TOUT COMPRENDRE. Eaux Nestlé: derrière l'affaire, le lobbying de l'entreprise auprès de l'exécutif questionné

"Ni entente, ni connivence." En marge d'un déplacement à l'institut de lutte contre le cancer Gustave Roussy, Emmanuel Macron a démenti l'information selon laquelle on aurait couvert au plus haut sommet de l'État l'entreprise Nestlé qui commercialisait des eaux minérales non conformes.
Cette affaire qui concerne le géant suisse, numéro 1 mondial des eaux en bouteille, a été portée à la connaissance du grand public début 2024. Retour sur cette polémique sanitaire à tiroirs.
• Qu'est-ce qui est reproché à Nestlé?
Nestlé Waters, qui commercialise plus d'une bouteille d'eau sur trois en France, est accusé en janvier 2024 par Le Monde et France Inter d'avoir eu recours à des procédés non conformes pour purifier ses eaux minérales.
Alertés en 2020 par un salarié de l'entreprise Alma (les eaux Saint-Yorre, Vichy Célestins, Châteldon et Cristaline), des enquêteurs de la DGCCRF constatent qu'au sein de l'usine, on utiliserait des traitements non conformes au cahier des charges de la règlementation des eaux minérales: microfiltration inférieure aux seuils, injection de CO2 industriel, mélange d'eau du robinet avec des eaux minérales…
Pas de risque a priori sur le plan sanitaire, car la société "lave" davantage les eaux qu'elle ne le devrait. Mais cela pourrait leur fait perdre leur vertu d'eau minérale ou de source ou à tout du moins tromper le consommateur sur leur véritable origine.
En creusant les fichiers clients des fabricants de microfiltres, les enquêteurs découvrent que Nestlé Waters, via ses sites des Vosges (Vittel, Contrex, Hépar) et du Gard (Perrier), est un gros acheteur.
En se rendant sur lesdits sites, les agents de la DGCCRF constatent que la microfiltration inférieure à 0,8 micron, le charbon actif ainsi que les ultra-violets sont bien utilisés par les salariés de Nestlé Waters pour "laver" l'eau. Certains de ces dispositifs sont même dissimulés derrière des armoires électriques, indiquent les enquêteurs dans un rapport remis en juillet 2022 au gouvernement de l'époque.
• Pourquoi Nestlé a-t-il eu recours à ces méthodes?
Mis au courant, des membres du cabinet du ministère de l'Industrie d'alors auraient rencontré des représentants de Nestlé Waters sans pour autant ébruiter l'affaire. Plaidant coupables, les représentants de l'entreprise reconnaissent que leurs eaux sont régulièrement contaminées (bactéries de type Escherichia Coli, polluants chimiques...) et qu'ils doivent les "laver" pour pouvoir les commercialiser sans risque.
Ils demandent de plus un assouplissement des réglementations sous peine de devoir cesser l'exploitation des sites en France. Face à la baisse de la consommation d'eau en bouteille, Nestlé Waters a déjà largement réduit ces dernières années son nombre de salariés.
Une enquête administrative auprès de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) est commandée par le gouvernement. Un rapport en juillet 2023 conclut "que près de 30% des désignations commerciales subissent des traitements non conformes".
En accord avec les autorités, l'entreprise met fin à certains traitements (ultra-violets et charbon actif), ce qui conduit à la fermeture de quatre de ses puits dans les Vosges. Les marques Contrex et surtout Hépar sont particulièrement touchées.
En septembre 2024, Nestlé accepte de payer une amende de 2 millions d'euros pour échapper à un procès, après une plainte de l'association Foodwatch.
• Qui était au courant au sommet de l'État?
Citant des "échanges de mails et de notes ministérielles", Le Monde et Radio France accusent, mardi 4 février, Matignon d'avoir dès 2023 "privilégié les intérêts de Nestlé au détriment des consommateurs" en accordant au groupe des dérogations sur l'usage de microfiltres.
Ils font état d'une note du 20 janvier 2023 du directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon, qui recommande de "suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites Nestlé des Vosges" et d'étendre cette interdiction "au site d'embouteillage de Perrier (à Vergèze, dans le Gard)".
Dans cette note, reprenant les conclusions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), le DGS estime que si Nestlé utilise des microfiltres inférieurs à 0,8 micromètre c'est que l'eau sortie des puits n'était "pas microbiologiquement saine".
Cette note aurait alors été transmise au cabinet de la Première ministre, Elisabeth Borne, qui aurait dans un premier temps refusé toute dérogation pour l'usage de ces procédés de microfiltration avant, un mois plus tard, de les autoriser.
Les deux médias affirment que cette autorisation serait le fruit d'un actif lobbying, jusqu'à une rencontre entre des représentants de Nestlé et Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée.
• Quelle est la réponse de l'Elysée à ses accusations?
Sollicité par BFMTV, l’Élysée indique ne pas avoir "vocation à intervenir sur les méthodes de microfiltration de l’eau, mais l’attention de ses équipes a été attirée sur ce sujet par l’entreprise Nestlé -comme c’est le cas d’autres entreprises sur d’autres sujets- et a renvoyé les intéressés vers les services de l’État compétents".
De son côté, Emmanuel Macron a affirmé "ne pas être au courant de ces choses-là". Mais "il n'y a de l'entente avec personne, il n'y a pas de connivence avec qui que ce soit", a-t-il assuré.
• Que répond Nestlé sur cette affaire?
Contacté par BFM Business, Nestlé a tenu à apporter des précisions sur ce dossier. "La sécurité alimentaire et la qualité des eaux minérales naturelles de Nestlé Waters France ont toujours été garanties et leur composition minérale unique a toujours été conforme à ce qui figure sur les étiquettes", assure en préambule l'entreprise.
Nestlé Waters France explique opérer "dans le cadre de procédures de gestion intégrée de la qualité qui assurent la sécurité alimentaire de tous nos produits" et ajoute que "les autorités testent régulièrement nos eaux minérales, tant à la source que sur le produit fini, pour confirmer la conformité avec toutes les exigences réglementaires applicables en matière de sécurité alimentaire et de qualité".
Concernant le lobbying auprès de l'exécutif, le groupe explique avoir "soumis à la décision des autorités publiques un plan de transformation de ses opérations et processus industriels, qui visait à les mettre en stricte conformité tout en continuant de préserver la sécurité alimentaire de ses produits".
"Notre plan de transformation a donc été validé par les autorités et mis en œuvre sous leur contrôle."
Enfin, Nestlé affirme qu'aucune voie détournée ou opaque n'a été utilisée pour demander des autorisations particulières aux "autorités de tutelle".
