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Peut-on parler de convergence entre les gilets jaunes et les opposants au pass sanitaire?

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Dimanche, une étude de l'Ifop parue dans le JDD a exploré la parenté sociologique et politique unissant les gilets jaunes à l'actuel mouvement anti-pass sanitaire. Si la sympathie des premiers pour les seconds est indéniable, et si ce lien passe par des segments de la société comparables, des observateurs présents ce lundi sur notre antenne ont invité à la prudence.

"La France qui conteste le bien-fondé du pass sanitaire recoupe la France qui ne se fait pas vacciner, du moins pour le moment, mais aussi celle des gilets jaunes." Dans le JDD ce dimanche, Jean-Philippe Dubrulle, directeur d'études à l'Ifop, est affirmatif: oui, il existe une forme de parenté entre les gilets jaunes - qui ont commencé à manifester contre l'exécutif en novembre 2018 - et le mouvement anti-pass sanitaire, qui multiplie actuellement les manifestations en France. D'après les chiffres avancés par le ministère de l'Intérieur, 161.000 personnes ont ainsi protesté samedi contre le pass sanitaire, un chiffre supérieur à celui rencontré le week-end précédent.

Ressemblances sociologiques

Et ces protestataires, minoritaires au sein de la population, ne sont pas pour autant isolés. D'après l'étude de l'Ifop, réalisée entre les 20 et 21 juillet avant la nouvelle vague de manifestations de ce week-end, auprès d'un échantillon de 1002 personnes, 54% des soutiens des gilets jaunes se disent favorables au mouvement anti-pass (contre 35% au sein de la population générale). Un taux qui grimpe même à 69% parmi ceux qui se revendiquent eux-mêmes gilets jaunes.

Les catégories sociologiques les plus bienveillantes à l'égard du courant anti-pass sont aussi celles qui ont connu le plus de gilets jaunes en leur sein. Ainsi, il recueille 50% de soutien chez les artisans et commerçants, 47% chez les employés, 44% du côté des foyers modestes, voire pauvres. 46% des habitants des villes qui en comptent de 10.000 à 30.000 accordent aussi leur approbation au mouvement. Par ailleurs, il suscite un fort assentiment chez les jeunes: 51% des moins de 35 ans déclarent leur sympathie.

Mais une autre nature politique

De là à dire que des gilets jaunes aux anti-pass, il n'y a qu'un pas... un pas que les observateurs ne sauraient encore franchir selon le sociologue Michel Wieviorka ce lundi sur notre antenne. "Une mobilisation est toujours un mélange, qu'il faut savoir décomposer analytiquement", avertit-il d'abord. Si l'universitaire admet qu'en-dehors des préoccupations sanitaires, ou éthiques, le mouvement anti-pass est "aussi porté par de l'anti-Macron", il distingue:

"Le mouvement des gilets jaunes est lui un mouvement social. Ce sont d'abord des gens qui se dressent contre la hausse d'une taxe sur les produits pétroliers, qui disent: 'Je n'arrive pas à finir le mois, l'endroit où j'habite se désertifie, je n'ai plus de crèche, d'école, d'hôpital etc.'. Ce sont des gens qui d'abord mettent en avant ces critiques sociales, alors que le mouvement actuel n'est pas du tout social. Il a des dimensions notamment éthiques: 'Je ne veux pas qu'on mette en cause mon droit sur mon propre corps', et des dimensions de crainte pour la liberté, qui peut presque avoir quelque chose de libertaire."

La composition des cortèges ne permet pas, selon lui, de se faire une religion sur un alignement possible des anti-pass sur leurs prédécesseurs en contestation: "Des gilets jaunes circulent dans ces manifestations mais beaucoup ne sont ni concernés, ni impliqués." S'il tient à se garder de "faire des prédictions", Michel Wieviorka précise qu'il imagine "encore moins une convergence" à l'avenir entre les deux mouvements. 

"Cette compréhension exprimée dans le sondage du JDD a à voir avec la défiance, avec le fait que ce gouvernement n'a pas su rétablir la confiance de la société envers son action", note-t-il cependant.

L'illusion d'un phénomène franco-français

De surcroît, tracer une équivalence entre gilets jaunes et anti-pass tend à insuffler l'idée d'un phénomène strictement français, lié uniquement au paysage politique de l'Hexagone.

Or, les derniers mois poussent plutôt à voir dans le scepticisme voire l'hostilité envers les mesures sanitaires prises contre le Covid-19 une tendance internationale. Il y a notamment eu des émeutes aux Pays-Bas contre le confinement, des débats très vifs en Allemagne autour de la question du couvre-feu, ou contre le port du masque, tout comme aux Etats-Unis. L'Italie, qui renforce aussi l'utilisation de son pass sanitaire locale, a également rencontré d'importantes manifestations ce week-end.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV