26,8% ou 25,7%? Pourquoi la Nupes conteste les chiffres du ministère de l'Intérieur
On pouvait s'attendre à ce que l'issue du premier tour des élections législatives, qui a opposé 6293 candidats sur l'ensemble du territoire ce dimanche, suscite discussions et disputes. Mais cette fois la polémique est affaire de chiffres.
En effet, donnée (légèrement) en tête en pourcentages des suffrages exprimés lors de la soirée électorale de dimanche par les sondeurs, l'union de la gauche s'est vue tasser en deuxième position, derrière la coalition présidentielle, par les chiffres officiels publiés par le ministère de l'Intérieur. Ce lundi, BFMTV.com fait le point sur cette controverse.
La bataille des chiffres
Passons d'abord en revue les chiffres tels qu'ils sont présentés par les parties prenantes. Selon les comptes dressés dans un premier temps par notre institut Elabe, la Nouvelle union populaire écologique et sociale a cumulé 26,20% des votes valides contre 25,80 à la majorité sortante. Un taux porté à 26,8% selon un total avancé par d'autres sondeurs et revendiqué dans le courant de la soirée par les principaux intéressés. Les calculs du Monde livrent encore un autre rapport de forces: d'après son outil humérique, le journal crédite la Nupes de 26,10% des voix, contre 25,81% à Ensemble.
Toutefois, les résultats définitifs du ministère de l'Intérieur ont fait entendre un écho bien dissonnant, accordant seulement 25,66% des suffrages recensés à la Nupes contre 25,75% aux forces soutenant Emmanuel Macron.
La Nupes proteste, les insoumis en tête
Ce lundi matin, sur RMC, Alexis Corbière, réélu dès le premier tour dans sa circonscription de Seine-Saint-Denis, a tempêté: "Ces chiffres sont faux! Ils nous suppriment des candidats sans aucun doute, considérant que des gens que nous soutenions n'étaient pas Nupes et ne les comptent pas".
La publication des chiffres de la Place Beauvau a en effet quelque peu douché l'enthousiasme des cadres de la Nupes. Dès dimanche soir, l'insoumis Manuel Bompard, lui-même en très bonne posture dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, a levé le lièvre électoral sur Twitter.
"Alerte à la nouvelle manipulation de Darmanin! Alors que la Nupes réalise 6.101.968 voix (soit 26,8%), le ministère de l’intérieur ne lui attribue que 5.836.202 voix (soit 25,7%) pour faire apparaître artificiellement le parti de Macron en tête", a-t-il lancé.
Alors que l'eurodéputée, Manon Aubry, a fustigé pour sa part les "tripatouillages de Gérald Darmanin", Clémentine Autain, candidate à sa réélection en Seine-Saint-Denis, a regretté sur France Inter ce lundi:
"Ne pas avoir confiance dans les chiffres du ministère de l'Intérieur, je ne pensais pas un jour en arriver là."
Appelant à "recompter" les bulletins, elle a accusé: "On a une interrogation plus que forte qui laisse à penser que monsieur Darmanin et le ministère de l'Intérieur ont voulu mettre en avant la macronie. Il y a peut-être une volonté de masquer les résultats".
Clémentine Autain a précisé l'objectif de l'opération qu'elle attribue au ministère de l'Intérieur: "Il y a un caractère performatif du score qui est donné donc si monsieur Darmanin a voulu traficoter les scores, c'est pour donner l'impression que le match est plié."
Les explications de Beauvau
Comment comprendre une telle divergence des points de vue? Le chef de notre service politique, Philippe Corbé, l'a analysée ce lundi matin sur notre plateau. "C'est un problème de décompte des scores des candidats divers gauche, notamment en Corse et en Outre-Mer", a-t-il introduit, avant d'ajouter: "Il y a un certain nombre de candidats régionalistes qui ne sont pas dans l'accord électoral Nupes mais qui ont dit qu'ils siègeraient dans les groupes parlementaires Nupes. Donc le ministère de l'Intérieur ne les compte pas dans le total Nupes mais en divers gauche alors que la Nupes considère qu'ils en font partie".
Gérald Darmanin n'a pas encore répondu aux attaques qui lui ont été personnellement adressées. Mais le ministère de l'Intérieur nous a fourni le détail de l'établissement de ses résultats.
"C’est la direction de campagne de Nupes qui, par un mail adressé au ministère de l’intérieur le 8 juin 2022, a listé l’ensemble des candidats à qui il conviendra d’attribuer la nuance Nupes. Dans cette liste pourtant très complète ne figurait aucun candidat ultramarin", pointe d'abord le ministère, assurant que ces représentants d'outre-mer ne paraissent pas non plus sur le site de l'alliance.
Au-delà de la situation des DOM-TOM, Beauvau a listé trois candidats ayant été investis par l'union de la gauche avant de renoncer à cette onction, citant Hervé Saulignac dans la 1re circonscription de l’Ardèche, Dominique Potier dans la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle, et Joël Aviragnet dans la 8e circonscription de Haute-Garonne.
"Ils ont été comptabilisés en divers gauche", note alors l'Intérieur.
Enfin, le ministère justifie: "Il en est de même pour la majorité présidentielle. Damien Abad, dont on peut légitimement penser qu’il est soutenu par Ensemble, est comptabilisé en divers droite. C’est aussi le cas de Dominica Michel, candidate divers à Saint-Pierre et Miquelon et Marie-Luce Penchard en Martinique, soutenue par la majorité mais nuancée divers centre".
Le souvenir tout frais d'un litige porté au Conseil d'État
Cette confusion vient en tout cas de loin. Car la méthode de comptabilisation prônée par le ministère de l'Intérieur a soulevé un litige dès la semaine dernière. Et si l'origine en était toutefois différente, il menaçait là encore d'entraîner un effet sur l'affichage de l'issue des élections.
Tandis que Beauvau comptait initialement peser les résultats de la Nupes séparement, parti par parti, les juges des référés du Conseil d'État, saisis en amont par les cadres de l'union de la gauche, en ont tranché autrement. Ils ont "enjoint" mardi dernier le ministère de l'Intérieur de "prendre en considération la Nupes comme une nuance politique à part entière dans la présentation des résultats qui sera faite des élections législatives des 12 et 19 juin 2022".
"Comptabiliser les partis politiques de cette coalition séparément peut porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux", a alors estimé le Conseil d'État. C'est encore cette institution qui devra se prononcer en cas de recours éventuel.
Ensemble tente une contre-offensive politique
En dehors du débat institutionnel, Ensemble a dégainé l'extincteur politique. Stanislas Guérini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, lui-même candidat à Paris où il est en difficulté, a plaidé la transparence au micro de notre journaliste, Apolline de Malherbe, ce lundi matin.
"Je veux bien qu'ils nous disent qu'on trafique les chiffres mais les chiffres sont connus, publiés circonscription par circonscription. Il y a même des candidats-ministres qui ne sont pas comptablisés avec la majorité !" "C'est une affaire de nuançage", a-t-il évacué, avant de blâmer l'opposition pour une tentative "d'enfumage", lui prêtant la "volonté systématique de créer la polémique".
Bien que la publication des résultats du premier tour des législatives puisse jouer sur la dynamique en vue du second, la Nupes doit affronter un problème plus pressant si elle souhaite renverser l'exécutif et sa majorité. "Quand vous faites l'union au premier tour, vous n'avez pas de réserve en vue du second tour", a ainsi constaté notre éditorialiste politique, Matthieu Croisandeau ce lundi matin.
"Vous pouvez faire 40% au premier tour et ne pas réussir à trouver les 10% supplémentaires pour l'emporter au second. Et le positionnement de radicalité, de rupture est forcément moins rassembleur que de s'inscrire au centre", a-t-il développé.
Les projections d'Elabe créditent en conséquence la Nupes de 160 à 210 députés dans la prochaine Assemblée et Ensemble de 260 à 295 représentants. Notre éditorialiste a prolongé:
"La seule carte de Jean-Luc Mélenchon est de jouer la surmobilisation. C'est ce qu'il a fait hier en appelant le peuple à déferler dans les bureaux de vote".
Car dimanche, 52,49% des citoyens ne sont pas allés voter. Et ce taux historiquement bas est cette fois incontestable.
