grenoblois de 28 ans, qui "transpirait à grosses gouttes" derrière son écran. "C'était système D: on essayait de faire des courants d'air, de fermer les volets, mais c'était un peu comme un four, on avait tous un peu de mal à se concentrer".
Plusieurs études, comme celle réalisée par des chercheurs américains du Massachussets, montrent que notre productivité et notre capacité de concentration sont étroitement liées à la température de notre lieu de travail. Selon le MIT, le Massachusetts Institute of Technology, notre productivité baisse de 1,5 point par degré supplémentaire au-delà de 15°C.
Le chercheur en ressources humaines Denis Monneuse s'étonne que l'air conditionné soit encore si instable dans de nombreuses institutions et entreprises en France. "On a la technologie pour envoyer des gens dans l'espace, mais on a encore du mal à avoir une clim qui marche en entreprise", regrette-t-il.
Une problématique perçue comme "un manque de reconnaissance"
C'est d'ailleurs le cas dans l'entreprise de Shue-Anne, une conseillère de vente de 30 ans, qui raconte que la température atteint facilement les 28°C sur son lieu de travail l'été, notamment à cause d'une panne de clim qui persiste depuis plusieurs années maintenant. "On est tous scandalisés et on trouve la situation inadmissible, mais on a beau faire remonter, rien ne change", déplore cette Parisienne.
"On baisse les stores et on ouvre la porte pour faire circuler l'air frais du couloir, mais ça ne suffit pas", déplore cette salariée. "L'excès de chaleur nous fatigue et nous ralentit forcément, mais ça nous donne l'impression que nos supérieurs ne se préoccupent pas de nos besoins".
En effet lorsque la problèmatique de la température ambiante n'est "pas considérée comme un sujet prioritaire par les managers ou la direction", cela est "souvent perçu comme un manque de reconnaissance" par les salariés. À savoir qu'au-delà de 33°C, il est possible d'aller consulter le médecin au travail qui jugera si l'état de santé du salarié est compatible ou non avec des températures ardentes.