Il y a bien eu trahison à Florange... mais pas celle qu'on croit

Hervé Gattegno - -
On peut avoir une lecture simpliste l’accord de Florange : les emplois sont sauvés et il n’y a pas de nationalisation – donc Arnaud Montebourg a hurlé pour rien et Jean-Marc Ayrault a imposé la sagesse. Il y a aussi une lecture plus circonspecte : les hauts fourneaux restent à l’arrêt et l’investissement promis par Mittal (180 millions d'euros), c’est moins que ce qu’il avait promis en 2009 (à Nicolas Sarkozy) et qu’il n’a jamais versé. On comprend que les ouvriers soient méfiants : ils ont cru que cette fois, le gouvernement refuserait de s’en tenir aux engagements de Mittal. C’est pourtant ce qui s’est passé. Et s’ils connaissaient les termes de l’accord, ils seraient non seulement soupçonneux, mais furieux.
Y-a-t-il des clauses secrètes dans cet accord ?
Au moins une. Et pas anodine. En toute discrétion, Jean-Marc Ayrault a négocié avec Mittal la garantie du maintien de l’activité d’un autre site du groupe : l’usine de Basse-Indre, tout près de Nantes, qui fabrique des emballages métalliques – et qui se trouve dans la circonscription de Jean-Marc Ayrault ! Il y a 600 salariés, qui ont connu une période de chômage partiel en 2011 à cause de la baisse des commandes. Visiblement, Jean-Marc Ayrault a pensé à eux en discutant avec Mittal. Peut-être plus qu’aux hauts fourneaux de Florange. Mais personne n’était censé le savoir : l’accord n’a pas été rendu public – on se demande bien pourquoi.
Est-ce à cause de cet arrangement caché que Jean-Marc Ayrault a désavoué Arnaud Montebourg et repoussé la solution de la nationalisation ?
Il y a surtout une divergence d’orientation politique. Arnaud Montebourg voulait réellement la nationalisation temporaire pour écarter Mittal et pour envoyer un message de fermeté aux multinationales. Jean-Marc Ayrault, lui, ne voulait pas fragiliser sa position vis-à-vis du patronat, qu’il juge plus favorable depuis le « pacte de compétitivité ». Et puis il y a une inimitié persistante entre eux. Elle s’est bien vue quand Jean-Marc Ayrault a voulu humilier Arnaud Montebourg en annonçant l’accord avec Mittal sans même le citer, en disant que son dossier de reprise n’était « pas crédible » – ses proches ont ensuite distillé les commentaires « off » dans la presse sur son désaveu. C’est une attitude assez curieuse pour un chef de gouvernement envers un de ses ministres.
Arnaud Montebourg est-il un des perdants de cette affaire ?
C’est évident. Il y a eu une bataille au sein du gouvernement : il l’a perdue. Samedi, il était prêt à en tirer les conséquences : il a présenté sa démission et François Hollande l’a refusée. Ensuite l’Elysée a donné des ordres et les gestes d’apaisement ont plu : communiqué de Jean-Marc Ayrault pour lui rendre hommage, interview au Républicain Lorrain pour dire qu’il a bien fait de « hausser le ton » ; et tous les ministres ont été priés de répéter que sans ses efforts, les emplois n’auraient pas été sauvés – c’est sans doute vrai. Donc Montebourg a perdu du crédit. Mais il peut se consoler en se disant qu’il a redonné de la modernité à l’idée de nationalisation : il a reçu beaucoup de soutiens en ce sens, même au centre et à droite. Il a dit sur TF1 qu’il reste à son poste de travail et de combat. En clair : il veut continuer à travailler pour l’industrie ; et il est probable que son combat, lui, est à l’intérieur du gouvernement.
Ecoutez ici le Parti Pris d'Hervé Gattegno de ce lundi 3 décembre.