Loi "Sécurité globale": après la polémique, quelles prochaines étapes attendent l'article 24?

Difficile d'y voir tout à fait clair. Alors qu'il essaie d'éteindre l'incendie déclenché il y a maintenant deux semaines par la proposition de loi (PPL) sur la "Sécurité globale", l'exécutif doit laisser la main au Sénat. Adoptée le 24 novembre, la PPL - et son controversé article 24 - est désormais embarquée dans ce qu'on appelle la "navette" parlementaire. Dès lors que le texte a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale, il n'y a pas moyen de l'y faire revenir avant que la Chambre haute l'ait débattu d'une manière ou d'une autre.
Or, ce mercredi matin sur BFMTV-RMC, le Premier ministre Jean Castex a précisé à juste titre que la proposition de loi "n'arrivera au Sénat que mi ou fin janvier". Ce décalage, très classique, a deux explications: d'abord, les vacances parlementaires démarrent le 18 décembre et courent jusqu'au 5 janvier. Ensuite, d'ici l'interruption des travaux du Sénat, celui-ci sera occupé par l'examen du Budget 2021, qui nécessite toujours beaucoup de temps.
Calendrier chargé
En janvier, la Chambre haute risque également d'avoir un agenda bien chargé. Le gouvernement compte adopter dès décembre en Conseil des ministres - en plus de son projet de loi "confortant les principes républicains", qui porte sur le séparatisme islamiste - son texte sur le report à juin des élections départementales et régionales.
Bénéficiant d'un large consensus au sein de la classe politique, ce projet de loi sera rapidement traité par l'Assemblée nationale en première lecture. Il pourrait donc être examiné dès janvier par le Sénat, où il faut rappeler que la droite (Les Républicains, LR) et le centre (Union centriste) sont majoritaires. La République en marche n'y compte qu'un menu groupe de 23 élus. Si LaREM et ses alliés dominent la vie politique du fait de leur supériorité numérique à l'Assemblée nationale, ils ne sont au Sénat qu'une force d'appoint, qui change de posture au gré des textes discutés.
Le co-rapporteur du texte sur la "Sécurité globale" à la Chambre haute, le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, a indiqué au lendemain du vote au Palais-Bourbon qu'il visait un début d'examen le 20 janvier en commission des Lois du Sénat. Dès lors les débats en séance publique ont de fortes chances de déborder sur le mois de février.
Mainmise de LR sur les débats
C'est à cette étape que, concernant la Chambre haute, plusieurs scénarios sont envisageables. Leur déroulement dépendra beaucoup de la stratégie adoptée par LR. À supposer que l'exécutif et LaREM choisissent de laisser la main au Sénat durant cette période, celui-ci pourrait - s'il était taquin - adopter l'article 24 de la PPL "Sécurité globale" sans le modifier. Ce serait un vote dit "conforme", qui empêcherait l'Assemblée nationale de le réécrire rapidement, ravivant ainsi la polémique.
Heureusement pour le gouvernement, la droite sénatoriale a déjà exprimé sa volonté d'inscrire sa patte sur un texte initial qu'elle juge écrit "avec les pieds". Hypothèse écartée, donc.
Il y a ensuite l'hypothèse du consensus LR-LaREM, plus plausible mais improbable. À savoir, un scénario où, dans leur quête d'un pied de nez à Emmanuel Macron, les troupes de Bruno Retailleau rédigent une version de l'article 24 qui convienne à la fois aux journalistes et aux forces de l'ordre. Une version si équilibrée que les marcheurs se verraient obligés d'y agréer.
Commission mixte paritaire
Comme il s'agit d'un texte qui passe en procédure accélérée, une nouvelle étape survient dès son adoption par le Sénat en première lecture: celle de la commission mixte paritaire (CMP). Comme l'a opportunément rappelé mardi le président du Sénat, Gérard Larcher, le gouvernement peut choisir de la convoquer s'il y a désaccord persistant entre les deux chambres.
La CMP réunit sept sénateurs et sept députés, ainsi que les présidents de la commission saisie pour examiner le "fond" du texte à l'Assemblée et au Sénat. Pour la PPL "sécurité globale", il s'agit de la commission des Lois, donc respectivement de la LaREM Yaël Braun-Pivet et du LR François-Noël Buffet. Les rapporteurs parlementaires du texte sont également conviés.
Admettons que tous se mettent d'accord sur un même texte; car oui, la CMP ne peut pas se contenter de présenter un accord seulement sur l'article 24. C'est le texte entier, ou rien. S'il y a une version consensuelle, le gouvernement peut décider de soumettre celle-ci aux deux chambres pour un ultime examen. Particularité de cette phase: les nouveaux amendements au texte doivent être approuvés par l'exécutif.
Si, scénario plus probable, il n'y a pas d'accord, la navette repart de façon normale, notamment s'agissant du droit d'amendement. À son retour à l'Assemblée nationale, le texte est à nouveau entre les mains de LaREM, qui peut suggérer un amendement à l'article 24 qui serait plus apte à satisfaire les parties concernées.
"Si en CMP il n'y a pas d'accord sur le texte mais pendant les débats, Braun-Pivet entend une nouvelle rédaction convenable de l'article 24, elle peut la soumettre sous la forme d'un nouvel amendement à l'Assemblée au retour du texte", résume une source parlementaire.
Loi séparatisme, même blocage?
Quand bien même cette "nouvelle version" de l'article 24 conviendrait à toutes les composantes de la majorité ainsi qu'aux professions concernées, la macronie butterait sur un dernier élément. Pendant que le Sénat examinera la PPL "Sécurité globale", il y a un fort risque que l'Assemblée nationale, elle, sera en train de débattre du projet de loi sur le séparatisme. Or, ce dernier est d'une importance politique bien plus grande pour le chef de l'État.
"C'est un petit sujet que personne ne voit venir", s'inquiète-t-on au groupe LaREM. Et c'est peut-être de cela qu'il s'agit lorsque Jean Castex, ce mercredi matin sur BFMTV, évoque le fait que le gouvernement "retravaillerait" de son côté, dans sa globalité, les rapports entre médias et forces de l'ordre.
En effet, dans ce texte "séparatisme" se niche une disposition similaire à l'article 24 de la PPL: son article 25 qui, comme l'explique le site d'actualité juridique Dalloz, crée un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à sa vie privée ou professionnelle dans le but de l’exposer "à un risque d’atteinte" à son intégrité physique ou à ses biens.
La pénalisation sera indépendante de la commission de cette atteinte. Par ailleurs, les peines sont aggravées lorsqu'il s'agit d'une "personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service publique". C'est du moins ce qu'il y a d'inscrit dans l'avant-projet de loi.
Reste à savoir si la version adoptée en Conseil des ministres le 9 décembre sera identique. Si elle l'est, la polémique risque de l'être aussi. Elle polluerait un texte qui aborde des sujets allant bien au-delà de la diffusion d'images de forces de l'ordre en intervention. Par ailleurs, calendrier oblige, les deux textes se chevaucheraient: tandis que la PPL "Sécurité globale" sera aux mains des sénateurs, l'Assemblée nationale examinera la loi sur le séparatisme. Ce téléscopage risque de donner un léger tourni.