TOUT COMPRENDRE - Qu'est-ce que l'affaire des "écoutes"?
C’est une enquête dans l’enquête. Entre 2014 et 2019, le parquet national financier (PNF) a mené des investigations dans le plus grand secret pour tenter d'identifier une taupe éventuelle qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat, Me Thierry Herzog, qu'ils étaient sur écoute.
Ces recherches, parallèles aux investigations dans l'affaire dite des "écoutes", étaient connues et dénoncées de longue date par la défense de l'ancien président et de son conseil, mais pas son contenu ni l'ampleur de la surveillance de tous ces avocats. BFMTV.com fait le point sur les pratiques employées par le PNF et largement dénoncées par les avocats ulcérés par cet espionnage.
- Quel est le nouveau rebondissement dans l’affaire des “écoutes” de Sarkozy ?
D’après Le Point, les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff), sous la houlette du PNF, ont un temps épluché les factures téléphoniques détaillées ("fadettes") de nombreux ténors du barreaux et de leurs collaborateurs, parmi lesquels Mes Eric Dupond-Moretti, Jean Veil, Jacqueline Laffont, Pierre Haïk, Hervé Témime ou Marie-Alix Canu-Bernard mais aussi d'une magistrate ou des lignes fixes du PNF. Certains avocats ont même été géolocalisés.
Objectif : retrouver la taupe éventuelle au sein de la magistrature qui aurait informé l'un d’entre eux de l'existence d'écoutes visant Sarkozy et Me Herzog. Toutes ces personnes ont été en contact téléphonique avec Me Herzog ce 25 février 2014, jour où lui et Nicolas Sarkozy auraient, selon les enquêteurs, compris que la fameuse ligne téléphonique "Paul Bismuth" était écoutée. C’est alors que l’enquête parallèle, au coeur de la polémique ce jeudi, a été ouverte afin de trouver cet informateur. Mais en vain, et l’affaire s’est conclue par un non-lieu en 2019.
- Pourquoi Nicolas Sarkozy est-il poursuivi par la justice ?
Ces interceptions de conversations téléphoniques de l'ex-chef de l'Etat avec son avocat ont, à l'origine, été diligentées dans le cadre de l'enquête sur les accusations de financement libyen de sa campagne de 2007. Les policiers l’avaient mis sur écoute et avaient à cette occasion découvert que Nicolas Sarkozy utilisait un portable secret ouvert sous l'alias "Paul Bismuth" pour communiquer avec son ami et son avocat.
Ses échanges ont donné lieu à l’affaire dites des "écoutes", dans laquelle l'ancien chef de l'Etat est soupçonné d'avoir tenté d'obtenir début 2014, par l'entremise de Thierry Herzog, des informations secrètes auprès de l'ancien haut magistrat à la Cour de cassation Gilbert Azibert dans une procédure en marge de l'affaire Bettencourt, en échange d'un coup de pouce pour un poste à Monaco.
- Pourquoi l’enquête parallèle menée par le PNF pose-t-elle problème ?
La révélation de cette enquête menée en catimini ulcère les avocats concernés. Me Eric Dupond-Moretti a annoncé sur LCI déposer "plainte" contre ces "méthodes de barbouzes". Me Marie-Alix Canu-Bernard, une autre avocate mise sur écoutes, a elle aussi découvert avec surprise ces écoutes.
Interrogée sur BFMTV, elle partage sa sidération "dans la mesure où je n’ai aucun rapport avec cette affaire, ni de près ni de loin : je ne suis l’avocate d’aucun des protagonistes de ce dossier. Je suis juste consoeur et amie de Thierry Herzog. Pour ces motifs, le procureur a présumé que j’avais peut-être commis une infraction. J’attends d’en savoir plus et la question de la plainte va se poser".
Car cette pratique pose la question de la violation du secret professionnel auquel sont soumis les avocats. "Eplucher m’a téléphonie pour savoir qui aurait pu me transmettre une information c’est une violation des principes, sachant que les écoutes téléphoniques sont soumises à un régime spécifique pour les avocats", insiste Me Marie-Alix Canu-Bernard.
Par ailleurs, cette action est, pour le camp de Sarkozy, la preuve qu’on a cherché à les mettre en difficulté. L'ampleur des investigations pour trouver la "taupe" supposée "montre l'aspect désespéré de la procédure, on va chercher jusqu'au bout du monde des preuves qui n'existent pas, tout ça pour déboucher sur un constat d'échec et le cacher à la défense" a réagi à l'AFP Me Paul-Albert Iweins, avocat de Me Herzog.
Cette enquête préliminaire n'a jamais été versée au dossier d'instruction qui a abouti au procès. C'est le vrai "scandale", a souligné auprès de l'AFP un autre avocat du dossier, qui estime que le classement sans suite est à décharge pour Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog et aurait dû empêcher leur renvoi en procès.
Le PNF a quant à lui répondu avoir préféré la voie de l'enquête préliminaire pour ces investigations car il "n'a pas voulu porter atteinte à la bonne conduite de l'information judiciaire". Nicolas Sarkozy réclame "le respect de l’Etat de droit" et attend que "toute la vérité" soit "rétablie sur les circonstances qui ont permis cette invraisemblable accumulation de manquements et de dysfonctionnements".
- La justice est-elle accusée d’avoir exercé des pressions dans d’autres affaires impliquant des politiques ?
Cette affaire intervient au moment où le PNF, créé sous la présidence de François Hollande, fait déjà l'objet de vives critiques. Il y a quelques jours, Eliane Houlette, à sa tête jusque fin juin 2019, a affirmé avoir subi des "pressions" procédurales de la part du parquet général dans la conduite de l'affaire Fillon, des déclarations interprétées par le camp de l'ex-candidat à la présidentielle comme l'aveu de pressions politiques pour mettre en cause leur champion.
Elle s'est émue du "contrôle très étroit" qu'aurait exercé le parquet général, son autorité de tutelle directe, dans la conduite des investigations lancées en pleine campagne présidentielle de 2017 après un article du Canard enchaîné. Elle a notamment évoqué "des demandes de transmission rapide" sur les actes d'investigation ou les auditions et a révélé avoir été convoquée par le parquet général, qui plaidait pour que l'enquête soit confiée à un juge d'instruction. Le PNF a finalement accédé à cette demande en invoquant un risque de prescription, selon Eliane Houlette.
"Ce sont des pratiques contraires à la justice, indigne d’une République comme la nôtre, et sur lesquelles le PNF devra s’expliquer", a réagi sur notre antenne Annie Genevard, vice-présidente Les Républicains de l’Assemblée Nationale. Et d’ajouter:
"Cette affaire d’écoutes d’avocats nous conduit à nous poser les mêmes questions que dans l’affaire Fillon. C’est très grave car il y a un fonctionnement dévoyé de la justice. Si la justice est instrumentalisée à des fins politiques, c’est tout le lien de confiance qui est rompu."