Traité d'Aix-la-Chapelle: grand flou et querelle d'interprétations dans la classe politique

Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen - JOEL SAGET / AFP
La ville allemande d'Aix-la-Chapelle a hébergé ce mardi la signature d'un quatrième traité entre ses murs. Après la mouture de 1668 qui mettait fin à la guerre de Dévolution, puis celle de 1748 qui achevait la guerre de succession d'Autriche, mais aussi celle de 1818 qui obtenait un allègement des sanctions imposées à la France après la défaite de Napoléon, l'ancienne capitale de Charlemagne a cette fois vu Angela Merkel et Emmanuel Macron associer leurs noms.
Il s'agit de renforcer la coopération de la France et de l'Allemagne, ces deux voisins aux relations autrefois orageuses, notamment dans les terres jouxtant immédiatement leur frontière commune. Au long des 28 articles qui découpent l'accord, on parle de faciliter les projets franco-allemands dans ces territoires, notamment en matière d'environnement, d'économie et de transports. Il est aussi question de renforcer les relations entre les deux armées, d'échanger le "personnel de haut rang" entre missions diplomatiques.
"Quand c'est simple à comprendre"
Enfin, les deux partenaires affirment leur volonté d'installer l'Allemagne autour de la table du Conseil de sécurité, munie d'un statut de membre permanent. Elle en est jusqu'ici bien sûr écartée puisque ne bénéficient de ce statut que les cinq vainqueurs de l'axe germano-japonais en 1945: la Russie, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et la France.
C'est peu dire que la feuille de route d'Aix-la-Chapelle a soulevé la controverse ces derniers jours parmi ses détracteurs, ceux-ci dénonçant d'abord un manque de publicité autour du texte. Reprochant un "manque de transparence" et des discussions ouvertes dans la classe politique depuis seulement "deux ou trois jours", le député élu dans le Vaucluse, Thierry Mariani, s'est penché sur le sujet ce mardi sur notre antenne. Nouvelle recrue du Rassemblement national, dont il occupera la troisième position sur la liste aux européennes, il a enchaîné:
"Le traité est assez court, assez simple à comprendre, mais pour avoir siégé cinq ans à la Commission des Affaires étrangères, je sais que même quand c'est très simple, il y a souvent des idées derrière la tête. Il y a l'interprétation qui peut être faite du traité, et son usage".
L'Alsace au centre de la polémique
Et la querelle est déjà d'ampleur. A la droite de la droite, on note un certain nombre d'outrances ou de contre-vérités. Il faut dire qu'à l'origine, un eurodéputé de Debout la France, Bernard Monot, avait nourri les pires soupçons en assurant dans une vidéo qu'Emmanuel Macron comptait "livrer l'Alsace et la Lorraine à une puissance étrangère".
Dimanche, sur notre chaîne, le président de son parti, Nicolas Dupont-Aignan, avait laissé entendre que l'Alsace risquait désormais d'échapper à la législation française: "Le droit national doit s’appliquer en Alsace ! Rendons à l’Alsace sa région séparée du Grand Est. Je comprends l’identité alsacienne, mais je refuse un euro-district avec des lois séparées. Permettons à la France d’avoir sa politique sans être liée à l’Allemagne".
En usant d'un peu plus de précaution, Marine Le Pen a abondé dans le même sens dans une vidéo qu'elle a enregistrée pour Twitter: "Sous couvert de coopération transfrontalière, il est convenu de mettre en place des eurodistricts qui auront pour effet de placer l’Alsace, car c’est l’Alsace qui est visée, pour une part sous la tutelle de l’Allemagne." Selon elle, le document vise à "imposer le bilinguisme dans les écoles ou dans l'administration", constituant ainsi une "ingérence manifeste (...) contraire à notre constitution qui prévoit que le président de la République est le garant de notre souveraineté territoriale".
Article 13
Pourtant, si l'on se reporte à l'article le plus disert du traité du chapitre sur la "coopération régionale et transfrontalière", l'article 13, on ne lit nulle part mention d'une mise sous tutelle de l'Alsace.
Il est seulement précisé que "les deux États dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières comme les eurodistricts de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées". L'initiative est lancée dans le but de "de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier dans les domaines économique, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports." L'article prend d'ailleurs soin de s'inscrire dans "le respect des règles constitutionnelles respectives des deux États". En revanche, la question du bilinguisme est bien évoquée. "Les deux États sont attachés à l’objectif du bilinguisme", consigne l'article 15.
Un siège assiégé?
Ces personnalités critiques du traité d'Aix-la-Chapelle concentrent leur feu sur un second élément également: la volonté supposée de partager le siège de membre permanent de la France au Conseil de sécurité de l'ONU. "Emmanuel Macron veut aujourd’hui partager ce siège avec les Allemands. Ça signifie que la France ne s’exprimera plus dans le monde en son nom, de manière autonome, mais de manière négociée", a proclamé Marine Le Pen dans sa vidéo. "Emmanuel Macron commet un acte qui relève de la trahison. Une décision de cette nature ne peut passer que par un référendum et j’en demande expressément l’organisation", poursuivait-elle.
Son ex-allié au second tour de la présidentielle a lui aussi investi ce domaine. Nicolas Dupont-Aignan a ainsi écrit ce mardi: "Le Traité d'Aix-la-Chapelle va imposer à la France d'avoir le consentement de l'Allemagne avant chaque décision au Conseil de Sécurité de l'ONU. Cacher délibérément aux Français les négociations et conséquences d'un tel Traité, c'est une vraie trahison."
A gauche, Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France insoumise, et lui aussi circonspect à l'égard des institutions européennes, a toutefois contredit les dires de ses deux anciens adversaires de la présidentielle. Dans sa "revue de la semaine", partagée lundi sur YouTube, il a glissé: "Dans le texte, il n’est pas dit qu’on cède notre siège, c’est un bobard de raconter ça. Si on veut combattre intelligemment un texte, il ne faut pas lui faire dire des choses qui ne s’y trouvent pas." Cependant, se souvenant des propos tenus en novembre par le ministre des Finances allemand, appelant alors la France à "mutualiser" son siège avec l'Union européenne, il a ajouté: "Mais si c’est une manière de mettre le doigt dans l’engrenage pour dire qu’il y aura une présence européenne tournante au Conseil de sécurité alors moi je dis clairement c’est non".
Une priorité en question
Que dit explicitement l'accord franco-allemand nouvellement signé? Le caractère vague de celui-ci à ce stade laisse libre cours à une dose d'interprétation. A l'article 8, il pose que les deux Etats "coordonneront étroitement leurs positions, dans le cadre d’un effort plus large de concertation entre les États membres de l’Union européenne siégeant au Conseil de sécurité des Nations Unies et dans le respect des positions et des intérêts de l’Union européenne". A l'article 9, il est dit encore que "l’admission de la République fédérale d’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande."
Mais quel chemin pourrait prendre cette "priorité" pour se traduire dans les faits et aboutir à une "admission de la République fédérale d'Allemagne" autour de cette table où les places sont si chères? Un élargissement du nombre de membres permanents au Conseil de sécurité de l'ONU? Mais si cette option est rejetée, l'idée d'une mutualisation du siège français pourrait-elle se poser de nouveau? La dispute politique hexagonale en serait d'autant plus vive.