Trois (bonnes) raisons de dire merci à Jérôme Cahuzac

Hervé Gattegno - -
L’opinion est versatile et nous sommes à l’heure du zapping, ce qui explique que Jérôme Cahuzac n’est déjà plus un sujet d’intérêt. Après être passé pour l’ennemi public, il est privé de ses amis. Il n’a plus d’avenir politique et sa parole n’a guère de prix. Il n’empêche qu’à l’inverse d’autres politiques visés par des enquêtes, lui a avoué et démissionné. Et toute provocation mise à part, il faut le créditer de contribuer – parfois à son corps défendant – à éclairer le débat public sur des points importants. La justice statuera sur son cas mais on peut au moins lui rendre justice de cela.
Sur quels points, par exemple, trouvez-vous qu’il faut être reconnaissant envers Jérôme Cahuzac ?
La législative partielle que provoque sa démission a lieu dimanche : elle va clarifier les positions de l’UMP et du PS face au FN. C’est une circonscription où l’hypothèse d’un 2è tour UMP-FN est plausible. Si tel est le cas, le PS – qui croit voir partout des convergences droite/extrême-droite – devra choisir entre l’abstention et le « front républicain » (celui qu’a encore réclamé Harlem Désir après la mort de Clément Méric). Et il faudra voir comment l’UMP, dont les principaux chefs refusent l’accord contre le FN, gèrerait l’entre-deux tours. On sait en tout cas que si Jérôme Cahuzac n’avait pas renoncé à être candidat, le FN était carrément favori.
L’affaire Cahuzac a provoqué un grand débat sur la transparence de la vie politique mais il semble qu’on s’achemine vers un projet de loi minimaliste. Est-ce que ce débat est allé assez loin ?
Trop loin et pas assez. Un délire purificateur et exhibitionniste s’est emparé de l’opinion, des médias et des politiques et puis le ressac est arrivé et au total, on sera loin du grand déballage – tant mieux. D’un autre côté, le gouvernement aurait été bien inspiré de renforcer les moyens de contrôle sur le patrimoine des élus et sur les conflits d’intérêts ; là-dessus, le texte est très décevant. Le fait que le scandale soit limité – pour l’instant – à une fraude fiscale et à une faute personnelle a sans doute favorisé ce demi-enterrement. Les anciens amis et adversaires de Jérôme Cahuzac n’ont pas forcément à lui en être reconnaissants, mais certains doivent en être soulagés.
Il y a aussi le dossier de l’arbitrage Tapie, qui ne cesse de rebondir. Est-ce qu’on peut dire que Jérôme Cahuzac a joué un rôle important dans cette enquête ?
Décisif. C’est sur son impulsion et sur ses orientations que les socialistes ont saisi la CJR en 2011, et c’est cette initiative qui a permis de relancer les investigations sur l’arbitrage. C’est Jérôme Cahuzac qui avait mis en avant les conditions troubles dans lesquelles des dommages et intérêts considérables ont été ajoutés à l’indemnisation allouée à Tapie. A l’époque, le PS se rangeait derrière lui – Jean-Marc Ayrault le premier. Il ne s’agit pas pour autant d’excuser la faute (inadmissible) de Jérôme Cahuzac. Il faut simplement (re)dire qu’il n’y a pas d’un côté le mal absolu et de l’autre, la pureté absolue. Pour Cahuzac comme pour n’importe qui, on n’est pas obligé de choisir entre l’amnistie et l’amnésie.
Ecoutez ici le Parti Pris d'Hervé Gattegno de ce jeudi 13 juin.