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Politique

La défaite des Premiers ministres en exercice à la présidentielle, une véritable tradition

Le 6 mai 2002, Lionel Jospin remettait sa démission à Jacques Chirac.

Le 6 mai 2002, Lionel Jospin remettait sa démission à Jacques Chirac. - PATRICK KOVARIK - AFP

Jacques Chirac, Edouard Balladur, Lionel Jospin...tous ont décidé de conserver leur poste de Premier ministre tout en participant à une élection présidentielle, tous ont perdu. Manuel Valls ne veut pas faire la même erreur.

Contrairement à une idée reçue, non, Georges Pompidou n’est pas le seul Premier ministre en exercice à avoir réussi à devenir président de la République. Ce n’est pas vrai pour la bonne et simple raison qu’au moment où le général De Gaulle, dont il fut le chef de gouvernement pendant six années, démissionne, faisant d’Alain Poher l’intérimaire le plus prestigieux de l’histoire de France, ça fait un an déjà que le normalien a laissé Matignon à Maurice Couve de Murville.

Tant mieux pour lui car, sous la cinquième République, cumuler les casquettes de Premier ministre et de candidat à la présidentielle apparaît comme une garantie d’échec. Manuel Valls, qui s’apprête à annoncer sa candidature à la primaire de la gauche et à mettre fin à ses fonctions, a ce constat en tête.

Le fusible de la Ve République

En un sens, le seul chef de gouvernement qui soit jamais parvenu à transformer l’essai présidentiel depuis l’Hôtel Matignon s’appelle…Charles De Gaulle. Mais la situation n’est pas comparable avec les suivantes. Tout d’abord, conformément aux institutions d’une IVe République finissante, le président de la République René Coty nomme l’officier président du Conseil et non Premier ministre. Puis, c’est grâce au suffrage indirect, assumé par un collège de grands électeurs, qu’il devient officiellement, le 8 janvier 1959, chef de l’Etat.

La constitution mise en place par les gaullistes explique cependant la "malédiction" des Premiers ministres cherchant à passer le cran du dessus. En effet, si la Ve République ménage un grand pouvoir au Président, celui-ci est avant tout le chef des armées et le maître de la diplomatie française tandis que son chef de gouvernement est en première ligne au quotidien face aux événements politiques, économiques et sociaux. Plus exposé à la colère de l’opinion publique, le Premier ministre a une réputation, voire une vocation, de "fusible" auprès d’un président de la République qui n’hésite pas à le faire sauter pour se donner un peu d’air dans une mauvaise passe.

Jacques Chirac, ou quand l'élève devient le maître

Certes, Jacques Chirac n’a pas été démis par François Mitterrand en 1988 (ce dernier prenant même un malin plaisir à lui rappeler lors du débat de l’entre-deux tours qu’il est toujours le pensionnaire de Matignon) mais il a été le premier à sentir les effets du handicap incombant à un Premier ministre dans l’élection suprême. Deux ans après avoir vu son camp perdre les législatives, François Mitterrand triomphe au second tour de la présidentielle en battant Jacques Chirac avec 54% des voix.

Jacques Chirac n’est pas fou et retient la leçon. Il le prouve cinq ans après lorsque la droite remporte très largement les législatives et évince tout à la fois Pierre Bérégovoy et les socialistes des leviers du pouvoir. Alors que le maire de Paris est toujours le chef à peu près incontesté de son camp et qu’il paraît probable qu’il s’installe pour la troisième fois de sa carrière politique à Matignon (après les périodes 1974-1976 sous Valéry Giscard d’Estaing et 1986-1988 sous François Mitterrand donc), il délègue la mission à son "ami de trente ans", ou peu s’en faut, Edouard Balladur.

Cet ancien collaborateur de Georges Pompidou, comme lui, s'enivre bientôt des chiffres jaugeant les intentions de votes des Français dans la perspective de l’après-Mitterrand. Voyant leur champion porté très haut par les sondages, les partisans d’Edouard Balladur se mettent à rêver tout haut d’une "victoire au premier tour". L’espoir d’un succès présidentiel est d’autant plus raisonnable que Jacques Chirac est alors sur le flanc et que la gauche a peu de chance d‘obtenir un troisième septennat de suite de la part des Français.

Pourtant, Edouard Balladur, qui choisit de garder les rênes du gouvernement, observe sa popularité décliner en quelques mois jusqu’à se faire dépasser par Jacques Chirac à l’issue du premier tour de la présidentielle de 1995.

Lionel Jospin commet à nouveau l'erreur...pour la dernière fois? 

Avec 23,30% des suffrages exprimés, le prétendant socialiste Lionel Jospin figure d’ailleurs très bien dans la compétition et prend la tête de la première manche du scrutin. C’est tout naturellement que le Premier secrétaire du PS dépose ses malles à Matignon en 1997 consécutivement à une dissolution de l’Assemblée nationale providentielle pour la gauche.

La plus longue cohabitation de la Ve République prend malgré tout fin avec son élimination dès le premier tour. La démobilisation de l’électorat mais surtout l’éparpillement des ambitions au sein d’une gauche dont de nombreuses composantes critiquent l’exercice gouvernementale de l’équipe Jospin permettent à Jean-Marie Le Pen de déborder le socialiste au premier tour de l’élection de 2002.

Lionel Jospin est le dernier à n’avoir pas renoncé à son fauteuil de Premier ministre pour essayer d’être élu président de la République. Depuis ni Dominique de Villepin, ni François Fillon en 2012 n’ont été en mesure de tenter la bascule. La défaite de Lionel Jospin a légué un souvenir douloureux à la classe politique, au point que le signe indien de Matignon est peut-être définitivement devenu un repoussoir.

Manuel Valls a la mémoire longue

Manuel Valls, pour sa part, n’a rien oublié du fossé qui sépare les deux palais. Il a une bonne raison de faire preuve de mémoire. A compter de 1997, il dirige la communication du Premier ministre et a la haute main sur le bureau de presse de Matignon. Il est très proche de Lionel Jospin qui s’affirme comme son second père en politique, comme le remarque L’Obs, après Michel Rocard. Il quitte cependant cette position pour prendre les commandes la mairie d’Evry (Essonne) en 2001.

Le 21 avril 2002, l’ancien chargé de communication enregistre cependant le message de l’électorat décidément rétif à voir un chef de gouvernement batailler lors de la présidentielle. Quatorze ans plus tard, Manuel Valls va donc choisir de partir plus léger à l’assaut de la primaire avant, éventuellement, d’aborder la présidentielle.

Robin Verner