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Police-Justice

Son indemnisation annulée, une paraplégique doit rembourser 80.000 euros

Les remparts du château de Caen, hauts de 15 à 20 mètres.

Les remparts du château de Caen, hauts de 15 à 20 mètres. - Cyradis – flickr - CC

En 2005, une jeune fille suicidaire avait échappé à la vigilance du personnel de l'hôpital psychiatrique de Caen et s'était jetée du haut des remparts du château de la ville. Après un premier jugement de 2011, qui avait conclu à la responsabilité de l'établissement, une deuxième décision du même tribunal administratif a annulé son indemnisation.

Les faits remontent à novembre 2005, quand une jeune fille de 16 ans souffrant d'anorexie mentale s'était échappée de l'hôpital psychiatrique de Caen pour aller se jeter du haut des remparts du château de la ville. La chute d'une quinzaine de mètres la laissera paraplégique.

Il avait ensuite fallu attendre 2011 pour que la responsabilité de l'hôpital psychiatrique en charge cette mineure aux tendances suicidaires avérées, soit reconnue. Mais après un appel qui avait pourtant confirmé cette première décision et le rejet d'un pourvoi en cassation par le Conseil d'Etat, le même tribunal administratif de Caen, jugeant au fond, est revenu sur sa décision. Ainsi, les 80.000 euros versés au titre d'avances sur indemnités à la jeune femme et les 30.000 euros versés à sa famille, doivent être remboursés, rapporte Le Point.

"Inattention momentanée" ne vaut pas "de défaut de surveillance"

Car si la cour d'appel de Nantes avait conclu que "la responsabilité de l'hôpital n'est pas contestable", le jugement du 28 mai dernier statue de manière bien différente. S'appuyant sur un même rapport d'expert de janvier 2010 qui pointait "une inattention momentanée" de la part du personnel, le juge administratif, dont BFMTV.com a pu consulter la décision, n'en rejette pas moins un quelconque "défaut de surveillance". Et ce quand bien même "le mal-être et les idées suicidaires de l’intéressée ont été portés à la connaissance du personnel médical et soignant dès son arrivée", relève-t-il encore.

Pour arriver à cette conclusion, plusieurs arguments sont avancés par les magistrats. Il y a tout d'abord le reproche formulé par les plaignants, selon lequel la surveillance de la jeune mineure n'aurait pas été "conforme à l'état de la patiente, dès lors que l'infirmier psychiatrique venu chercher Mlle A… est reparti en laissant les vêtements dans la chambre". Selon les demandeurs, c'est bien ce manquement "qui a permis à l'intéressée de sortir du service et de rejoindre une venelle extérieure". Or, répond le juge, la jeune fille était placée dans cet établissement sous "le régime de l'hospitalisation libre, faute pour ses parents d'avoir pu, après sa troisième tentative de suicide, la placer dans un établissement pourvu d'un service adapté et spécialisé en pédopsychiatrie". En l'occurrence à Rouen.

Des "mesures adéquates" trompées par "préméditation"

Le tribunal fait donc valoir que "si ce régime n’impose théoriquement aucune mesure de surveillance ou d’interdiction de sortie, les médecins du CHS, tenant compte des antécédents de la patiente, avaient cependant pris toutes les mesures adéquates de surveillance et notamment l'interdiction de sortie". Autrement dit, les médecins et soignants ont mis en place des mesures de surveillance sans y être véritablement et absolument obligés.

Et même, s'il n'est pas contesté que sa tenue de ville a été laissée à disposition de la jeune fille, le rapport d'expert démontrerait qu'il s'agissait "d'une intention thérapeutique" et non "de l'absence de respect d'une prescription" des médecins. Ce, alors que le même rapport rend compte de "consignes du médecin", pour laisser la jeune fille "en pyjama", à moins qu'elle ne soit "sous contrôle du personnel hospitalier" par exemple pour se rendre à la cafétéria. Plus étonnant encore, le tribunal relève que "connaissant l'interdiction prise à son encontre, Mlle A… avait prémédité de fuguer en profitant d'un moment d'inattention du personnel soignant".

Les plaignants font appel de la décision

Concernant l'autre grand reproche formulé contre l'équipe soignante, à savoir un manque de réactivité, l'argument est également rejeté. Là encore, estime le juge, les services ont "fait preuve de la diligence adaptée aux circonstances" en recherchant en voiture la jeune femme. A contrario, selon Le Point, l'avocat de la famille avance que l'hôpital a certes prévenu, "mais tardivement", la famille et la police. En outre, la description de la fugueuse, en "jeans et sweat gris à capuche", ne correspondrait pas aux vêtements qu'elle portait effectivement, "pull blanc et pantalon bleu ciel".

La jeune femme, devenue étudiante, et ses parents ont fait appel de cette décision. Ces derniers, qui assistent leur fille quatre heures par jour du fait de son handicap, font aussi valoir qu'ils ont dû aménager leur logement et acheter un véhicule adapté. En réparation des préjudices subis, ils requièrent la somme d'1,3 million d'euros, assortie d'une rente annuelle de 70.000 euros.

>> Ci-dessous la décision du tribunal administratif de Caen rendue le 28 mai 2015

David Namias