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À l'Assemblée, le gouvernement et la majorité face au piège du climat

La ministre française de la Transition écologique Barbara Pompili à l'Assemblée nationale à Paris, le 26 janvier 2021

La ministre française de la Transition écologique Barbara Pompili à l'Assemblée nationale à Paris, le 26 janvier 2021 - Bertrand GUAY © 2019 AFP

Cette semaine, la macronie défend deux projets de loi distincts sur l'environnement. L'un vise à modifier la Constitution, l'autre, plus lourd et périlleux, est censé combattre le réchauffement climatique.

Semaine chargée à l'Assemblée nationale. Deux textes découlant du même sujet y sont débattus simultanément à compter de ce mardi. L'un le sera dans l'hémicycle, à savoir le projet de loi constitutionnel visant à intégrer la préservation de l'environnement dans notre norme juridique suprême. L'autre, beaucoup plus lourd et périlleux, découle des travaux de la Convention citoyenne sur le climat (CCC). Il est examiné en commission spéciale depuis lundi.

De ces deux morceaux "légistiques" dépend le bilan écologique d'Emmanuel Macron, quelle que soit l'importance qui lui sera donnée lors de la prochaine campagne présidentielle. En particulier le projet de loi "climat et résilience" défendu par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, repu de 69 articles qui produiront des effets dans de nombreux secteurs d'activité. Les près de 5000 amendements déposés sur ce texte attestent du défi politique qu'il représente.

"Ce sera le plus difficile du quinquennat", prévenait récemment un pilier du groupe La République en marche. "Il y a la masse d'amendements, la pression politique exercée par la Convention citoyenne, les écarts de sensibilité réels au sein de la majorité sur ces sujets, et une préparation difficile à mener, plus technique que pour la loi sur le séparatisme", égrène-t-il auprès de BFMTV.com.

Le piège de la Convention citoyenne

Il faut dire que l'origine même du projet de loi portait en elle les ferments de complications futures. L'engagement du chef de l'État à traduire "sans filtre" l'essentiel des propositions de la CCC dans la loi a engendré des déceptions. À tel point qu'avant même que le texte n'arrive en commission, les 150 citoyens tirés au sort lui ont infligé des "tôles", de mauvaises notes censées refléter leur insatisfaction. Timing exécrable. D'aucuns estiment que l'exécutif a lui-même tendu le bâton pour se faire battre.

"Une erreur de processus", euphémise-t-on à la direction de LaREM. "Une énorme connerie", s'agace plus franchement une source parlementaire. "À quel moment on imaginait qu'ils donneraient des bonnes notes?"

Le gouvernement a pourtant repris certaines mesures dans l'immédiat, notamment à travers le plan de relance. Il a toutefois laissé au Parlement le soin de "travailler" le reste. Soit environ 40% des 146 mesures édictées par la CCC. Laquelle, aux yeux d'une grande partie des marcheurs, s'est trop politisée, voire radicalisée. "Des excités, manipulés par Matthieu Orphelin", veut se rassurer un député LaREM en faisant allusion à son ex-collègue écologiste devenu contempteur de l'exécutif sur les sujets environnementaux.

Un haut dirigeant du mouvement macroniste est plus prudent: "On ne va pas faire des 150 citoyens des adversaires politiques, ce serait quand même très idiot." Compliqué lorsqu'une partie d'entre eux appelle à manifester le 28 mars.

C'est l'enjeu des deux prochaines semaines. Les 70 députés de la commission spéciale - issus de tous les bords à l'exception du Rassemblement national - ont pour mission de préserver les équilibres trouvés en amont. Le patron du groupe LaREM Christophe Castaner, comme pour la loi séparatisme, a tout fait pour déminer les sujets sensibles. Sans pour autant empêcher ses députés de déposer 1500 amendements. Le quart du total.

Tensions internes

Parmi ces pierres d'achoppement, il y a la publicité pour les énergies fossiles, domaine dont s'occupera la corapporteure Aurore Bergé, en charge du titre "consommer". La clivante députée des Yvelines a déjà prévenu qu'elle n'était pas favorable à un "élargissement du champ des interdictions".

Il y aura d'autres matières à susciter des tensions. L'arrêt de certaines lignes aériennes intérieures en déçà d'un certain seuil horaire, la prise en compte du climat dans les commandes publiques, ou la suppression de l’avantage fiscal sur la taxation du gazole pour les transporteurs routiers, en font partie. Tout comme l'article 59 du projet de loi, qui prévoit d'expérimenter un menu végétarien dans les cantines des collectivités qui le souhaiteront. Une disposition débattue quelques semaines après la polémique lancée par le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, et dans laquelle Barbara Pompili s'est engouffrée malgré elle.

Or, certains députés LaREM comme Émilie Chalas (Isère) entendent aller plus loin sur ce sujet. D'autres sont en désaccord radical avec le principe même de la mesure. Jean-Baptiste Moreau par exemple, élu de la Creuse et défenseur autoproclamé de la ruralité, a déposé un amendement de suppression de cet article.

Au total, neuf amendements de ce type, pour des articles différents, ont été déposés par des membres de la majorité. Éclatante illustration des courants contraires qui la traversent. "Entre Jean-Charles Colas-Roy et Aurore Bergé, il y a un gap", constate un poids lourd du groupe.

"C'est un texte caravane. Beaucoup vont vouloir en profiter pour refaire la bataille de la loi anti-gaspillage ou de la loi sur les mobilités, en tentant de recaser les amendements qu'ils n'avaient pas réussi à faire passer", prédit un autre.

Le scénario sera similaire pour le projet de loi constitutionnel, examiné parallèlement dans l'hémicycle. Le bref texte prévoit d'inscrire à l'article premier de la Constitution que la France "garantit la préservation de la biodiversité et de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique".

Plus de 400 amendements ont été déposés. Si la majorité d'entre eux porte sur la question climatique, il y en a une kyrielle sur des sujets qui n'ont aucun lien, comme l'a souligné L'Express. Des discussions animées sont à prévoir sur la laïcité, l'IVG ou le droit à la retraite. Mais au moins, ces dissonances-là proviennent des oppositions et non de LaREM. Par ailleurs, le référendum qui doit découler du projet de loi a peu de chances de se tenir, vu l'opposition frontale de la droite au Sénat.

Les doutes sur Pompili

Et puis il y a le sujet Barbara Pompili. Ancienne membre d'Europe Écologie-Les Verts, la ministre de la Transition écologique ne fait pas l'unanimité autour d'elle au sein de la majorité. Certains la jugent trop politicienne, d'autres estiment qu'elle "ne bosse pas assez ses dossiers", ou doutent carrément de sa loyauté vis-à-vis du Château. Elle ne s'est pas aidée en créant En Commun, courant soupçonné de servir ses intérêts propres.

"Si on veut faire avancer l'écologie, il faut qu'on emmène tout le monde", a déclaré l'intéressée ce mardi matin sur LCI, assurant la promotion de son texte. "Les habitudes qu'on veut changer vont entraîner une vie plus agréable et créer beaucoup d'emplois (...) L'écologie, c'est plus de plaisir, c'est mieux vivre, mieux manger."

Positive attitude, pour l'instant. "Elle a de l'or en barre entre les mains. Il y a un truc à raconter sur les questions écolos, mais ça manque de structuration", regrette un marcheur pourtant proche de la sensibilité de Barbara Pompili. Un député loyaliste, qui loue la pugnacité et le "sens politique énorme" de la ministre, met en garde ses camarades:

"Plus on la tape, plus on la renforce, plus on sous-entend qu'elle est plus écolo que la majorité. Plus on rentre dans la logique d'un rapport de force, plus on passe pour une majorité moins-disante sur le plan environnemental."

Prudence donc. D'autant plus qu'Emmanuel Macron aura fort à faire pour éviter que son bilan climatique ne passe par pertes et profits. Selon un soutien de la première heure du président de la République, il est déjà trop tard.

"Le gain politique sera très compliqué à obtenir quoi qu'il arrive. Dès lors que Hulot s’est barré en sanglots en 2018, toute capacité à faire valoir un bilan écolo a disparu. Toute notre crédibilité en la matière reposait sur lui", déplore-t-il.
Jules Pecnard Journaliste BFMTV