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Politique

Mamère : « La Gauche est cabossée »

Noël Mamère était l'invité de Jean-Jacques Bourdin, mardi 2 octobre

Noël Mamère était l'invité de Jean-Jacques Bourdin, mardi 2 octobre - -

Politique intérieure, Grenelle de l’environnement, réformes institutionnelles… Noël Mamère, député de Gironde et maire de Bègles, ne se fait pas beaucoup d’illusions.


J-J B : Alain Juppé sera candidat à sa succession à la maire de Bordeaux et prône maintenant le mandat unique. Etes-vous d’accord avec ce mandat unique ?
N M : Disons qu’il le prône de manière un peu obligée mais il a raison de le prôner. Ça fait longtemps que les Verts proposent le non-cumul des mandats. Je suis dans le cas inverse puisque je suis à la fois député et maire, mais je serais prêt à abandonner l’un ou l’autre le jour où les petits partis politiques comme les Verts pourront être justement représentés à l’Assemblée Nationale, c’est-à-dire le jour où l’on se décidera à instaurer l’élection proportionnelle à l’allemande. Vous savez qu’en Allemagne, c’est une élection qui est pour moitié majoritaire et pour moitié proportionnelle. Ce qui fait par exemple qu’en 1997 les verts allemands avaient 51 députés et ont pu beaucoup compter dans le gouvernement. Ils ont même produit le plus grand ministre des Affaires Etrangères de l’après-guerre, Joschka Fischer. Je suis donc pour la limitation stricte du cumul des mandats, à condition que cela s’accompagne à la fois d’une réforme constitutionnelle sur le mode électif, et sur le statut de l’élu. Parce qu’aujourd’hui, la réalité c’est que le personnel politique français n’est absolument pas le reflet de la diversité sociale. Nous venons tous pratiquement du même milieu. Il y a très peu de carreleurs, de menuisiers, d’ouvriers dans le personnel politique y compris dans les municipalités. Quand on regarde l’Assemblée Nationale c’est effrayant. Il n’y a pas un ou une seule député(e) issu de la diversité.

J-J B : Regardons un peu l’actualité, Julien Dray et Jack Lang voulant accepter des missions pour le Gouvernement. Des distinctions qui s’affaiblissent entre la Droite et la Gauche, comment regardez vous tout ça ?
N M : J’espère qu’il ne s’agit que de rumeurs. En ce qui concerne Jack Lang, il a déjà mis un pied dedans. Pour Julien Dray, j’espère que ça restera des rumeurs. Je pense que l’objectif du président de la République est de brouiller les cartes et de faire comme si, effectivement, il n’y avait plus de frontière entre la Droite et la Gauche. C’est relativement facile de le faire aujourd’hui dans la mesure où la Gauche est dans une sorte d’impasse politique. Elle est sortie complètement cabossée de l’élection présidentielle. C’est la troisième fois que nous perdons une élection présidentielle. Donc aujourd’hui on est dans une espèce de queue de comète d’une Gauche qui ressemble beaucoup plus à la SFIO d’il y a quelques décennies qu’à une Gauche vivante et capable de proposer des alternatives. Ce qui réduit le débat à des questions d’hommes et où l’on voit un président de la République qui se comporte comme un prédateur et qui va grappiller quelques personnalités. Je pense que ce n’est pas bon pour la politique parce que ça donne le sentiment que l’on peut être indifféremment d’un coté ou de l’autre ou des deux côtés à la fois. Ça fait perdre de la légitimité à ce que nous disons.

J-J B : François Hollande nous disait hier qu’il faut travailler plus, vous êtes d’accord avec ça ?
N M : Je comprends ce que dit François Hollande, mais je trouve qu’il y a une certaine incongruité politique quand on est responsable de la Gauche, et notamment premier secrétaire du parti socialiste, à conforter le discours du président de la République. « Travailler plus pour gagner plus » est un slogan bon pour Jean-François Copé, qui est Président du groupe UMP, député et qui va dans un grand cabinet d’avocats… qui d’ailleurs a été chargé entre autre du rapprochement entre GDF et Suez.

J-J B : Ça vous choque ?
N M : Oui ça me choque parce que ça s’appelle des conflits d’intérêts. De la même manière que ça me choque d’avoir vu le président de la République aller passer trois jours sur le bateau de Bolloré, qui a des intérêts dans les médias : ça s’appelle de la corruption passive. Je suis donc extrêmement choqué par cela. Je crois que c’est une grande imposture que d’avoir fait croire aux français salariés qu’ils pourraient travailler plus. Il faudrait rappeler à François Hollande que la France est un des pays d’Europe et du monde dans lequel la productivité est la plus élevée. Un travailleur français travaille plus longtemps et plus qu’un travailleur allemand ou espagnol.

J-J B : Bernard Kouchner sera auditionné aujourd’hui par la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale sur les conditions de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien en Libye. Cécilia Sarkozy ne va pas comparaître. Est ce que vous trouvez que le travail parlementaire sur cette affaire est total ? Que dites vous quand Nicolas Sarkozy parle de réacteur nucléaire que l’on pourrait fournir à la Libye à des fins civiles, est ce que vous pensez que c’est logique ?
N M : Il y a plusieurs réponses à apporter à votre question, il y a différentes facettes. La première serait de comprendre comment Nicolas Sarkozy s’est transformé en une sorte de pourvoyeur de la prolifération nucléaire…

J-J B : Ça vous a choqué cette déclaration faite à la tribune de l’ONU ?
N M : Bien sûr que ça m’a choqué, d’ailleurs quand nous parlerons toute à l’heure du Grenelle de l’Environnement, on verra qu’on ne peut pas concilier les contraires. Qu’on ne peut pas d’un côté nous dire qu’il faut développer les énergies alternatives et l’efficacité énergétique et de l’autre, faire de la France le champion du monde nucléaire. Le nucléaire n’est pas une énergie propre, elle est sale, elle produit des déchets qui peuvent tenir plusieurs millions d’années, qui peuvent aussi faire l’objet de catastrophes à caractère irréversible. Ce qui m’a choqué, c’est que le président de la République a donné une sorte de contrepartie à ce qui n’était qu’un coup médiatique pour mettre en avant sa volonté politique et son épouse. Je trouve que le Parlement n’a pas de pouvoir dans cette affaire et que Mme Sarkozy devrait être entendue par la Commission d’enquête parlementaire. Elle ne le sera pas parce que, fait du prince, le Président a décidé qu’elle n’avait rien à dire.

J-J B : Et vous, parlementaires, vous pouvez l’obliger à venir ?
N M : On peut aller rechercher une ordonnance de 1958 qui pourrait permettre au Parlement d’entendre Mme Sarkozy, de l’auditionner. Sauf que nous sommes dans une situation où il y a une majorité pléthorique qui est à la botte du président de la République et il y a peu de chance que nous puissions auditionner Mme Sarkozy.

J-J B : Je crois que l’Elysée peut vous répondre par lettre ?
N M : Le problème n’est pas de savoir s’il doit répondre par lettre. Quand on met une opération de marketing politique de cette ampleur sur le dos des otages, en jouant avec le feu avec un dictateur sanguinaire et terroriste, je pense qu’on a des explications à apporter. Le Parlement aujourd’hui est considéré comme une sorte de subalterne dans le système des institutions françaises.

J-J B : Un mot sur ce qui se passe en Birmanie avec la Chine et la Russie qui ne bronchent pas et qui soutiennent ce régime dictatorial. Est ce qu’il faut aller jusqu’à brandir la menace des Jeux Olympiques de Pékin ?
N M : Déjà il n’y a pas besoin de la Birmanie pour demander le boycott des Jeux Olympiques de Pékin. Tant que les Chinois feront travailler des millions d’hommes et de femmes dans des camps de travail et que nous achèterons sans sourciller ce qui s’y fait. Tant qu’on acceptera qu’en Chine un syndicaliste peut être fusillé et que l’on fasse payer la balle à la famille. Tant qu’on acceptera ce genre de choses… rien ne se réglera.

J-J B : Mais que faut il faire alors, boycotter les produits made in China ?
N M : On boycott les produits birmans, déjà ! On essaie de faire en sorte d’aider ceux qui en Birmanie se battent pour la démocratie.

J-J B : Que dit-on à Total par exemple ?
N M : Total ça fait longtemps qu’on lui dit. Sauf que j’entends le président de la République qui dit qu’il faut que Total se retire. Mais c’est trop tard ! Nous savons très bien qu’il y a un ministre des Affaires Etrangères qui a rédigé un rapport qui était payé par Total, pour nous faire croire que tout se passait très bien. Il y a une association très active en France qui s’appelle Info Birmanie et qui essaie d’informer sur ce qui se passe là bas. Malheureusement dans notre métier de journalistes nous ne pouvons pas aller partout, il y ce que l’on appelle des zones d’ombre. La Birmanie, de ce point de vue, est un de ceux qui s’organise le mieux pour que l’on ne nous laisse pas nous approcher. Je suis d’ailleurs sûr qu’il y a beaucoup plus de victimes que ce qui est annoncé (ndlr : 10 morts officiellement).

J-J B : Vous participez au Grenelle de l’Environnement, ça va donner quoi ?
N M : D’abord, les Verts en tant que parti politique ne participent pas au Grenelle. Nous avons des experts qui sont dans les commissions. Je crains que ça ne donne pas grand chose, et je le regrette.

J-J B : Pourquoi ?
N M : Parce que si l’on veut mener de vraies politiques publiques dans le sens de la lutte contre l’effet de serre, du développement durable, d’une croissance propre, il faut y mettre les moyens et cela demande de l’argent.

J-J B : Pourquoi ne pas être plus positif autour de ce Grenelle de l’Environnement ?
N M : Je ne demande qu’à être positif. Je suis le premier à rêver que ce Grenelle de l’Environnement débouche sur de grandes politiques des transports et de l’énergie. Sauf que je regarde le budget et l’argent n’est pas investi pour ça. Je vais vous donner le scénario de ce qui va se passer avec le Grenelle : Jean-Louis Borloo va interdire provisoirement une variété d’OGM. Certains seront ravis sauf que c’est un leurre. D’abord on demandera un moratoire, et une fois qu’on aura les yeux fixés sur les OGM, on ne verra pas tout ce qu’il y a ou non autour. Par exemple, rien n’a été dit sur la question de l’eau, ce qui est assez étonnant quand on sait par exemple que la Bretagne est très largement polluée.

J-J B : Finalement la venue de Jean-Louis Borloo n’a servi à rien ?
N M : Je ne dis pas ça. Je pense que le Grenelle de l’Environnement a un mérite, c’est d’avoir fait se parler des gens qui ne se parlaient pas, qui s’évitaient, et ça c’est bien. Malheureusement après la phase du dialogue et de l’échange, on risque de se retrouver avec des décisions qui ressembleront à du bricolage.

La rédaction-Bourdin & Co