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Têtes de porc décapitées devant des mosquées: ingérence russe ou action coordonnée de l’ultradroite?

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Après le dépôt d’une dizaine de têtes de cochon, dans la nuit du 8 au 9 septembre, devant des mosquées et des salles de prières musulmanes à Paris et en proche banlieue parisienne, la piste de l’ultradroite et de l’ingérence russe font partie des hypothèses retenues.

Action hostile de l’ultradroite ou tentative de déstabilisation pro-russe? L’énigme est toujours entière quelques heures après la découverte, ce 9 septembre au petit matin, de neuf têtes de cochon décapitées devant des lieux de culte musulman à Paris, Malakoff, Montreuil, Montrouge et Gentilly, en Île-de-France.

Elles ont été retrouvées là par des fidèles musulmans alors qu’ils venaient prier. Ils ont alors prévenu la police et déposé plainte. Le parquet de Paris, qui centralise les investigations, a ouvert une enquête de flagrance pour "violence" et "provocation à la haine ou à la violence" commise en raison de l’origine, de la race ou de la religion.

"Tout est mis en œuvre pour retrouver les auteurs de ces actes abjects", a tempêté sur X le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez. La brigade criminelle de Paris, chargée des investigations, tente de remonter la trace de ces bouchers noctambules.

La piste d'actions coordonnées

Selon les informations de BFMTV, certains des suspects ont manqué de discrétion et ont été repérés par les caméras de vidéosurveillance. Ainsi, un homme de type européen, d’allure athlétique, vêtu de noir avec sac à dos et baskets blanches, a été filmé peu avant de déposer une tête d’animal près de la mosquée de Montreuil.

Du côté de Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, c’est un homme masqué, petit sac sur le dos et béret sur la tête, qui a été vu par une caméra. Il est reparti aussitôt après son méfait. Il n'y a eu aucune arrestation à cette heure.

Plusieurs de ces têtes de cochon – animal impur selon les préceptes de l’islam – étaient porteuses de messages à caractère politique. Cinq d’entre elles étaient tachées de peinture bleue, à l’instar celle retrouvée devant la mosquée Anwar El-Madina, dans le 20e arrondissement de Paris. Plusieurs étaient barrées de l’inscription "Macron" en lettres bleues, notamment à Paris et dans la commune de Malakoff.

"Les têtes sont très bien tranchées", indique une source policière contactée par BFMTV. Une coupe qui suppose un certain professionnalisme.

Ces très fortes similitudes ont de toute évidence fait penser à une action concertée, comme l’ont soutenu, dès ce matin, plusieurs sources proches de l’enquête à BFMTV.

"Vu l’heure, les lieux, la configuration et la tenue des individus, il est évident que c’est le fait d’un seul et même groupe organisé", a déclaré l’une d’elles.

Au vu du nombre de mosquées touchées de manière quasi simultanée à travers l’Île-de-France, "cela ne peut pas être le fait d’un loup solitaire", estime auprès de BFMTV aussi Sophiane Ben Ali, avocat des fidèles de Malakoff. "Les fidèles de la mosquée sont attristés et marqués par la peur", insiste le conseil.

La piste russe évoquée

Selon l’hypothèse d’une source policière, il pourrait s’agir d’une opération de déstabilisation étrangère, destinée à fracturer la société, à crisper la communauté musulmane et à créer du bruit médiatique. 

Le mode opératoire, nocturne, visant des lieux de culte, à l’aide de viande et de peinture, peut être rapproché des étoiles bleues de David ou des mains rouges taguées à Paris, ou encore ces peintures vertes projetées sur des lieux de culte israélites en 2023 et 2024.

À chaque fois, ces actions avaient été menées par des ressortissants d’Europe de l’Est, Serbes ou Moldaves, soupçonnés d’obéir à des commanditaires russes.

La piste de l’ultradroite aussi étudiée

En plus de la piste de l'acte pro-russe, une hypothèse est étudiée. Il pourrait aussi s’agir d’une opération d’ampleur inédite menée par des militants d’extrême droite, suggère une autre source policière.

Dans cette mouvance, la viande de porc, vue comme un symbole antimusulman, est devenue un signe de ralliement.

"Il suffit de regarder les masques qu’ils portent, les pseudos qu’ils utilisent en ligne: le cochon, c’est leur marque de reconnaissance", analyse une source policière bien informée, auprès de BFMTV.

C’est particulièrement le cas pour la mouvance identitaire. Celle-ci organisait en 2013 à Lyon la "Marche des Cochons", une déambulation dans le Vieux-Lyon au cours de laquelle leurs militants portaient des masques à l’effigie de porcs, dans le but de s’en prendre aux musulmans.

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Il est fréquent que cette mouvance cible des mosquées "avec des gestes destinés à déclarer son hostilité, tel le dépôt de têtes de porc", soulignent les chercheurs Nicolas Lebourg et Isabelle Sommier dans leur livre "Violences politiques en France de 1986 à nos jours" (Presses de Sciences Po, 2021).

Selon les informations de BFMTV, une tête de cochon a été retrouvée devant la mosquée de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, en mars 2024. Une autre a été découverte dans l'édifice religieux musulman de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard en décembre 2024. Quelques semaines plus tôt, un marcassin mort avait été déposé devant une mosquée de Côte-d'Or.

Au mois de juillet de la même année, un incendie criminel a en outre touché une maison inhabitée attenante à un bar-tabac à Vauvillers, en Haute-Saône. La victime, de nationalité franco-turque, a découvert au moment du déclenchement du sinistre, des oreilles de cochon devant chez elle. L’ultradroite est souvent soupçonnée dans ces affaires, mais les auteurs n’ont toujours pas été identifiés.

Certaines mosquées déjà visées

Certaines mosquées touchées par l’opération du 9 septembre avaient déjà été ciblées. "L’année dernière, on a déjà retrouvé une tête de cochon devant la mosquée, mais on ne l’avait pas signalé à la police", indique à BFMTV, le responsable de la mosquée Anwar El-Madina, dans le 20e arrondissement de Paris.

"Des excréments avaient été tapissés sur la porte. Il y a trois mois, le 21 mai, nos portes ont été taguées par une croix celtique", ajoute-t-il.

L’inscription "RN", sigle du Rassemblement national, avait été tagué en lettres noires sur la porte de la salle de prière, selon des images que BFMTV a pu consulter. Cette fois, une plainte avait été déposée. 

Le responsable de la salle de prière se dit "très choqué". "À chaque fois qu’un événement comme celui-ci se produit, les fidèles se demandent s’ils sont vraiment en sécurité quand ils viennent faire la prière", conclut-il.

Paul Conge et Alexandra Gonzalez avec Sylvain Allemand