BFM Business
Entreprises

Perrier, Vittel… L'enquête parlementaire sur les eaux traitées fragilise l’ouverture du capital de Nestlé Waters

placeholder video
Le patron de Nestlé, Laurent Freixe, est auditionné ce mercredi au Sénat sur le traitement de ses eaux en bouteille. Sa filiale Nestlé Waters cherche dans le même temps à attirer des investisseurs.

Le groupe Nestlé est dans la tourmente. Son directeur général est auditionné dans l'après-midi mercredi 9 avril par une commission d’enquête au Sénat. En poste depuis neuf mois, Laurent Freixe a la pression.

"Nous laissons à Nestlé une seconde chance", prévient le président de la commission Laurent Burgoa, sénateur Les Républicains du Gard.

Dans son département, l’usine Perrier de Vergèze a utilisé pendant plusieurs années des traitements illégaux (microfiltration) pour faire face à des contaminations bactériennes, jusqu’en 2021, date à laquelle Nestlé assure avoir averti les autorités françaises.

Deux dirigeantes auditionnées ont agacé les sénateurs

La commission d'enquête du Sénat a déjà auditionné deux dirigeantes clés du groupe, mi-mars, pour faire la lumière sur ce scandale qui a aussi concerné les eaux d’Hépar, Contrex et Vittel sur le site vosgien. Deux échanges vifs et tendus que les sénateurs n’ont pas digérés.

Sophie Dubois, présidente de Nestlé France (ex-patronne de Nestlé Waters), puis Muriel Lienau, actuelle patronne de Nestlé Waters (ex-présidente de Nestlé France), ont botté en touche. Accompagnées de leurs avocats, elles ont, l'une après l'autre, refusé de nommer les responsables à l'origine de ces traitements illégaux pour les eaux minérales naturelles. Elles ont rétorqué avoir pris leurs postes après les faits reprochés et assuré qu’elles avaient mis en place, depuis, des "plans de transformation".

Comment l’eau en bouteille Nestlé a-t-elle été contaminée?
Comment l’eau en bouteille Nestlé a-t-elle été contaminée?
3:29

La commission d’enquête réclame que le directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, sorte de son mutisme. Mais pour le moment, Nestlé Waters reste sur la même ligne.

"Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours", répond sa direction, citant l’ordonnance de 1958.

Une information judiciaire a été ouverte par le Parquet de Paris le 13 février après une plainte pour "tromperie" de l’association Foodwatch. "Nestlé ferait mieux de se soucier de son image qui a été écornée après les auditions de ses dirigeants", s’agace Laurent Burgoa, estimant que cette attitude "n’incite pas les consommateurs à acheter des eaux Nestlé".

Attentisme des fonds d’investissement

Un argument qui pèse lourd. D’autant plus qu’en parallèle, le groupe suisse étudie l’ouverture du capital de Nestlé Waters, qui détient notamment Perrier et Vittel. Officiellement, le géant de l’agroalimentaire n’est "pas vendeur". "On cherche des partenariats pour se développer avec de nouveaux moyens", répétait il y a un mois encore le directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, à la télévision suisse RTS.

Mais officieusement, il teste le marché sur une vente de 50% du capital de Nestlé Waters, dont les performances souffrent. L’an passé, sa filiale a vu son chiffre d’affaires baisser de 4%, à 3,4 milliards d’euros, quand ses marges ont reculé de 10,6% à 9,3%. L’activité ne pèse plus que 3% du groupe et a été filialisée pour devenir autonome.

Les grands fonds d’investissement américains sont prêts à regarder le dossier, comme CVC, KKR, Bain, CD&R ou Advent, ainsi que le Français PAI. Mais ils ne se précipitent pas pour le moment, tant que la commission d’enquête sénatoriale n’a pas rendu son rapport, attendu le 19 mai. "Il y a de l’attentisme car ces fonds craignent des poursuites judiciaires d’ONG, assure un grand banquier parisien. Il faudrait que Nestlé s’engage à couvrir ces risques juridiques."

L’usine de Perrier en suspens

Les investisseurs attendent aussi d’en savoir plus sur l’avenir de Perrier. À la suite du scandale des traitements utilisés par Nestlé, l’État a remis en jeu l’autorisation d’exploitation de l’usine de Vergèze. Le préfet du Gard, lui aussi, enquête de son côté. Il a exigé du groupe suisse des preuves de la conformité de son site.

"Les services de l’État sont en cours d'instruction du dossier, répond la préfecture. Le préfet se prononcera dans les prochains mois."

Cette épée de Damoclès fragilise un peu plus l’ouverture du capital de Nestlé Waters. Le processus devait démarrer "au printemps", selon plusieurs sources bancaires, mais l’une n’exclut pas qu’il soit "reporté". Nestlé temporise. Il tarde à sélectionner des banques pour lancer l’opération. Selon nos informations, il s’agirait d’UBS et Goldman Sachs.

Le groupe suisse a fait passer le message qu’il envisageait une co-entreprise à 50/50 comme il l’a déjà fait dans les glaces en 2016 et les pizzas surgelées en 2023, avec PAI dans les deux cas. Le fonds français est déjà dans les startings blocks pour répéter l’opération.

Perrier comme Doliprane?

Selon plusieurs sources, PAI fait valoir son origine tricolore face aux fonds américains pour conserver les intérêts de Perrier. Un argument de souveraineté qu’il avait déjà brandi pour tenter de racheter Opella, la filiale de Sanofi détenant le Doliprane.

"Il est évident qu’en ce moment, il serait préférable que Perrier reste européen", lance le président de la commission d’enquête Laurent Burgoa.

Reste le grand absent de cette opération: Danone. Le rival de Nestlé n’est pas attendu pour participer à l’opération. Pourtant, il est intéressé par les marques phares de Nestlé Waters: San Pellegrino, Perrier et Acqua Panna, selon plusieurs sources proches du dossier. Mais "Nestlé ne veut pas vendre des marques séparément", assure l’une d’elles.

Ces dernières années, les deux groupes ont étudié des schémas de coentreprise à 50/50 dans leurs activités dans les eaux en bouteille. Mais Danone ne pouvait pas en prendre le contrôle pour des raisons de concurrence. "Il ne veut pas non plus tout racheter sinon l’eau dépassera 25% du chiffre d’affaires de Danone", ajoute un proche de son patron, Antoine de Saint-Affrique. Ces activités représentent aujourd’hui 18% de ses revenus. "Il n’y a pas de projet d’acquisition dans ce domaine", confirme le groupe qui ne souhaite pas non plus se désengager.

Matthieu Pechberty et Pauline Tattevin