Six ans après l'assassinat d'un retraité dans le Cher, ses proches dénoncent une enquête qui patine

Fernando Mourao a été assassiné à son domicile de la rue du Pavillon, à Châteaumeillant, dans la nuit du 24 au 25 mars 2016. - Capture d'écran Google Street View
Un sexagénaire tué par balles il y a six ans jour pour jour, et depuis, des parties civiles toujours en attente de réponses. "On demande juste la vérité pour pouvoir faire notre deuil", confie Adélia. Le 25 mars 2016 au matin, son frère, Fernando Mourao, un retraité âgé de 60 ans, est retrouvé mort à son domicile de Châteaumeillant.
Autour du fauteuil dans lequel il repose, face à sa télévision, des meubles ont été renversés. Pourtant, rien n'a disparu, pas même les objets de valeur. Les enquêteurs écartent alors la piste du cambriolage qui aurait mal tourné, au profit de celle d'un assassinat froidement exécuté.
Cinq juges d'instruction en six ans
Depuis cette découverte, cinq juges d'instruction et trois directeurs d'enquête différents se sont succédé en l'espace de six ans, mais personne n'a été condamné. Dans l'affaire Mourao, il y a pourtant bien un suspect: rapidement, les enquêteurs orientent leurs recherches autour de Gilles Tourny, voisin et vieil ami de la victime.
Dans ce qu'ils retiennent contre lui, notamment, une histoire de tromperie: une trentaine d'années auparavant, ce dernier avait eu une courte liaison avec la compagne de Fernando Mourao de l'époque, et ce dernier aurait ensuite eu à son tour une aventure avec la compagne du suspect.
"C'est une histoire très ancienne, cette liaison a duré vingt-quatre heures", commente auprès de BFMTV.com Roger-Marc Moreau, détective privé sollicité par la fille de l'unique suspect.
"La veille, ils buvaient un café ensemble"
Principalement sur la base de cet élément, Gilles Tourny est mis en examen en février 2017, emprisonné, avant d'obtenir sa libération cinq mois plus tard. Placé un temps sous contrôle judiciaire, il ne l'est plus à ce jour mais reste mis en examen. Cette accusation est pourtant loin de faire l'unanimité, et ce jusque dans les rangs des parties civiles.
"Rien ne laisse à penser que c'est lui. La veille de son assassinat, mon frère était encore chez Gilles Tourny pour boire un café", soutient Adélia, la soeur de la victime, contactée par BFMTV.com.
Dans la famille Mourao, deux clans ont fini par se former, une soeur et une fille de la victime ne s'opposant pas à la version d'une implication du voisin. "Les autres parties civiles sont prêtes à accueillir tout ce que l'instruction donnera, sauf s'il s'agit d'inculper Gilles Tourny. Mes clientes n'ont au contraire pas d'a priori, que ce soit lui ou non qui soit coupable", déclare auprès de BFMTV.com Me Eugène Bangoura, avocat de cette partie de la famille.
"Quoi qu'il en soit, on sait que le temps joue contre la conclusion des enquêtes criminelles. Il faut que la justice aille jusqu'au bout. Il y a beaucoup de dépit, mais aussi de l'espoir", martèle-t-il.
Gilles Tourny, le voisin "simple et généreux"
De l'autre côté de la famille, comme pour le comité de soutien créé par des habitants de la commune, Gilles Tourny est cependant bel et bien innocent: les deux hommes, liés par une amitié solide de plus de trente ans, se voyaient quasiment quotidiennement, bricolaient régulièrement ensemble et avaient même mis en place un passage reliant leurs deux maisons pour ne pas avoir à passer par la rue pour se voir.
"Gilles Tourny est quelqu'un de simple et de généreux. Son épouse et lui sont bien insérés dans la région. On n'avait aucune raison de se méfier de lui et le soupçonner d'avoir commis un tel acte", assure Roger-Marc Moreau.
Son avocat demande un non-lieu
Malgré tout, le directeur d'enquête de la gendarmerie est convaincu de sa culpabilité. Il lui reproche notamment de ne pas avoir sorti ses chiens, comme il en avait l'habitude, le soir de l'assassinat. Ce à quoi Gilles Tourny répond qu'il était captivé par les derniers épisodes d'une série qu'il suivait à la télévision, version corroborée par son épouse.
Lors d'une perquisition au domicile du suspect, les enquêteurs retrouvent également des armes, une trouvaille qui, pour eux, constitue un élément de plus à charge contre le retraité. Lui dit les avoir achetées pour les utiliser contre des nuisibles qui pourraient s'introduire dans son jardin.
L'avocat du suspect, Me Sylvain Cormier, et Roger-Marc Moreau demandent à présent sa démise en examen et un non-lieu, estimant que les éléments retenus contre lui sont insuffisants.
Un autre "suspect évident"?
D'autant qu'aux balbutiements de l'enquête, les gendarmes suivent d'abord une toute autre piste, raconte le criminaliste: Fernando Mourao, célibataire depuis quelques années, fait la connaissance d'une jeune femme âgée d'une trentaine d'années. Même si elle est déjà en couple, un enfant naît de cette relation.Au départ, le compagnon de la jeune femme, un membre de la communauté des gens du voyage, se montre complaisant et laisse Fernando Mourao voir son fils contre de l'argent. Un accord dont le retraité finit par se lasser: il engage des procédures de reconnaissance en paternité.
"Quand le mari l'apprend, il va le menacer de mort, lui envoyer une cible avec des impacts de balles", poursuit Roger-Marc Moreau. "Fernando Mourao s'était armé d'un fusil de chasse, il avait disposé des cartouches dans toutes les pièces de sa maison", après avoir reçu les menaces.
Face à cela, l'homme n'a pas d'alibi solide, estime le criminaliste. Il affirme être resté chez lui le soir du meurtre, et grâce aux données de géolocalisation, les gendarmes confirment que son téléphone était bien à son domicile à ce moment-là. "Mais il aurait très bien pu le laisser consciemment chez lui", déclare Roger-Marc Moreau. De plus, des résidus de tirs sont retrouvés sur ses affaires, ce qu'il expliquera en disant avoir tiré sur un renard qui s'était introduit chez lui. Une version satisfaisante pour les enquêteurs, qui décident de porter leur attention sur le voisin de la victime et de ne pas la relâcher pendant de nombreuses années.
"Allons fouiller d'autres pistes"
Pourtant, six ans plus tard, "l'enquête avance toujours très doucement", confie Me Juliette Chapelle. "Elargissons! Allons fouiller d'autres pistes", appelle-t-elle.
Cette demande, ses clients l'ont réitérée plusieurs fois devant la chambre de l'instruction, ces dernières années. La colère les a peu à peu gagnés, alors que l'enquête a pris un retard que les cinq juges d'instruction successifs n'ont pas pu rattraper. Un point sur lequel s'alignent toutes les parties.
"Quand mes clients entendent que ce sont la grève des avocats et la crise du Covid qui ont fait ralentir l'enquête, ils sont encore plus tristes de voir que la justice ne reconnaît pas ses erreurs. C'est éreintant pour eux", rapporte l'avocate.
D'après plusieurs sources, depuis quelques temps, Gilles Tourny a développé une maladie mentale proche d'Alzheimer. "La dernière fois, il a même demandé pourquoi Fernando n'était pas venu boire un café", confie Adélia. "Est-ce que les enquêteurs vont clore l'enquête, s'il lui arrive quelque chose? On se battra bec et ongles pour que ça n'arrive pas."
Contacté par BFMTV.com, le parquet de Bourges, en charge de l'affaire, n'a pas souhaité s'exprimer, l'instruction étant toujours en cours.