BFMTV
Politique

Bonnet : « Quand on croit savoir… on se trompe ! »

-

- - -

En plein procès Colonna, Bernard Bonnet, ancien préfet de Corse de février 98 à mai 99, revient sur le contexte complexe de l’assassinat de son prédécesseur, Claude Erignac.


J-J B : Vous avez témoigné hier en fin d’après midi au procès d’Yvan Colonna. Je rappelle que le 6 février 1998, Claude Erignac a été tué dans une rue d’Ajaccio. Selon votre intime conviction, Yvan Colonna est-il le meurtrier du préfet Erignac ?
B B : Je l’ignore. Simplement ce que je sais, c’est qu’en décembre 1998, j’ai donné une information à la justice, non pas selon laquelle il était coupable, mais une information selon laquelle on pouvait se poser la question de son implication éventuelle dans le commando. Je n’ai jamais eu d’autres informations et je m’interdis d’avoir une opinion personnelle sur un procès où de nombreux éléments apparaissent postérieurement à mes fonctions de préfet de Corse. Mon intime conviction n’a donc aucun intérêt.

J-J B : Hier tout de même, avant vous, au tribunal, est venu témoigner Roger Marion qui dirigeait la police anti-terroriste à l’époque chargée d’enquêter sur la mort du préfet Erignac. Roger Marion qui a estimé hier à la barre qu’Yvan Colonna était évidemment coupable. Il en sait plus que vous ?
B B : J’espère, puisque c’est lui qui était chargé de l’enquête. Surtout ce qui fonde sa conviction c’est qu’après mon départ de Corse, l’essentiel s’est produit dans l’enquête : il y a eu les interpellations, de premiers aveux, la disparition d’Yvan Colonna, puis son arrestation. Tout cela s’est donc passé après que j’ai donné mes propres informations. J’espère donc que le directeur de l’enquête en sait plus que moi.

J-J B : Oui ou non, connaîtra-t-on un jour le nom de celui qui a tiré sur le préfet Erignac ?
B B : Je ne sais pas.

J-J B : Pourquoi avez-vous déclaré la semaine dernière que vous aviez des doutes sur la culpabilité d’Yvan Colonna ?
B B : Cette question va me permettre de mettre les choses au point très simplement. Je me suis exprimé au nom d’une légitimité qui était celle de mes fonctions en Corse, de février 1998 à mai 1999. Ça veut dire que je me situe à ce moment-là. Et à ce moment-là, les enquêteurs sont au niveau 0 sur l’implication possible d’Yvan Colonna. Comme je vous le disais tout à l’heure, j’avais quelques éléments qui permettaient de se poser la question sur l’implication. Ces éléments n’étaient pas une certitude, c’était un questionnement. Ce que je disais donc, c’est qu’en décembre 1998, j’ai des éléments mais j’ai un doute. Et ça n’a rien à voir avec la présentation qui a été faite de cette information.

J-J B : A l’époque vous aviez un doute et maintenant ?
B B : A l’époque j’avais un doute parce que j’avais des informations, maintenant je n’ai plus d’opinion. Les informations que j’avais à l’époque ne suffisaient pas à elles seules pour établir une vérité ou une certitude et aujourd’hui il s’est passé plein de choses depuis, mais je m’interdis d’avoir une opinion parce que je considère que la justice d’opinion est la pire de toutes. On croit savoir et en général, en matière judiciaire, quand on croit savoir on se trompe.

J-J B : Qui a conduit cette enquête parce qu’il est dit, ici ou là, que plusieurs enquêtes parallèles ont été conduites et notamment par le Préfet Bonnet qui était en poste à l’époque ?
B B : C’est du pipeau, une fable. Je crois l’avoir démontré assez simplement à la Cour d’assises. Ce qu’il s’est passé, c’est très simple : j’ai effectivement eu un informateur, que je surnommerais éternellement Corte. Ce Corte m’a donné des noms mais aussi des mobiles…Je n’ai pas demandé qu’on enquête pour mon propre compte avec ces informations.

J-J B : Il vous a donné ces noms quand ?
B B : En septembre 1998. C’est le moment le plus important car c’est en septembre que j’ai le nom du commando. Ce qui est important c’est de savoir ce que j’ai fait. Alors que parallèlement l’enquête était conduite par M. Marion qui privilégiait la piste agricole, qui n’était pas du tout une piste vers laquelle il fallait tendre.

J-J B : C’est quoi la piste agricole, très simplement ?
B B : Très simplement, au début on a cru que le contentieux agricole, c'est-à-dire le changement de politique de l’Etat, qui demandait à un moment donné qu’on rembourse les échéances de prêts agricoles alors que, jusqu’à maintenant, on acceptait des reports presque systématiques. On a alors cru que c’était le mobile.

J-J B : Donc vous, à côté de l’enquête menée par Roger Marion, vous recevez des informations de ce fameux Corte ?
B B : Voila, c’est tout à fait exact. Je reçois ces informations. Je ne les garde pas, j’informe le Gouvernement que j’ai des éléments et surtout j’informe la justice. Ce qu’on ne sait pas, c’est que je n’ai pas simplement informé le procureur de la République de Paris, immédiatement et dès septembre, j’ai informé le colonel de gendarmerie Mazer. L’intérêt était qu’il était chargé de l’enquête de cette attaque de la gendarmerie de Pietrosella où l’on avait volé l’arme qui a servi à tué le Préfet. Mazer a donc fait son travail. C'est-à-dire qu’il a mis en procédure judiciaire mes informations, ce qui veut dire que dès le début, la gendarmerie a enquêté avec mes informations.

J-J B : Vous avez informé le policier Marion ?
B B : Je ne l’ai pas informé car à ce moment-là, il se passe un événement très important : Jean-Pierre Chevènement a son accident opératoire. Jusqu’à présent, en septembre, c’est lui qui tenait les fils. Matignon a repris la main ; on m’a alors dit que compte tenu des interpellations dans la piste agricole, on commençait à se demander quelles étaient les véritables intentions de ceux qui faisaient l’enquête. Par conséquent les informations que j’avais, il ne fallait pas que je les confie à M. Marion.

Cliquez-ici pour écouter la réaction de Roger Marion qui accuse Bernard Bonnet d'avoir "politisé l'affaire Colonna"

J-J B : Les conseillers du premier Ministre avaient des doutes sur l’enquête qui était menée par le policier Marion ?
B B : Ils avaient surtout des remontées sur le nombre très important d’interpellations qui étaient en train de mettre par terre la politique d’Etat de Droit qu’on demandait de conduire. C'est-à-dire que ça la rendait tellement impopulaire que ça la mettait par terre. Ils ont donc eu des doutes et à partir de ces doutes ils m’ont dit que mes informations, je devais les réserver à la justice et éviter le contact avec monsieur Marion. J’ai alors pris rendez-vous avec le juge Bruguière. Pas de chance, lorsque j’ai voulu le rencontrer, j’ai reçu l’instruction de ne pas le rencontrer !

J-J B : L’instruction venait de qui ?
B B : De Matignon. Le 14 novembre 1998, le cabinet du Premier Ministre, que j’informe de l’entretien que je dois avoir avec le juge Bruguière le 16 novembre, me dit qu’il n’en est pas question. Il faut alors que j’aille voir le procureur de la République M Dintilhac, qui a d’ailleurs été excellent. J’ai donc rencontré le procureur Dintilhac à la place du juge Bruguière.

J-J B : Ce qui veut dire que nous avions un policier qui conduisait l’enquête, des juges anti-terroristes chargés aussi de superviser l’enquête. On vous dit à Matignon que vos informations sont réservées aux gendarmes pour la procédure judiciaire mais qu’il ne faut surtout pas en faire part au commissaire Marion ou au juge Bruguière… C’est incroyable.
B B : On dit ça et on ajoute qu’il fallait que je donne mes informations au procureur de la République de Paris qui était tout de même le procureur qui couvre le terrorisme. On passe donc à côté de beaucoup de choses. Le problème en passant à côté, c’est qu’évidemment le juge avec qui j’avais rendez-vous, s’est étonné de l’annulation et mes informations n’ont pas été exploitées immédiatement.

J-J B : Oui ou non est-il vrai qu’il y avait eu une précédente tentative d’assassinat du préfet Erignac ?
B B : C’est un point très important, que j’ai révélé au procureur de la République de Paris le 16 novembre 1998 et que m’avait révélé Corte. Quelques jours avant l’assassinat du 6 février, le commando aurait connu les habitudes de Claude Erignac, aurait fait des repérages, savait qu’il se rendait régulièrement dans une salle de sports où il y avait des matchs du Gazélec Ajaccio qui jouaient en Basket-ball en division 1. Un soir, ils se sont rendus à ce match, avec, d’après Corte, les intentions qu’ils ont hélas concrétisées le 6 février. Ce soir-là, exceptionnellement, Claude Erignac n’est pas venu. Cette information est à la fois très importante parce qu’elle montre la manière dont le commando a procédé, c'est-à-dire sans complicité extérieure, en faisant des repérages sur les habitudes qu’avait Claude Erignac. Car lorsqu’il ne s’est pas rendu à cette manifestation, ils ont tout simplement regardé le programme des concerts, ils savaient qu’il s’y rendrait, et il y a eu ce funeste 6 février.

J-J B : Vous avez donc transmis cette information en novembre 1998, six mois après la mort du préfet Erignac ?
B B : Un peu plus de six mois.

J-J B : Qui est ce Corte, est ce que vous vous réfugiez derrière lui ou est ce qu’il existe réellement ?
B B : Je vais vous dire, il y a deux rumeurs : une rumeur vide, celle que d’ailleurs les avocats de la défense ont un peu développé hier, en disant qu’il n’existe pas et qu’il sert de paravent à ma fantasmatique enquête parallèle. Ça c’est du bidon. Il y a une deuxième rumeur, celle selon laquelle son identité serait connue.

J-J B : Qui fait courir cette rumeur là ?
B B : Ceux qui ont fait courir cette rumeur-là, je ne les citerais pas. Mais j’en connais l’origine et je regrette que ce soit une origine de nature officielle. Je n’en dirai pas davantage. La réponse à votre question est : oui Corte existe et son identité ne sera connue que par la réunion de deux volontés : la sienne et la mienne. Moi j’ai pris l’engagement de ne jamais révélé son identité, je ne la révèlerai pas et je dois dire que j’ai fait tout ce qu’il fallait pour la brouiller.

J-J B : C’est grâce à ces informations que vous avez tenu au courant le procureur Dintilhac de ce que vous saviez ?
B B : C’est bien pour ça que je l’appelle le héros corse de l’enquête.

J-J B : Que saviez vous en novembre 1998 ?
B B : Deux clés pour l’élucidation de l’assassinat : première clé, le nom du chef du commando Alain Ferrandi, et deuxième clé, comment Alain Ferrandi a constitué son commando à partir de ses proches qui étaient d’anciens membres présumés du FNLC du secteur Cargèse-Sagone.

J-J B : rappelez-nous qui est Alain Ferrandi ?
B B : C’est le responsable d’une agence de véhicules Hertz à Ajaccio. C’est lui le chef du commando. Il a été arrêté et condamné.

J-J B : Est-ce que le nom de Colonna a été cité par votre informateur Corte ?
B B : Corte m’a cité une fois Colonna. Je pense qu’il ne connaissait pas le détail des membres du commando. Il m’a donné le nom de Colonna mais j’ai reproduit dans mes documents Stéphane Colonna. C'est-à-dire que quand il y a eu les interpellations du 18 novembre 1998 d’une partie du commando par les policiers, ces derniers n’ont pas interpellé Ferrandi. A cette occasion les gendarmes ont fait une surveillance de Ferrandi, de sa villa, et grâce à cette surveillance, ont établi un lien avec Cargèse et ils ont cru reconnaître dans le contact qu’il y avait Stéphane Colonna, qui est le frère d’Yvan. C’est à partir de cette information qui corroborait le patronyme que m’avait donné Corte, que je donne l’information de Stéphane Colonna à la justice.

J-J B : C’est elle-même qui donne l’information à Marion ?
B B : Qui l’a eu j’espère. Ça s’est passé après que j’ai quitté mes fonctions, donc je ne vais pas le commenter.

J-J B : On attend maintenant vendredi, un moment important selon vous, avec le témoignage de ceux qui ont d’abord accusé Yvan Colonna d’être le tireur et qui se sont rétractés ?
B B : Je ne suis pas un spécialiste mais je crois qu’effectivement, compte tenu du manque de témoins visuels directs, il est évident que cette phase des aveux qui étaient tout de même très précis, et ensuite de leur rétractation, semble capitale.

J-J B : est-ce que Corte vous a dit qui a tiré sur le préfet Erignac ?
B B : Jamais.

La rédaction-Bourdin & Co