Religion en prison: que dit la loi?

Les prisons sont-elles le foyer de la radicalisation religieuse? (illustration) - -
La prison favorise-t-elle la montée d'un islam radical en France? Pointé du doigt dans l'affaire Mehdi Nemmouche, l'univers carcéral concentre les critiques et se voit accusé d'être devenu un lieu de radicalisation des détenus. Car dans le cas du suspect de la tuerie de Bruxelles, où quatre personnes sont mortes, la prison semble avoir été un terreau propice. Selon le procureur de Paris, François Molins, c'est en prison que Mehdi Nemmouche s'illustre par "son prosélytisme extrémiste" et son "radicalisme religieux". Comment le culte est-il encadré en prison?
> Que dit la loi?
Depuis la loi de 1905 établissant la séparation entre l'Église et l'État, les prisons sont tenues de garantir "le libre exercice des cultes". Pour cela, l'Etat prend en charge toutes les dépenses.
Concrètement, des aumôneries sont instituées dans les prisons, avec des référents religieux (catholique, protestant, musulman, israélite et orthodoxe). Leur statut est fixé par le Code de procédure pénale et ils sont nommés par le directeur régional de l’administration pénitentiaire, après consultation des autorités religieuses et avis du préfet. Ils sont indemnisés en tant qu’agents publics contractuels.
> Une liberté de culte mise à mal dans les faits
Or, d'après un rapport de 2011 du contrôleur général des lieux de privation de liberté, la liberté du culte n'est pas toujours assurée. Confiscation sommaire, manque de menus hallal et casher, mépris affiché... Ce texte de sept pages souligne le manque "d'égalité de traitement" et les "discriminations" entre les religions.
Autre écueil pointé du doigt par le rapport, des décisions parfois mal vécues. Comme la confiscation d'un coran ou d'un tapis religieux sans justification par les gardiens de prison, censés être neutres vis-à-vis des pratiques religieuses, et qui "ne manquent pas de susciter des incompréhensions" auprès des détenus, pointe le rapport. Une voie royale pour les radicaux qui occupent l'espace laissé vacant par les lacunes de l'administration.
> Un manque d'imams
• Trop peu d'imams. "En prison nous n'avons pas suffisamment d'imams pour tenter de 'déradicaliser' ces gens", confirme Louis Caprioli, conseiller du groupe Geos et ancien responsable de la lutte antiterroriste à la DST, à BFMTV.com. "De plus, ces imams n'ont pas les compétences et les légitimités pour influencer ces garçons. Donc en amont, nous n'avons pas les moyens d'agir."
Les chiffres avancés par le rapport en 2011 et cités par L'Express parlent d'eux-même. Les chrétiens disposent de plus de 900 aumôniers agréés par l'administration, quand les musulmans n'en ont que 150. Or, la proportion de détenus catholiques ou protestants est à peine de 20% quand les musulmans représentent 30 à 40% des effectifs, selon le contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue.
• Résultat: un islam moins encadré, donc moins "contrôlé" par les autorités françaises. "Une gestion de la religion avec des individus fiables, c'est très important", insiste pourtant Gilles Kepel, à condition d'être "sûrs des gens avec qui on traite". Pour ce spécialiste de l'islam interrogé par BFMTV, le problème réside dans la perte d'influence du Conseil français du culte musulman (CFCM). "Depuis, on a une espèce de surenchère à la radicalisation sur Internet. Il n'y a plus véritablement de normes et de références, c'est un problème". Qui se retrouve aussi en prison, notamment via des imams autoproclamés qui prêchent hors-cadre.
> Entre 70 et 400 prisonniers radicaux très surveillés
• Comment les détenus radicaux sont-ils surveillés? A défaut de garantir un islam modéré en prison, l'administration pénitentiaire s'emploie à identifier et surveiller les détenus radicaux via le bureau EMS3, un service d'une douzaine de personnes créé en 2003 et "chargé de recueillir et d'analyser l'ensemble des informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires". Concrètement, collecter tous les renseignements possibles sur ces détenus étiquettés radicaux.
• Combien y a-t-il de détenus radicaux en France? Selon un rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le fonctionnement des services de renseignement français, présenté en mai 2013, l'EMS3 suit "environ 810 détenus, dont 250 en lien avec le terrorisme. Et entre 70 et 80 personnes font l’objet d’une surveillance pour des comportements en lien avec la mouvance islamiste tandis que les autres individus surveillés sont en lien avec des organisations séparatistes (basques, corses, kurdes, etc.)." Un chiffre sous-évalué si l'on en croit le sociologue Farhad Kosrokhavar. "Sur l’ensemble des détenus musulmans, il y a entre 300 et 400 radicaux", assure-t-il à 20 Minutes.