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De Diam's à MC Solaar, quand les rappeurs avaient Jean-Marie Le Pen dans le viseur

Jean-Marie Le Pen, le 25 mai 2014.

Jean-Marie Le Pen, le 25 mai 2014. - Fred Dufour - AFP

Jean-Marie Le Pen a longtemps été la cible privilégiée de la scène rap. Retour sur ces punchlines qui ont visé l'ancien leader de l'extrême droite.

S’il qualifiait le rap "d’attaque barbare contre la poésie", Jean-Marie Le Pen, mort ce mardi 7 janvier à l'âge de 96 ans, a pourtant été une source d’inspiration pour de nombreux rappeurs. Sur les trente dernières années, bien des artistes se sont employés à dénoncer ses positions politiques et la montée de l’extrême droite en France.

D'après les données du site spécialisé Rap Minerz, le nom du co-fondateur du Front National dominait ainsi les références parmi les autres figures d'extrême droite dans les paroles des artistes au début des années 2000. Tour d'horizon des punchlines les plus percutantes à l'encontre de Jean-Marie Le Pen.

Montée de l'extrême droite dans les suffrages

• Hardcore - Ideal J (1998)

En 1995, Jean-Marie Le Pen parvient à récolter 15% des voix à l'élection présidentielle. Un score qui inquiète notamment le groupe Ideal J, formé par Kery James, Jessy Money, Rocco, Teddy Corona, Selim du 9.4 et DJ Mehdi.

Dans leur titre Hardcore, imaginé en 1998 pour représenter la mouvance hardcore du rap français, le groupe rappe ainsi son inquiétude face à la montée du Front National en France.

"Hardcore, est la grimpée en flèche du FN // Hardcore, sont les propos extrêmes de ce bâtard de Le Pen"‍, rappait Kery James en 1998 sur le titre.

Quatre ans auparavant, le groupe Suprême NTM dénonçait également dans son titre Blanc et noir le racisme et les scores de plus en plus haut de l'extrême droite. "Dix pour cent pour Le Pen aux élections, c'est une défaite", rappait Kool Shen dans ce morceau.

• Hip-hop citoyens - Princess Aniès (2002)

Alors que les scores du Front national continuent de grimper, Jean-Marie Le Pen créé la surprise le 21 avril 2002 en se qualifiant pour le second tour de l'élection présidentielle. En réaction, des millions de personnes se mobilisent dans la rue, mais également en musique afin de faire barrage à l'extrême droite.

Entre les deux tours, un collectif de 17 artistes porté par la rappeuse Princess Aniès se réunit pour enregistrer un morceau. Baptisé Hip-hop citoyens, ce titre dénonce la montée des idées xénophobes et souligne le danger d'avoir un candidat d'extrême droite à la tête de l'État.

"J'pense plus, là j'suis sûr qu'la démocratie c'est pas Le Pen", rappe l'artiste Doudou Masta.

Ils incitent aussi les Français à se déplacer dans les urnes pour le second tour: "Au deuxième tour fais pas l'tocard, sors ta te-car, man va voter".

En 2005, l'artiste Soprano revient également sur ce tournant de l'histoire politique dans son morceau La Colombe. "Victime d’un malaise qui a mis le Pen au premier tour", rappait-il.

• Cause à effet - Diam's (2004)

Lors de la présidentielle de 2007, de nombreux artistes à l'instar de la rappeuse Diam's se mobilisent pour inciter les Français à ne pas reproduire le scénario de 2002 dans les urnes.

Si l'on connait le célèbre titre de Diam's, Marine, dédié à la fille de Jean-Marie Le Pen où elle invite ses auditeurs à "emmerder le Front National", l'artiste a également cité le co-fondateur du parti sur son morceau Cause à effet. Un titre dans lequel Diam's fait le portrait des Françaises et Français qu'elle soutient, défend et représente face à la montée de l'extrême droite. Elle aussi, évoque le choc du 21 avril 2002.

"Il y a toute une ville qui ne peut plus dormir tranquille / Depuis que Jean-Marie et Marine ont fait du chiffre en avril", rappe-t-elle sur ce morceau.

Le "détail de l'Histoire"

• Niquer le système - Sniper (2004)

De nombreux rappeurs ont dénoncé les propos négationnistes de Jean-Marie Le Pen, tenus en 1987 sur RTL. Le cofondateur du FN est interrogé sur des chambres à gaz, utilisées par les nazis pour assassiner les juifs dans les camps d’extermination. Une méthode qu'il qualifie alors de "point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale."

"Si Auschwitz n'est qu'un détail, c'est que Le Pen est un sale porc", tançait Mac Tyer, du groupe Sniper, dans le morceau Niquer le système sorti en 2004.

• Impact avec le diable - MC Solaar (2007)

Trois ans plus tard, c’est MC Solaar qui fait référence à cette phrase de Jean-Marie Le Pen dans le morceau Impact avec le diable, extrait de son album Chapitre 7. Ce titre, qui appelle la jeunesse à se lever contre une menace floue, s'ouvre sur un extrait de discours d’Adolf Hitler, suivi de la voix de Jean-Marie Le Pen qui déclare: "Je crois que c’est un point de détail…"

“J'ai la boîte mail du diable, son triple W // Il mène une double vie, nous envahit comme V // Dis-lui qu’on flippe ap, dis-lui qu’on est apte // Sur les starting-blocks pour l’impact avec le diable”, rappait ensuite MC Solaar.

• L'avenir est un long passé - Manau (1998)

Ce parallèle entre Adolf Hitler et Jean-Marie Le Pen se retrouve dans d'autres textes de rap. En 1998, déjà, Manau avertissait sur les bégaiements de l’histoire dans le titre L’Avenir est un long passé:

"Est-ce que tout recommence? Avons-nous perdu la raison? // Car j'ai vu le mal qui doucement s'installe sans aucune morale // Passer à la télé pour lui est devenu normal // Comme à chaque fois, avec un nouveau nom // Après le nom d'Hitler, j'ai entendu le nom du Front."

En 2015, S-Pi raconte une aventure avec une jeune fille issue d’une famille aux sympathies d’extrême-droite dans la chanson Abdoulaye Le Pen: "Son père était un Hitler en version FN / Dont l'idéologie me rappelait Jean-Marie Le Pen.”

Héritage dans les années 2010-2020

Si le rap était très engagé et à charge contre la politique à ses débuts en France dans les années 90-2000, le genre s'est peu à peu dépolitisé au cours des vingt dernières années, comme l'analyse Rap Minerz.

Selon le site spécialisé qui a compilé les noms des personnalités politiques d'extrême-droite les plus mentionnées dans le rap français, celui de Jean-Marie Le Pen, autrefois parmi les plus cités, connaît un déclin depuis la fin des années 2010.

De plus, la mue du Front National en Rassemblement national et la stratégie de dédiabolisation du parti a mis en lumière d'autres leaders, tels que Marine Le Pen, fille de Jean-Marie, et Jordan Bardella, actuel président du parti. Ce sont désormais sur eux que se concentrent les critiques des rappeurs.

Néanmoins, la figure de Jean-Marie Le Pen réapparaît de temps à autre dans les textes de la nouvelle génération. En 2010, dans une ancienne version de leur titre Marco, Bigfllo & Oli racontaient l'arrivée au paradis d'un piéton mort renversé: "Là-haut pas d'racistes, de pétrole, d'ennemis (...) Pas de haine, de Jean-Marie Le Pen."

"J'suis obscur, j'dors que d'un œil comme Jean-Marie Le Pen", rappait encore Dinos dans 'Les Pleurs du mal' en 2018, en référence à l'œil de verre du fondateur du FN.

"J'vais sauver les miens avant les vôtres, gros, sinon, c'est pas la peine // Mais sauver les siens avant les autres, gros, c'est l'programme des Le Pen", lance Vald l'année suivante dans Journal perso II.

Depuis quelques années, un épiphénomène opposé commence à voir le jour: celui de rappeurs qui se réclament des valeurs de l'extrême droite. Des artistes qui se font essentiellement un nom sur les réseaux sociaux et réussissent, parfois, à attirer sur eux les projecteurs. Comme Millésime K, 791.000 abonnés sur TikTok, qui a fait parler de lui au printemps 2023 avec une série de concerts polémiques. Ou encore Kroc Blanc qui, en 2015, s'est fendu d'un titre-hommage à Jean-Marie Le Pen, #JMLP.

Carla Loridan et Benjamin Pierret