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TOUT COMPRENDRE. Perrier, Vittel... Pourquoi l'Élysée est mis en cause dans le scandale des eaux minérales Nestlé

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Une commission d'enquête parlementaire affirme que l'Élysée a "ouvert les portes" de certains ministères à Nestlé, multinationale accusée d'avoir filtré et "désinfecté" de manière illégale ses eaux en bouteille Perrier, Vittel ou encore Contrex... Mais le secrétaire général du palais, Alexis Kohler, préfère garder le silence.

Mise en cause dans le scandale des eaux en bouteille, la présidence de la République est accusée par une commission d'enquête sénatoriale d'avoir entretenu des liens étroits avec Nestlé tout en sachant, "au moins depuis 2022" que l'entreprise "trichait" sur la qualité de ses eaux.

Convoqué, le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler a joué la politique de la chaise vide, agaçant les sénateurs qui dévoilent de façon inédite tous les documents en leur possession.

· D'où est partie l'affaire Nestlé?

Visé début 2024 par des révélations du Monde et de Radio France, Nestlé Waters, filiale du géant suisse de l'agroalimentaire, avait reconnu avoir eu recours à des techniques interdites pour maintenir la "sécurité alimentaire" de ses eaux minérales (microfiltration en deçà des seuils, charbon actif, ultra-violet...)

Le groupe, propriétaire en France des marques Vittel, Contrex et Hépar, puisées dans les Vosges, et Perrier dans le Gard, a accepté en septembre 2024 de payer une amende de 2 millions d'euros pour échapper à un procès, après une plainte de l'association Foodwatch.

Citant des "échanges de mails et de notes ministérielles", Le Monde et Radio France ont affirmé que le gouvernement avait dès 2023 "privilégié les intérêts de Nestlé au détriment des consommateurs" en accordant au groupe des dérogations sur l'usage de microfiltres.

Comment l’eau en bouteille Nestlé a-t-elle été contaminée?
Comment l’eau en bouteille Nestlé a-t-elle été contaminée?
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Une note du 20 janvier 2023 du directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon, avait pourtant recommandé de "suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites Nestlé des Vosges" et d'étendre cette interdiction "au site d'embouteillage de Perrier (à Vergèze, dans le Gard)".

· Que dit la commission d'enquête sur l'implication de l'Élysée?

Lancée en décembre 2024, une commission d'enquête sénatoriale sur "les pratiques des industriels de l'eau" et leur contrôle par les pouvoirs publics a auditionné près de 100 personnes, dont trois ministres et anciens ministres. Le but: "établir une véritable transparence sur un dossier qui n'a cessé de faire l'objet de dissimulations", selon son président Laurent Burgoa (LR).

Le rapporteur Alexandre Ouizille (PS) a détaillé mardi 8 avril l'intense lobbying de Nestlé auprès de l'Élysée, qui a selon les conclusions de la commission "ouvert ses portes" à la multinationale entre 2022 et 2024, tout en ayant connaissance de ses pratiques illégales.

"La présidence de la République était loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé. Au contraire, les contacts sont fréquents et l'Élysée ouvre les portes de certains ministères au groupe suisse. La présidence de la République savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis plusieurs années", a déclaré le sénateur socialiste.

"Elle avait conscience que cela créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers. Elle avait connaissance des contaminations bactériologiques voire virologiques sur certains forages", a assené Alexandre Ouizille en citant certains passages de notes internes.

Un courriel de fin 2024, reçu par Alexis Kohler d'un conseiller de la présidence, évoque pour Perrier dans le Gard des "sources de plus en plus régulièrement polluées, notamment de source bactériologique et en partie de matières fécales". Il mentionne aussi de possibles "problèmes entre les marques: ceux qui ont une eau pure n'ont pas intérêt à ce que leurs concurrents puissent utiliser des techniques de purification".

Les contacts se sont poursuivis jusqu'à récemment. "Le 10 octobre 2024, alors que la proposition de commission d'enquête au Sénat existe déjà, le secrétaire général de l'Élysée reçoit le nouveau directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, accompagné de Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters", a poursuivi Alexandre Ouizille.

Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé, a déploré que "cette situation héritée du passé, n'est absolument pas en adéquation avec nos valeurs d'entreprise".

"Je souhaite réitérer mes plus sincères regrets pour cette situation qui n'était pas en phase avec les valeurs de notre groupe", a-t-il poursuivi au Sénat.

Il a estimé que son groupe "a fait ce qui devait être fait pour mettre un terme à ces pratiques". "Nous entendons poursuivre la collaboration avec la justice pour clarifier ce qui doit l'être", a indiqué Laurent Freixe.

Après les révélations en début d'année 2024, Emmanuel Macron avait démenti être au courant du dossier, ajoutant qu'il n'y avait eu ni "entente", ni "connivence".

· Pourquoi Alexis Kohler refuse-t-il de parler?

La commission devait auditionner le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler, démissionnaire, mais celui-ci a décliné en invoquant la "séparation des pouvoirs". Un motif qu'il avait déjà utilisé pour rejeter la convocation de la commission d’enquête sur le dérapage des comptes publics, en février dernier à l’Assemblée nationale, relève Public Sénat.

Son audition a été remplacée par une présentation de "74 pages de documents" transmis par l'Élysée, dossier démontrant selon la commission la "densité" des échanges entre Nestlé et la présidence.

"Je ne comprends pas pourquoi il serait conforme à la séparation des pouvoirs de nous transmettre des documents, mais pas de venir s’expliquer sur ces documents devant la représentation nationale", s'est agacé le rapporteur Alexandre Ouizille.

Face au refus d'Alexis Kohler de venir s'expliquer devant la représentation nationale, "tous les documents en notre possession seront publiés dans leur intégralité en ligne", a annoncé le sénateur socialiste. Une première.

Selon une ordonnance du 17 novembre 1958, toute personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer devant une telle commission est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7.500 euros d'amende.

Face au peu de chance qu'une procédure judiciaire aboutisse, la commission proposera dans son rapport, prévu mi-mai, "une modernisation de l'ordonnance pour que les pouvoirs du Parlement soient respectés", selon le rapporteur.

François Blanchard