À partir de quand est-on considéré obèse? Des spécialistes appellent à redéfinir les critères

Une femme assise le long de la plage face à la mer à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 1er décembre 2014 (photo d'illustration) - Théo Rouby/AFP
Comment diagnostiquer l'obésité? Et surtout, à partir de quand l'obésité est-elle considérée comme une maladie? Une commission composée d'une soixantaine de chercheurs internationaux, dont le rapport a été publié mercredi dans la prestigieuse revue médicale The Lancet Diabetes & Endocrinology, s'est penchée sur le sujet.
Pour ces experts, diagnostiquer l'obésité à partir du seul calcul de l'indice de masse corporelle (IMC) n'est pas pertinent, voire source d'erreurs. "L'IMC ne suffit pas à déterminer l'obésité", explique à BFMTV.com Karine Clément, professeure dans le service de nutrition à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et l'une des trois membres françaises de cette commission.
"Cela peut classer de manière erronée une personne comme ayant ou non un excès de graisse corporelle, conduire également à un sous-diagnostic de nombreuses personnes dont l'état de santé est dégradé et sur-diagnostiquer de nombreuses personnes en bonne santé", écrivent-ils.
Pour rappel, l'IMC s'obtient en divisant le poids par la taille au carré. Or, selon les standards actuels, une personne donc l'IMC se situe entre 25 et 29,9 est considérée en surpoids; à partir de 30 en situation d'obésité, indique l'Organisation mondiale de la santé qui considère qu'une personne sur huit dans le monde est obèse.
Or, certaines personnes qui présentent pourtant un excès de masse grasse n'ont pas toujours un IMC supérieur à 30. D'autres, qui ont un taux élevé de masse musculaire, peuvent avoir tendance à afficher un IMC supérieur à 30 malgré un taux de graisse dans la norme.
Obésité préclinique et obésité clinique
"Les joueurs de l'équipe de France de rugby ont un IMC supérieur à 30 et pourtant ils ne sont pas obèses", pointe pour BFMTV.com François Pattou, chef du service de chirurgie générale et endocrinienne au CHU de Lille et membre de la commission.
"L'enjeu, c'est d'aller plus loin que l'IMC", insiste Karine Clément, directrice d'une unité de recherche à la Sorbonne Université et à l'Inserm sur la physiopathologie de l'obésité et des troubles associés.
Pour ce groupe de chercheurs, il est important de nuancer le diagnostic et de prendre en compte l'état de santé global du patient afin de parvenir à faire la distinction entre obésité préclinique et obésité clinique.
Dans le premier cas, le patient présente en effet un excès d'adiposité mais sans symptôme, sans dysfonctionnement des organes et sans limitation dans ses activités quotidiennes -mais avec un risque accru pour la santé. Dans le second, l'obésité engendre bel et bien une réduction des capacités à mener ses activités quotidiennes, des symptômes et des dysfonctionnements des organes.
"L'obésité est toujours définie comme un excès d'adiposité, ça ne change pas", pointe pour BFMTV.com Jacques Delarue, professeur de nutrition à l'université de Brest et responsable du département de nutrition du CHRU de Brest. "Ce qui est proposé par la commission, c'est de différencier l'obésité préclinique de l'obésité clinique. On peut faire le parallèle avec le diabète et le prédiabète."
"L'obésité reste une maladie"
Ce qui inquiète Anne-Sophie Joly, fondatrice du Collectif national des associations d'obèses (CNAO), ne l'entend pas ainsi. Elle juge ces experts déconnectés d'une "réalité de terrain" vécue par les patients obèses. "C'est contre-productif sur le message de santé publique", dénonce-t-elle.
Des inquiétudes que Jacques Delarue, également président de la Société française de nutrition, comprend. "En France, l'obésité ne fait pas partie des pathologies qualifiées d'affection longue durée, c'est un vrai sujet pour les patients en situation d'obésité."
"L'obésité reste une maladie", assure François Pattou, également directeur du laboratoire de recherche translationnelle sur le diabète qui associe l'Université de Lille, l'Inserm, le CHU et l'Institut Pasteur de Lille.
"Mais on différencie deux stades: l'obésité préclinique qui ne nécessite pas les mêmes traitements que l'obésité clinique."
L'obésité clinique est alors définie comme "une maladie chronique, systémique, liée à un excès d'adiposité dans de nombreux organes et tissus dont les fonctions sont altérées", détaille l'Académie nationale de médecine en réaction à la publication de la commission.
"On confond encore facteurs de risque et maladie", poursuit Karine Clément. "Oui l'obésité peut être une maladie mais on peut tout à fait avoir un excès de masse grasse, ce qui est en effet un facteur de risque, sans que cela n'en soit pour autant au stade de la maladie."
Faire évoluer la prise en charge
Pour les chercheurs, il est donc impératif d'adopter une nouvelle approche diagnostique de l'obésité. Concrètement, ils estiment qu'il ne faut plus se fier uniquement à l'IMC qui ne reflète ni l'éventuel excès de graisse, ni l'état de santé général.
Les experts conseillent ainsi de prendre en compte d'autres mesures, comme le tour de taille, le rapport tour de taille/hanches ou encore le rapport tour de taille/taille. "On peut aussi avoir recours à une balance impédancemètre qui permet de mesurer la composition corporelle, masse musculaire, masse graisseuse", ajoute Karine Clément, également présidente de l'Association française d'étude et de recherche sur l'obésité.
En clair, en ce qui concerne le tour de taille, il est jugé trop élevé s'il est supérieur ou égal à 80 cm pour une femme, 94 cm pour un homme, précise l'Assurance maladie.
Si Jacques Delarue salue le travail des experts, il pointe cependant certaines limites. "Certaines méthodes pour mesurer l'excès de masse adipeuse ne sont pas disponibles dans les cabinets des médecins généralistes. Quant aux autres mesures, encore faudrait-il que des seuils par âge, sexe et ethnicité soient fixés."
Mais ce médecin reconnaît que ces nouvelles recommandations vont "pousser à faire évoluer nos pratiques". D'ailleurs, l'objectif de la commission, estime Karine Clément, en plus des enjeux de formation médicale, "c'est aussi de faire évoluer la prise de conscience et la prise en charge de la maladie".
Selon la dernière étude de Santé publique France qui définit l'obésité par un IMC supérieur ou égal à 30, quelque 17% des Français et des Françaises sont en situation d'obésité. Avec la nouvelle définition proposée, selon François Pattou, par ailleurs président de la Société française et francophone de chirurgie de l'obésité et des maladies métaboliques, "c'est 10% de la population française qui est concernée par l'obésité clinique". "On peut imaginer que moins de malades, c'est une meilleure prise en charge."