Ce que change la perspective d'une majorité relative plutôt qu'absolue pour Ensemble

La coalition macroniste Ensemble! obtiendrait le plus de sièges à l'Assemblée nationale au terme des élections législatives, mais sans certitude d'obtenir la majorité absolue de 289 sièges, selon les premières projections - JOEL SAGET © 2019 AFP
Peu importe, au fond, la querelle opposant actuellement la Nupes à la majorité sortante rebaptisée Ensemble, sur la méthode employée par le ministère de l'Intérieur pour comptabiliser les résultats du premier tour des législatives. L'enseignement essentiel porté par le scrutin de dimanche tient surtout à ce double constat: l'espoir de renverser la majorité sortante pour imposer un gouvernement de cohabitation se dissipe à gauche en même temps que le rêve de retrouver une majorité absolue dans l'Hémicycle s'éloigne des candidats macronistes.
Renoncer à une majorité absolue pour ne bénéficier que d'une majorité relative n'aurait rien d'anecdotique pour l'exécutif et ses soutiens parlementaires. C'est tout le visage du quinquennat et de la législature à venir qui en serait au contraire transformé.
289, le nombre fatidique
Il convient d'abord de s'entendre sur les termes. L'Assemblée nationale rassemblant 577 députés, constituer une majorité absolue implique de rafler plus de la moitié des sièges garnissant le Palais-Bourbon: soit un minimum de 289 strapontins. L'intérêt du surnombre ne fait guère de doute. Nanti d'un tel soutien, le gouvernement peut faire adopter ses projets de loi en toute tranquillité à la chambre, même les plus contestés d'entre eux. Dans son édito vidéo de ce lundi, le chef de notre service politique, Philippe Corbé, met en lumière:
"Par exemple, en cas de réforme des retraites, vous pouvez avoir une forte mobilisation dans la rue mais si vous avez 289 députés, le texte passera sans accroc à l'Assemblée nationale."
Or, cette sérénité est en passe d'échapper à la mandature qui s'ouvre. D'après les projections de l'institut Elabe pour BFMTV et notre partenaire SFR, Ensemble est crédité de 260 à 295 représentants dans la future Assemblée nationale, à l'étroit entre une opposition de gauche pléthorique chiffrée entre 160 et 210 députés et un possible mais inconfortable appui à droite, évalué entre 50 et 65 membres.
Car, sous la barre des 289 membres, cette majorité mal reconduite connaîtrait en effet un quotidien bien différent de celui dont elle a joui ces cinq dernières années: elle devrait cette fois composer. "En cas de majorité relative, il faut aller chercher d'autres députés, négocier avec eux tel ou tel aménagement du texte pour s'entendre sur ce texte-là", poursuit Philippe Corbé.
Notre éditorialiste politique, Alain Duhamel, prolonge aussi ce caractère précaire et ponctuel à laquelle toute majorité relative est condamnée... en même temps qu'à une certaine souplesse.
"Il faut une négociation avec des partenaires: ça peut être une majorité d'idées où on négocie, sujet par sujet, soit avec une fraction de la gauche, soit avec la droite", a-t-il expliqué sur notre plateau.
Le souvenir de 1988... et pourquoi il est trompeur
En somme, une majorité relative ressemblerait davantage à une coalition faite de compromis et toujours fragile. Panorama qui jure avec la tradition de la Ve République qui a consacré la toute puissance de l'exécutif.
L'événement ne serait cependant pas inédit et les institutions avaient d'ailleurs très bien su le digérer une première fois. De 1988 à 1993, les socialistes n'ont pu compter que sur 275 députés, face aux 271 députés de droite, le tout sous le regard de 35 frontistes et de 25 communistes. Au point que la Mitterrandie en est vite venue à l'idée de s'ouvrir au centre.
"Et ça n'avait pas empêché Michel Rocard de faire passer par exemple la CSG, le RMI", relève Philippe Corbé, même si, rappelle-t-il, "il faut trouver des compromis sur chaque texte".
Sauf qu'une contrainte distingue radicalement la majorité relative du Premier ministre Michel Rocard à celle, encore hypothétique, d'Elisabeth Borne. À l'époque, le premier pouvait se tirer des blocages parlementaires à grands coups d'article 49.3 de la constitution, qui autorise à faire passer en force un texte contesté par l'Assemblée sous réserve d'engager la responsabilité du gouvernement. Michel Rocard ne s'en est d'ailleurs pas privé, employant ce levier 28 fois. Mais les moeurs politiques ont bien changé et le procédé, honnie par les oppositions et mal vécu dans l'opinion, a vu son périmètre se restreindre grandement: un gouvernement ne peut plus en faire usage qu'une fois par session.
Retour en forme du Parlement ?
Un trait de cette délicate équation demeure vrai en revanche: la Première ministre sera au centre du jeu. Le chef du gouvernement "devient un personnage-clé dans cette affaire parce que c'est lui qui doit se bagarrer à l'Assemblée", reprend ainsi Alain Duhamel qui remarque encore: "Le Parlement retrouve une importance qu'il n'a plus depuis 1962". Cette année-là, le législateur avait scellé la montée en puissance du chef de l'Etat, en adoptant son élection au suffrage universel direct.
Eventuellement détroussés de leur majorité absolue pour une majorité relative, les députés Ensemble auraient donc toutefois un motif de satisfaction: l'opposition aurait sans doute moins l'occasion de les accuser - critique récurrente durant la période 2017-2022 - de réduire l'Assemblée nationale à n'être qu'un Parlement godillot au service de l'Elysée.
