Ramirez-Unterweger: les opposés s'attirent

Notre série d'été Copycat Killer - BFMTV
Cette fois, le copycat et son idole se ressemblent à peu près comme chien et chat. D'un côté, un Américain écumant les marges, de l'autre le dandy autrichien grenouillant auprès de l'élite. Le latino aux dents méchamment déchaussées, et le mondain viennois habitué à sourire aux photographes. Le voleur de voitures et l'écrivain aux décapotables.
Pourtant, la fascination unissant les serial killers Richard Ramirez et Jack Unterweger est aussi troublante que réelle. Et son sens s'inscrit à rebours de ce qu'on aurait pu attendre. Car c'est l'Européen, de dix ans l'aîné du premier, qui a nourri une admiration pour l'assassin californien, au point d'aller lui rendre un sanglant hommage sur ses terres. Avec le Los Angeles des coupe-gorges et des mauvaises rencontres pour toile de fond. Aussi, penchons-nous d'abord sur ce personnage à l'origine d'une telle passion criminelle: Richard Ramirez, le Night Stalker (le "traqueur de la nuit").
Les soirées photos du cousin Mike
Pour Richard Ramirez, l'histoire commence en 1960, à El Paso au Texas, et elle commence tristement. Si sa mère est une catholique fervente qui soigne son éducation et celle de ses quatre autres enfants, son père, un ancien policier de Ciudad Juarez une des villes les plus dangereuses du Mexique, a la main leste. Pour en savoir plus sur ce milieu et la personnalité de Richard Ramirez, nous nous sommes tournés vers Nicolas Castelaux, l'auteur de sa seule biographie francophone, intitulée Richard Ramirez, le fils du diable.
Aujourd'hui, directeur de la collection Camion noir consacrée aux faits-divers et aux cultures extrêmes au sein de la maison d'édition Camion blanc, il a même correspondu avec le meurtrier, entre 1996 et 2002. Il faut souligner, avant de lui donner la parole, que Nicolas Castelaux est un pseudonyme et que l'intéressé a lui-même été condamné à 12 ans de prison en 1996, en purgeant six. Il n'en reste pas moins un interlocuteur incontournable tant en ce qui concerne Richard Ramirez que Jack Unterweger. Nicolas Castelaux dépeint ainsi le milieu familial de Richard Ramirez: "Quand on parle des abus du père, on parle bien de violences familiales".
La vie du petit Richard bascule vite dans l'horreur, au contact d'un cousin vétéran du Vietnam. "Son cousin Mike lui montrait des photos du Vietnam, de viols, de meurtres qu'il avait commis sur place", retrace Nicolas Castelaux qui ajoute: "Richard Ramirez a même assisté au meurtre de sa femme par Mike. Il a pris le fusil devant lui... Et puis, il lui a dit de ne rien dire, et même de nettoyer la scène du crime!"
Le diable comme témoin d'amoralité
Après cet épisode, Ramirez, jeune ado, se pose chez sa soeur mais le cadre y est à peine plus stable. Et la psyché du jeune homme, qui boit et fume des joints depuis qu'il a douze ans, prend alors une tournure particulière. "Ramirez est gamin mais il est déjà fasciné par le macabre. Il écoute du Metal - une culture qui n'est pas du tout celle de son milieu d'ailleurs - et il est très marqué par l'Eglise de Satan, première église sataniste officielle aux Etats-Unis", reprend Nicolas Castelaux.
Le satanisme tiendra Ramirez au corps tout au long de sa vie. Plus tard, des rescapés raconteront comment il force ses victimes à louer le diable. Il crie "Vive Satan!" en arrivant à son procès, se peint des pentacles sur les paumes, multiplie les "manos cornudas", ce signe hérité du chanteur Ronnie James Dio et du Heavy Metal qui consiste à mimer des cornes avec ses doigts. "Sa porte d'entrée sur le satanisme, c'est la musique, une manière un peu caricaturale donc. C'est un peu le satanisme hollywoodien d'un type qui se voyait comme une rockstar", note l'auteur de Richard Ramirez, le fils du diable.
Un modus operandi qui passe par la fenêtre
Ce même sadisme qui le conduit à la barbarie, au long d'une équipée d'un peu plus d'un an entre le printemps 1984, saison de ses premiers crimes, et le 31 août 1985, jour de son arrestation. La chronologie des meurtres de Ramirez - qui fauche hommes, femmes, enfants, de différents horizons sociaux - peut sembler embrouillée: il a fallu attendre un test ADN en 2009, par exemple, pour établir qu'il avait d'abord assassiné une petite fille le 10 avril 1984. Mais, en tout état de cause, il sera condamné (à mort) en 1989 pour 13 meurtres, cinq tentatives, 11 viols et 14 vols avec effraction.
On s'accorde traditionnellement pour voir dans le viol et le meurtre de Jennie Vincow, 79 ans, le 28 juin 1984 à Los Angeles le début de sa série. Il s'acharne sur sa victime au point qu'elle sera découverte presque décapitée. C'est un sans-domicile fixe toxicomane qui bascule dans l'horreur, après s'être d'abord dédié au cambriolage, emportant bijoux et électroménager pour financer notamment sa consommation de cocaïne.
S'il s'en prend à des individus isolés, il élimine parfois des couples, et attaque même un duo de soeurs octogénaires. On retrouvera en revanche une forme de permanence dans son modus operandi. Il pénètre de nuit dans une propriété, passe par une fenêtre ouverte, réveille ses victimes dans la terreur qu'on imagine. Il préfère accabler les malheureux de coups de couteau. Face à un couple, en revanche, il a tendance à abattre le mari par balle avant de torturer l'épouse.

Peur sur la ville
L'attaque du 29 mai 1985 contre les soeurs Ma Bell (qui succombera à ses blessures) et Nettie Lang marque un tournant: il charge ses mises en scène d'une symbolique satanique rudimentaire, dessinant notamment des pentacles. "Ces crimes ont une dimension presque religieuse, dans la mesure où la ritualisation du crime lui donne l’aspect d’un sacrifice : c’est pourquoi le culte des tueurs en série est présent dans l’univers des satanistes", avait expertisé plus largement Bruno Fuligni, historien et auteur notamment des Souvenirs de la police lors d'un échange avec BFMTV.com.
La cascade d'agressions et de meurtres, leur survenue toujours à domicile et au milieu de la nuit, généralement dans la chambre à coucher, leur caractère effroyablement spectaculaire... tout concourt à plonger la Californie dans la peur. Et la presse ne lâche rien. Elle colle même deux surnoms successifs au criminel. "The Valley Intruder" ("l'envahisseur de la vallée" en VF) puis le "Night Stalker", à partir d'une manchette du Herald Examiner. Il faut dire que sur les lieux de l'un de ses meurtres on a mis la main sur une casquette siglé du groupe AC/DC, dont le morceau Night Prowler (prowler et stalker étant quasi-synonymes) renvoie un troublant écho à la série d'homicides en cours.
Sur le bout des doigts
Longtemps, les enquêteurs pataugent dans la mélasse. À peine savent-ils, grâce à des traces de pas enfoncées dans des parterres de fleurs, que l'assassin chausse du 45 et demi et porte une paire de baskets Avia. Les survivants parlent d'une même voix cependant: c'est un type "grand, maigre, très brun, hispanique" qui s'est dressé devant eux. En désespoir de cause, la police diffuse ce portrait-robot. Ramirez, qui a le nez dans la presse, décide de se mettre au vert à San Francisco. Enfin, à sa manière: car dès son arrivée dans la baie, il tue un sexagénaire, viole sa femme qu'il laisse pour morte - elle réchappe pourtant.
La chance de Ramirez tourne bientôt. Naturellement, celle de la police aussi. On rapproche les empreintes relevées au domicile d'un couple de victimes, attaquées à Mission Viejo le 24 août 1985, des marques dégagées dans un véhicule volé découvert quelques jours plus tard. Et les registres policiers connaissent ces doigts: ils appartiennent à Richard Ramirez, arrêté le 12 décembre précédent après un autre vol de voiture. On a même sa photo. Vite, on la publie dans les journaux.

Le 31 août 1985, Ramirez revient en bus à Los Angeles depuis Phœnix. Sa tête fait la Une des quotidiens mais il l'ignore. Il est alors reconnu dans une épicerie, s'enfuit, mais pourchassé par la foule, ne passe pas loin du lynchage. Il doit son salut à la police. Fin de partie, donc, pour le Night Stalker. S'ensuit une longue procédure de quatre ans qui se termine par l'énoncé de la peine capitale le 20 septembre 1989. L'AFP rend l'écho de sa dernière intervention au tribunal :
"Vous tous, sales asticots, vous me rendez malades, vous êtes tous des hypocrites. (...) Vous ne me comprenez pas... Je ne m'attends pas à ce que vous le fassiez. Vous n'en êtes pas capables. Je suis au-delà de votre expérience. Je suis au-delà du bien et du mal. Je serai vengé. Lucifer demeure en chacun de nous. (...) Légion de la nuit, engeance des ténèbres, ne répétez pas les erreurs du Traqueur, et ne montrez aucune pitié."
Pourtant, le bout de course sera moins mélodramatique. D'appel en appel, Ramirez parvient à repousser l'échéance... Il ne sera jamais exécuté. Il meurt le 7 juin 2013 dans un hôpital pénitentiaire californien de "causes naturelles" selon les autorités citées par l'AFP, bien qu'il s'agisse sans doute de la conséquence d'un lymphome.
À distance, et lui-même alors en prison, Nicolas Castelaux a été le témoin de la vie carcérale de Ramirez, au moyen d'une correspondance. Mais le serial killer posant l'illuminé maléfique ne perd pas le nord: prudent vis-à-vis de l'administration qui vise ses appels, il n'évoque pas ses crimes. "Il posait surtout des questions sur les sorties de bouquins, les groupes de musique, la scène black metal", nous confie notre interlocuteur. Mort quelques années plus tôt, déjà, Jack Unterweger entretenait lui une toute autre relation avec le monde de la culture.
Unterweger a "vu sa mère" alors il l'a tuée
"Unterweger, le fils d'une péripatéticienne autrichienne et d'un soldat américain, a grandi au milieu des prostituées dans un village autrichien". Le 30 juin 1994, le Los Angeles Times ne fait pas dans la dentelle au moment d'évoquer la naissance de Jack Unterweger en 1950 à Judenburg, au lendemain de son suicide par pendaison dans la prison où ce dernier cuvait sa perpétuité pour neuf assassinats (après qu'on l'a inculpé pour onze).
Les relations entre Unterweger et sa mère Theresia sont l'une des grandes affaires de sa vie. Il la place au centre de son premier meurtre, perpétré à l'âge de 24 ans à l'encontre d'une Allemande de 18 ans qu'il étrangle avec la bretelle de son soutien-gorge. "J'ai vu ma mère devant moi, je l'ai tuée", assure-t-il alors à la police, comme le rappelle encore le journal de Los Angeles. Une cible féminine et un modus operandi qu'il conservera tout au long de sa vie. Comme les habitudes ont la vie dure, c'est le même noeud qu'il utilisera d'ailleurs pour se suicider.
Une méthode qui, il faut bien le reconnaître, n'a rien à voir avec l'acharnement à l'arme blanche de Ramirez. Si le parcours plus tardif d'Unterweger va prendre des airs d'hommage à celui-ci, il oblige à redéfinir ce qu'on entend par copycat. "Quand on parle de copycat, on pense à un tueur qui en copie un autre exactement mais il faut, je crois, davantage penser en termes d'influence", plaide encore Nicolas Castelaux qui cherche actuellement à éditer les textes de Jack Unterweger.
Petit prince de la République des lettres
Notre interlocuteur remarque d'ailleurs un premier point commun entre les deux tueurs, baignant tous deux dans un univers familial trouble et introduits violemment à la sexualité: "Tous les deux vivaient dans un milieu criminogène: Ramirez et les cambriolages, Unterweger, les souteneurs, la prostitution. Ce milieu criminogène va les forger en tant que serial killers".
Unterweger est élevé par ses grands-parents. Vaches maigres, enfance pauvre. Il passe bientôt à la délinquance: vols, braquages... puis viols, jusqu'au meurtre de Margaret Schäfer et sa première condamnation à perpétuité. Survient alors une étonnante métamorphose. En prison, il lit beaucoup, écrit plus encore - du théâtre mais aussi un roman autobiographique qui devient un bestseller, et que la télévision adapte.
La République des lettres de l'ancien empire des Habsbourg milite pour la libération anticipée du fils prodigue. Il sort le 23 mai 1990. On se l'arrache. Dans les émissions télés, notamment l'équivalent d'Apostrophes, il parle de son œuvre mais aussi de sa réhabilitation apparemment exemplaire. Tiré à quatre épingles, il conduit une décapotable américaine. Mais, l'ex-détenu exemplaire recommence à tuer quatre mois après avoir retrouvé la vie civile. Et beaucoup: huit femmes, une à Prague, sept autres en Autriche. Toutes sont prostituées.

Besoin de reconnaissance
Que faut-il croire? Que Jack Unterweger jouissait sincèrement de sa nouvelle vie d'écrivain célèbre, ou que cette "poudre aux yeux" n'était que le meilleur fard pour masquer ses ténèbres, une couverture? "C'est un peu des deux. Les tueurs en série veulent être reconnus peu importe le moyen. Il y a une satisfaction sadique à manipuler ceux qui le prennent en charge, à se sentir plus malin qu'eux. Unterweger, c'est la manipulation de A à Z", analyse le directeur de la collection Camion noir.
Alors, quand la radio publique autrichienne le bombarde reporter, lui permet de se spécialiser dans le traitement de la prostitution, diffusant ses sujets sur des meurtres dont il s'avèrera plus tard qu'il est l'auteur, le manipulateur a de quoi se sentir couronné. Plus encore quand elle le dépêche à Los Angeles avec carte blanche pour enquêter sur la criminalité et la police locales. On est en 1991. Sur les lieux, il traîne bien avec la LAPD. Certes, mais il en profite aussi pour tuer trois prostituées - qu'il bat et viole également - avec la bretelle de leur soutien-gorge.
Rendez-vous au Cecil
D'après cet article du Sun, Unterweger fait monter ses victimes dans sa chambre d'hôtel sous prétexte d'enregistrer leur témoignage, et les y assassine. Et le porche de l'endroit ouvre sur tout un imaginaire, donnant en premier lieu sur Ramirez. Car c'est au Cecil Hotel que l'Autrichien s'installe en juin 1991, là même où Richard Ramirez se réfugiait, au 14e étage pour sa part, entre deux boucheries. "Il y a une légende noire de l'hôtel, Unterweger ne l'a pas choisi par hasard, même si c'était aussi au coeur du quartier qu'il couvrait", poursuit Nicolas Castelaux: "C'est à Skid Row, un des pires quartiers de Los Angeles. Je me demande pourquoi il est allé là, il aurait pu avoir beaucoup mieux donc je pense qu'il a vraiment voulu marcher sur les traces de Ramirez."
Le Sun aussi le dit clairement: ce séjour est un hommage à Ramirez. D'autant que le parallèle entre les deux barbares ne s'arrête pas là. Bien sûr, Unterweger est trop bien dans son monde pour rallier le satanisme, trop droit dans ses chaussures d'un trop bon cuir pour embrasser les vagabondages de son alter ego. Mais son net narcissisme d'écrivain rappelle les œillades de rockeur sans musique de Ramirez durant son procès. "Au fil des audiences, il prend conscience de la fascination qu'il suscite, et il se cherche des groupies. C'est aussi narcissique bien que moins intellectualisé", reprend Nicolas Castelaux.
Unterweger est sur le point de tomber. Il est attendu en Autriche où la police a fini par faire le lien entre le wonderkid et l'épidémie d'homicides de prostituées. Celui-ci en a vent, et décampe avec sa petite amie. C'est d'abord la Suisse puis le retour aux Etats-Unis. Toutefois, le flambeur laisse un sillon de retraits par carte de crédit interposée derrière lui et il est interpellé à Miami, le 26 février 1992, puis extradé. Au bout, donc, c'est la condamnation, puis le bout de ses lacets avec lesquels il s'asphyxie dans sa cellule. Lui qui jusqu'ici ne manquait pas d'air et n'hésitait pas à s'en donner.
