Législatives: comment le cas Jérôme Peyrat, condamné pour violences conjugales, a mis LaREM dans l'embarras

Jérôme Peyrat en mars 2022. - Ludovic MARIN / AFP
"Je n'ai pas envie d'être jugé deux fois", expliquait Jérôme Peyrat quand on évoquait les critiques suscitées par sa candidature dans la 4e circonscription de Dordogne. Investi par Renaissance (ex-LaREM) malgré sa condamnation pour violences conjugales, il n'a pas été question pour lui de se retirer. Malgré le double problème que posait sa candidature: sa condamnation, d'une part et l'éviction de la députée LaREM sortante, d'autre part. Après des jours de polémiques, il a finalement annoncé le retrait de sa candidature ce mercredi.
Appuyé par les chefs de la majorité, l'"investiture Peyrat" a indigné, notamment à gauche. Et même à voix basse dans son parti. "Je n'ai rien contre la personne, mais pour autant, c'est sûr que ça n'apparaît pas comme le bon choix", murmurait-on auprès de BFMTV.com avant l'annonce de ce retrait.
"Il s'est beaucoup engagé auprès du président et du mouvement depuis 3, 4 ans. Ce doit être une forme de récompense. C'est un pilier du groupe", faisait valoir un député LaREM.
Face à Goliath, David s'appelle Jacqueline Dubois. La député sortante, élue en 2017 dans cette circonscription sous la bannière de la majorité, ne veut pas commenter directement le délibéré de l'affaire. "La vie privée", justifie-t-elle. Mais ce "sujet" est suffisamment "terrible" pour qu'elle annonce ce mercredi sa candidature dissidente.
Dans son communiqué, pas un mot sur son opposant, qu'elle connaît depuis 25 ans, mais une longue description de son investissement auprès des habitants. Celle qui s'est engagée pendant son mandat sur la moralisation de la vie publique ne veut pas "faire campagne sur cette histoire", mais sur son bilan.
14 jours d'ITT et stress post-traumatique
"Cette histoire" remonte à décembre 2019. Dans leur voiture, à La Roque-Gageac, Jérôme Peyrat et sa compagne discutent violemment de leur séparation. Violemment, au point que la femme porte plainte. La victime a expliqué avoir été frappée avant de subir une tentative d'étranglement. Après examen à l'hôpital, elle se voit délivrer une incapacité totale de travail (ITT) de 14 jours.
Le certificat médical des urgences que s'est procuré Mediapart décrit une douleur au niveau de la mâchoire "avec limitation de l’ouverture de bouche", "un hématome de la face vestibulaire de la lèvre inférieure droite", ainsi qu’"un syndrome de stress et d’anxiété post-traumatique à surveiller pendant une période minimale de trois mois".
Quelques jours plus tard, dans un deuxième examen médical, son état de stress post-traumatique est confirmé. Le jugement précise que "les faits décrits sont tout à fait concordants avec les lésions constatées, à savoir un hématome au niveau de la face interne de la lèvre ainsi qu’un hématome au niveau des deux pommettes, ce qui peut correspondre à une claque pouvant avoir été donnée sur le visage comme décrit par la plaignante".
"De même, le médecin considère que la pression sur la partie antérieure du cou que Madame X aurait subie alors qu’elle portait une écharpe peut tout à fait correspondre à l’ecchymose retrouvée au niveau de la partie antérieure de la base du cou", détaille également l'examen médical de fin décembre 2019.
En 2020, la sentence tombe. Le tribunal correctionnel d’Angoulême condamne Jérôme Peyrat pour violences conjugales et 3000 euros d'amende. À l'époque, l'avocate de la victime explique que cette dernière "ne peut plus se promener dans sa ville sans être insultée, ou qu'on lui crache dessus, tout ça parce qu'elle osé porter plainte"
Pendant l'enquête préliminaire, Jérôme Peyrat a démissionné de son haut poste à l'Élysée "pour raisons personnelles", faisant mention d'une "dispute dans sa vie privée". À peine deux mois plus tard, il est réélu à la tête de sa commune, à Laroque-Gageac.

Une version différente...
“C’est une tentative d’amalgame entre ces faits et le véritable drame des violences conjugales, un amalgame qui est fait essentiellement par l'extrême gauche", s'est défendu mi-mai dans Sud-Ouest l'actuel maire et ex-directeur général de l’UMP.
Le candidat LaREM a une autre version des faits. Il minimise la portée de cette condamnation, en assurant que le coup reçu par sa femme lors de cette dispute n’était pas volontaire. "Je conduisais, elle a arraché mes lunettes, j’ai essayé de la maîtriser, elle a reçu un coup au menton, je n’ai pas cherché à la frapper", plaide-t-il dans Libération.
Il rappelle que son ancienne compagne a aussi été condamnée pour des appels et messages malveillants.
... qui s'est adaptée
Comme le rapporte Mediapart, le tribunal correctionnel souligne autre chose dans son jugement: "La description des faits de Monsieur Peyrat (…) relève de l’ajustement de cause". Lors de son audition devant les gendarmes, l’élu avait "dans un premier temps évoqué un geste de la main et avoir saisi le poignet de sa compagne".
Ce n’est que dans un second temps, "une fois que les photos de la victime prises par les enquêteurs lui avaient été présentées", qu’il a alors "adapté sa version aux autres hématomes et lésions relevés", traces qu'il n'a pas contesté.
Le jugement précise que le candidat "a maintenu ne pas avoir frappé Madame X, mais seulement avoir dû répliquer, pour des raisons de sécurité, à des actes incongrus de sa compagne". Une explication circonstancielle qui n'explique pas "l’ecchymose au niveau du bras gauche" ni "le syndrome post-traumatique de la victime qu’une simple dispute conjugale – quand bien même serait-elle véhémente – ne saurait causer et ce nonobstant les fragilités intrinsèques de Madame X", déclare le document.
A cette époque, Jérôme Peyrat ne fait pas appel de sa condamnation. "Les professionnels du droit que j’ai consultés m’ont dit que dans le contexte politique et médiatique, la relaxe que j’ai plaidée était impossible pour un élu et m’ont appelé à accepter cette peine symbolique", explique-t-il dans la presse régionale.
La majorité a défendu bec et ongles son candidat
"C'est un honnête homme" a déclaré ce mercredi le délégué général d'En Marche, Stanislas Guérini. Au micro de Franceinfo, il a ajouté: "Je ne le crois pas capable de violences sur les femmes".
"J'ai pris du temps pour lire les attendus, pour comprendre, pour savoir si au fond on pouvait avoir quelqu'un qui pouvait être capable de violences volontaires, je crois et j'en suis même infiniment convaincu que ça n'a pas été le cas", assurait-t-il ce mercredi.
Le 12 mai, le président de la commission des conflits de LaREM et membre de la cellule d’alerte, Claude Posternak expliquait à Libération qu'il n’avait pas été saisi par les dirigeants du parti sur le cas Peyrat.
Le 16 mai, alors que de nombreux articles sont déjà sortis dans la presse sur le candidat controversé, François Bayrou assurait ne pas connaître le dossier. "Je regarderai", avait-il lancé sur Franceinfo. En off, des députés de la majorité se désolent du maintien de l'investiture. "En fait, ils s'en foutent", confie l'un d'eux à Libération.
Il faut dire que Jérôme Peyrat pèse dans le parti. Ex-LR, ce conseiller politique de Sarkozy, puis de Macron avant de démissionner, est nommé fin 2020 conseiller politique à la délégation générale de LaREM.
Tête de liste pour les élections régionales de juin 2021 en Dordogne, il a rejoint début 2021 la délégation générale de LaREM afin de préparer auprès de Stanislas Guérini les élections régionales et départementales de cette même année.
Gronde en Dordogne
"Qu'est-ce que vous voulez, Jacqueline Dubois est plus discrète", explique à BFMTV.com un autre député de la majorité. Dans la 4e de Dordogne, la sortante n'a pourtant pas démérité.
En se présentant, elle peut compter sur le soutien des militants LaREM de Dordogne: "Les comités LaREM de Terrasson et Sarlat ont appris avec stupéfaction le 7 mai l'investiture attribuée par notre mouvement", ont-ils déclaré dans un communiqué. Estimant que "Jacqueline Dubois a toujours fait preuve d'implication, de fidélité et de constance, y compris dans les moments de tempête".
"Dans ces conditions, les Marcheurs ne pouvaient imaginer qu'une autre personnalité puisse prendre sa place (...) Un candidat d'appareil politique peut-il nous permettre de renouer avec la promesse initiale de renouvellement des pratiques et du respect de la parole donnée?", ajoute le communiqué.
Les militants outrés n'ont pas manqué de rappeler que Jérôme Peyrat avait été battu cinq ans auparavant dans cette circonscription. Sous l'étiquette Les Républicains, le maire de Laroque-Gageac avait été éliminé en 2017 dès le premier tour, avec 11,87 % des voix.
Pression nationale
Alors qu'Emmanuel Macron a promis de faire de "l'égalité femmes-hommes" la grande cause de son quinquennat, après l'instauration d'un Grenelle contre les violences conjugales lancé en 2019, et après que le président a déclaré aux victimes en 2020 "l'essentiel est que vous ne restiez pas seules. Nous ne lâcherons rien, je vous le promets", le maintien de cette candidature jusque-là n'a pas été comprise.
À gauche, la Nupes - qui a désinvesti son candidat Taha Bouhafs visé par des plaintes pour violences sexuelles - s'insurge de la défense menée par Renaissance. "La question n’est donc pas la justice (en l’espèce elle est passée et elle a condamné), mais la protection des hommes violents. Merci Stanislas Guérini de le dire avec autant de clarté", ironise ce mercredi Sandrine Rousseau. "Au moins, les masques tombent", ajoute-t-elle. L'Insoumise Clémence Guetté liste sur Twitter les raisons physiques des 14 jours d'ITT de l'ex-compagne de Monsieur Peyrat.
L'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique a épinglé, lui aussi, le candidat. "Emmanuel Macron, Richard Ferrand, Stanislas Guérini, Christophe Castaner, c’est ça votre conception de la "nouvelle grande cause du quinquennat?", interpelle l'organisme après une série de tweets rappelant les faits.
"Quand on ne porte pas plainte, on nous le reproche, quand on porte plainte, on ne nous écoute pas et quand le jugement tombe, Stanislas Guérini décide qu'il ne faut pas en tenir compte?", s'exclame Fiona Texeire, co-initiatrice du mouvement #Metoopolitique. "Il ne peut y avoir des paroles et des actes qui ne suivent pas", explique-t-elle à BFMTV.
"Est-ce que c'est utile que les gens soient représentés par Monsieur Peyrat, est ce que c'est utile que les femmes soient représentées par Monsieur Peyrat? Est-ce que vraiment ce sont des hommes comme lui qui vont voter les lois et les budgets pour combattre les violences faites aux femmes?"