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Progrès ou trompe l'œil? Pour la première fois, il y a plus de femmes médecins que d'hommes en France

Une médecin et une psychomotricienne du service mobile de soins palliatifs au chevet d'une patiente de l'hôpital Antoine-Béclère de l'AP-HP, à Clamart le 27 mai 2025

Une médecin et une psychomotricienne du service mobile de soins palliatifs au chevet d'une patiente de l'hôpital Antoine-Béclère de l'AP-HP, à Clamart le 27 mai 2025 - Thomas SAMSON © 2019 AFP

Pour la première fois, le nombre de femmes médecins en activité a dépassé celui de leurs homologues masculins. De la première femme médecin en France en 1875 à nos jours, la féminisation de la médecine a connu de nombreux obstacles. Et la parité n'est pas forcément synonyme de progrès social.

C'est une première en France. D'après les données de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), publiées ce lundi 28 juillet, les médecins femmes sont désormais plus nombreuses que leurs confrères masculins. Au 1er janvier 2025, sur les 237.214 médecins en activité - dont 100.000 généralistes -, on recensait 118.957 femmes et 118.257 hommes. L'année dernière, on comptait 117.781 médecins hommes et 115.635 femmes médecins.

Les médecins femmes sont surreprésentées dans certaines professions, avec par exemple 97% de sage-femmes. La pédicure-podologie reste essentiellement une profession féminine, et elle "continue de rajeunir et de se féminiser" chez les chirurgiens-dentistes, toujours selon la DREES.

La bascule de la Première guerre mondiale

Comment expliquer cette féminisation du corps de métier? Il convient tout d'abord de revenir 155 ans en arrière. En 1870, Élizabeth Garrett, une Britannique, venue étudier en France, obtient son diplôme de médecin à l'université de Paris. Cinq ans plus tard, Madeleine Brès devient la première Française docteur en médecine, après avoir obtenu une mention très bien pour sa thèse sur le lait maternel et l'allaitement.

"Jusqu'en 1875, seules trois facs permettaient d'avoir un diplôme pour pratiquer la médecine: Strasbourg, Montpellier et Paris", rappelle à BFMTV.com Natalie Pigeard-Micault, historienne et directrice adjointe du Musée Curie.

Très progressivement, les écoles de médecine commencent à accueillir des femmes, mais en majorité d'origine étrangère. "La féminisation [de la profession, NDLR] a vraiment pu se faire grâce à l'immigration estudiantine parce que les Françaises n'avaient pas d'éducation secondaire", explique Natalie Pigeard-Micault.

L'un des moments de bascule est la Première Guerre mondiale. Des milliers d'infirmières sont envoyées à l'avant, et surtout à l'arrière, soigner les blessés.

"Elles vont découvrir qu'elles peuvent être utiles à la société, libres et indépendantes. Après la guerre, elles n'ont pas envie de retourner dans leur salon mais sont allées à la place faire des études", ajoute l'historienne.

Les femmes surreprésentées dans les métiers du "care"

Après la Seconde Guerre mondiale, la "démocratisation de l'enseignement supérieur", notamment lors des Trente Glorieuses, permet d'accélérer la féminisation du métier. Une mixité s'est alors mise en place, avec "un apogée dans les années 1990-2000". Mais depuis les années 2010, "on retourne dans une sexualisation des filières", analyse Natalie Pigeard-Micault.

Si les femmes sont désormais plus nombreuses que les hommes dans la profession, elles sont surreprésentées dans les métiers du "care" ("soin" en français), comme les sage-femmes, qui sont mis en opposition avec les métiers du "cure" (soigner), les chirurgiens par exemple.

Une majorité qui s'explique également en partie par des facteurs historiques. "Les premières femmes médecins considéraient que la médecine était le prolongement du statut de mère", explique Natalie Pigeard-Micault, jusqu'à refuser de traiter les hommes. Elles se sont spécialisées dans l'accouchement, les maladies des femmes et celles des enfants.

La surreprésentation des femmes dans le "care" tient également à des mécaniques de genre. "Inconsciemment, on dit aux petites filles que c'est valorisant de prendre soin des autres", ajoute l'historienne.

Plafond de verre ou progrès?

Les chiffres de la DREES sont-ils à analyser sous un prisme de progrès social? Autrement dit, a-t-on brisé un plafond de verre? Non, répond à BFMTV.com Christelle Rabier, maîtresse de conférences à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales). "Le métier de médecin est devenu disqualifié avec des conditions d'étude très dures et une mauvaise rémunération", analyse-t-elle. "On minimise le travail des femmes et leur succès. Même les femmes médecins qui pourraient servir de modèle sont invisibilisées", regrette-t-elle.

Une analyse que ne partage pas Marie-Pascale Schuller, pneumologue à Montgeron et autrice de Pionnières des soins et autres pionnières dans l'histoire des femmes. "Les femmes ont toujours été dans des métiers de soin", affirme la professionnelle, qui a commencé ses études de médecine en 1981.

À l'époque, elle estime la proportion d'hommes et de femmes à "60-40%" ou "65-35%". "La possibilité de faire des études supérieures s'est démocratisée, ce qui leur donne des possibilités de faire des métiers de soin plus valorisés. Elles peuvent faire le choix entre des métiers de soin plus pratiques ou plus intellectuels", ajoute Marie-Pascale Schuller.

Récemment, dans son cabinet qu'elle a ouvert en 2009 après un début de carrière dans l'industrie pharmaceutique, un homme lui a demandé: "où est le docteur?".

"En 16 ans de cabinet, ça a dû m'arriver deux fois, c'est dérisoire", pondère-t-elle, "ça m'arrivait beaucoup plus que j'étais étudiante".

Pour la pneumologue, qui voit "beaucoup plus de femmes médecins" qu'il y a 45 ans, il n'est pas question de dévalorisation du métier. "Il y a aussi une inertie dans les carrières hospitalières. Il faut attendre des départs à la retraite, pour que des femmes prennent la relève", affirme-t-elle.

Fanny Rocher