La transparence n’est pas un idéal… mais un cauchemar !

Hervé Gattegno - -
C’était prévisible et les efforts de François Hollande n’y changent rien : avec le choc de l’affaire Cahuzac, on voit monter une exigence de vertu qui revient à passer d’un excès à l’autre : là où l’on s’accommodait jusqu’ici (à tort) de règles générales et de sanctions assez théoriques, il faudrait maintenant savoir en détail ce que possède chaque élu, s’il a fait des emprunts, s’il a hérité, s’il détient un ou plusieurs biens, seul ou avec sa femme… C’est une posture inutile parce qu’elle n’interdit pas le mensonge ; et dangereuse en ce qu’elle expose les élus à une curiosité malsaine et à la suspicion généralisée. C’est confondre l’intégrité avec l’intégrisme.
Est-ce que ce n’est pas une exigence démocratique que les citoyens puissent connaître la situation de fortune de ceux qui les dirigent ?
La démocratie exige de la transparence, pas la transparence absolue. Quelle usage sera fait de ces informations ? On le devine déjà : à désigner à la vindicte les élus dont le patrimoine sera jugé trop important, sans qu’on sache d’ailleurs par rapport à quel critère. En tout cas, aucune fraude ne pourra être constatée grâce à ces déclarations – Jérôme Cahuzac en avait rempli une : c’est le montant du patrimoine qui sera jugé et non son origine. On sait que les Français ont le fantasme d’une vie politique peuplée de saints faisant vœu de pauvreté : de ce point de vue, il sera toujours mieux vu de déclarer un capital modeste plutôt qu’une fortune, même acquise en toute légalité.
Mais alors comment rétablir la confiance envers les politiques ? Vous suggérez de ne rien faire ?
Il y a une double priorité : un plan national de lutte contre la fraude fiscale, avec moyens renforcés et sanctions aggravées (ce serait moins populaire qu’on fait semblant de le croire) ; un contrôle accru et permanent sur les responsables publics – mais sans plus de publicité que les enquêtes financières classiques. Surtout, François Hollande doit porter au niveau européen la lutte contre les paradis fiscaux et les zones grises de la finance internationale – il l’avait promis avec force, il y a renoncé par faiblesse… Mais ce sera toujours mentir que de faire croire qu’une loi peut éradiquer la corruption.
Est-ce qu’on peut conclure de l’affaire Cahuzac que les médias ont un rôle à jouer dans la vigilance nécessaire envers les politiques ?
C’est certain. Un rôle de vigilance démocratique, d’enquête, de contradiction ; mais aussi de mesure, de tempérance. Que Libération ait mis en cause Laurent Fabius de façon hypocrite et sur la base d’une rumeur, relève d’un emballement inquiétant. La dévotion générale envers le collectif de journalistes US qui publie les noms de ceux qui ont placé de l’argent à l’étranger va dans le même sens : on ne distingue plus les opérations illégales des autres – le critère n’est pas éthique mais géographique. Et dans l’affaire Cahuzac, Mediapart a cité le contenu de mails personnels de Jérôme Cahuzac sans en préciser l’origine. C’est un procédé qui fait froid dans le dos. Il ne faut pas confondre l’investigation et l’inquisition. La société démocratique doit être lucide, pas translucide.
Ecoutez ici le Parti Pris d'Hervé Gattegno de ce lundi 8 mars.