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Police-Justice

Violences à Paris: 57 comparutions immédiates, la justice toujours à la recherche des casseurs

Les dégâts des violences du samedi 1er décembre à Paris s'élèvent à plus de 3 millions d'euros.

Les dégâts des violences du samedi 1er décembre à Paris s'élèvent à plus de 3 millions d'euros. - AFP

Après les violences de samedi dernier en marge de la mobilisation des gilets jaunes, les premières sanctions judiciaires sont tombées. Loin de l'image des casseurs, de nombreux prévenus semblent avoir été emportés par ces violences.

"Je n’ai pas de procès verbal d’un policier me disant qu’ils ont vu un individu avec une veste verte et un bonnet orange jeter un pétard sur les CRS." De l'aveu même de la présidente de la 24e, tiret 2, chambre du tribunal correctionnel de Paris, le dossier de Serge est mince. Comme 56 autres personnes ce lundi, celui-ci était jugé en comparution immédiate, après les violences qui ont éclaté à Paris samedi, en marge de la manifestation des gilets jaunes. Cinq salles d'audience, dont trois dédiées, ont d'ailleurs été utilisées pour faire passer tous les prévenus.

Comme la semaine dernière, nombreux sont les prévenus à avoir demandé le renvoi de leur affaire pour préparer leur défense. Participation à un groupement violent, violences volontaires sur des CRS: difficile pour la cour de caractériser les infractions reprochées à Serge. Agé de 50 ans, cet habitant de Nice "depuis mars" travaille "pour rembourser ses dettes" après "des accidents de la vie". Propriétaire d'un appartement dans le quartier de Bastille, samedi après avoir quitté une formation, il voulait rejoindre des gilets jaunes. Ligne de métro interrompue, bornes Vélib' inaccessibles, il s'est alors dirigé à pied vers la place avant de croiser un cordon de CRS. Il assure avoir parlé avec des fonctionnaires:

"Subitement j’ai été interpellé par un CRS, il m’a montré un pétard, comme quoi je l’avais fait tomber par terre, explique Serge, crâne dégarni, et très prolixe dans ses explications. Il m'a dit 'on vous a reconnu, vous avez également lancé un objet'. Je tombe des nues, c’est un véritable cauchemar. Je vous jure sur l’honneur que je n’ai strictement rien fait. Soit il y a une grosse confusion, soit on a trouvé des prétextes pour m’arrêter."

De nombreux prévenus bien insérés dans la société

La présidente du tribunal le confirme: la justice ne dispose pas d'autres éléments prouvant la participation à des violences de cet homme portant une veste verte. Dès lors, le parquet requiert la relaxe. "Le tribunal et le parquet me facilitent la tâche", reconnaît l'avocate de Serge, qui parle d'une "erreur de casting".

Le cas suivant est similaire. Pourtant Rémy, 50 ans, père de trois enfants, et habitant de La Ferté-sous-Jouarre, en Seine-et-Marne, en accord avec son conseil, demande le renvoi de son dossier. "C'est votre choix", soupire la présidente, à la lecture d'un dossier dans lequel se trouve une vidéo. "Vous avez filmé que vous marchiez dans la rue et que les policiers sont venus vous interpeller. Les policiers ont reconnu que vous vous êtes laissé interpeller", poursuit-elle. 

Nombre de prévenus ont été arrêtés avant les faits. Maçon, tourneur-fraiseur, soudeur, mécanicien, chauffeur, étudiant, des inspecteurs qualité chez Safran: nombre d'entre eux sont aussi bien insérés professionnellement et socialement. Âgés de 20 à 50 ans, ces pères de jeunes enfants, pour bon nombre d'entre eux, et habitant en régions, ont été arrêtés souvent avec des masques de ski, des lunettes de piscine, des gants, du sérum physiologique... Beaucoup ont été interpellés dès leur arrivée à la manifestation, et n'ont pas eu le temps de mettre leurs gilets jaunes. Certains avaient des frondes ou des tournevis dans leur sac. Trop "cons" pour être venus avec un couteau à une manifestation, dit d'ailleurs l'un d'eux.

"Désolé d'être là, je n'ai pas cherché à être là", souffle David, la voix chevrotante, obligé de s'asseoir car au bord du malaise. Lui est poursuivi pour avoir cherché à allumer un fumigène dans un cortège composé de gilets jaunes. "Je ne pensais pas que ça se passerait comme ça, je ne serais pas monté", acquiesce François. Cocard à l'oeil, lui est poursuivi pour violences sur des policiers. Il demande, comme d'autres, le renvoi de son dossier, qui sera jugé début janvier. Un contrôle judiciaire avec obligation de pointer dans un commissariat le samedi est imposé. Idem pour Matthias. A 21 ans, il est venu d'Eure-et-Loir. Arrivé à 10h10 à Paris, il a été arrêté à 10h20 après avoir relancé un lacrymogène sur les CRS. "C'était soit sur eux, soit sur les manifestants", estime ce jeune travailleur dans un garage, finalement condamné à un mois de prison avec sursis.

Jusqu'à six mois de prison

Dans la 23e chambre, la plus lourde peine prononcée est de trois mois de prison ferme avec mandat de dépôt à l'encontre du seul prévenu qui avait un profil de "casseur", notamment à cause de sa page Facebook. Les autres écopent de peines allant de trois mois de prison avec sursis à six mois de prison ferme. Il s’agit d’un avertissement", prévient le président. Trois étages au-dessus, devant la 24e chambre - tiret 1- cette fois-ci, le tribunal a prononcé des condamnations allant de 3 mois avec sursis à 3 mois ferme. Dans la salle d'à côté, de nombreux renvois sont demandés, la plupart du temps acceptés. Un contrôle judiciaire est ordonné avec l'obligation de pointer chaque semaine dans un commissariat, "la première fois samedi prochain pour éviter que vous veniez à Paris."

Le tribunal a aussi eu à juger ce jour-là, un autre pan des violences commises samedi avec les dégradations sur et dans l'Arc de Triomphe. Oualid, Mohamed et Miloud ont comparu pour le recel de six médailles souvenir dorées dérobées dans le monument historique. Deux d'entre eux étaient venus à Paris pour "acheter des chaussures Louboutin" dans le magasin rue de Rivoli. N'arrivant pas à accéder à cet axe, ils ont raconté s'être garés à Neuilly-sur-Seine, à proximité de l'avenue de la Grande Armée, où l'un d'eux aurait rencontré un vendeur à la sauvette.

"J’ai fait le curieux, j’ai regardé ce qu’il y avait à vendre. Il m’a dit 20 euros, je les ai négociées à 10 euros, je les ai mises dans le véhicule. Il m’a dit 'c’est des pièces souvenir'. Je ne connaissais pas, je me suis dit que 'javais rien à perdre, c’est 10 euros'. Pour moi, les pièces étaient en or, c’est pour ça que je me suis intéressé. Je n’ai même pas cherché à savoir d’où il les tenait. Je comptais les garder", se défend Mohamed.

"Ce n’était pas le jour pour acheter des chaussures, mais c’est toujours le jour pour se faire un petit billet", a dénoncé le procureur de la République, parlant de "détrousseurs de cadavres". "On est loin des idées révolutionnaires, on est dans le délit le plus sordide", a-t-il poursuivi, avant de requérir des peines de 6 et 3 mois de prison ferme avec mandat de dépôt contre deux des prévenus. Ils ont été condamnés à 90 jours-amende chacun de 15 et 20 euros. Dimanche soir, 111 gardes à vue avaient été prolongées. Autant de personnes qui pourraient être amenées à être jugées mardi lors de nouvelles audiences de comparutions immédiates.

Revivez les procès devant la 24e chambre - 2 du tribunal correctionnel de Paris des manifestants arrêtés samedi à Paris: 

Justine Chevalier