Radicalisation en prison: les regroupements d'islamistes sévèrement critiqués dans un rapport

Elles font partie des mesures mises en place après les attentats à Paris en janvier 2015. Volet majeur du plan pour la lutte contre le terrorisme lancé par le gouvernement Valls, les unités dédiées qui regroupent les détenus radicalisés, pour éviter le prosélytisme religieux radical en prison, montrent leurs limites. C'est en tout cas ce que révèle un rapport, paru ce mercredi, de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (Cglpl).
Testé depuis octobre 2014 à la maison d'arrêt de Fresnes, dans l'Essonne, ce type de quartier a été étendu à la prison de Fleury-Mérogis, à Osny, dans le Val-d'Oise, et à Lille-Annoeullin. Des unités visitées par trois contrôleurs entre janvier et mars dernier. S'ils "ne mésestiment pas la complexité de la tâche ni la situation particulièrement difficile liées aux menaces terroristes", ils s'interrogent "sur les mesures prises et sur les limites de leur mise en oeuvre". Pourtant, ce programme doit être généralisé dans vingt-sept prisons d'ici à la fin de l'année, a annoncé le 15 juin dernier le ministre de la Justice.
> Les problèmes des critères d'affectation
La plupart des détenus de ces unités spécialisées le sont pour des faits en lien avec le terrorisme. Mais les contrôleurs notent que sur 194 personnes incarcérées pour ce type de délit en région parisienne, seules 64 d'entres elles (pour 117 places disponibles) sont placées dans un quartier dédié, soit un tiers. La question de la sélection des détenus se pose face à une administration pénitentiaire qui ne formule pas de critères suffisamment explicites, selon le rapport. Alors pourquoi eux et pas d'autres? Des grilles de sélection vont être testées. Pas sûr, toutefois, que les surveillants aient le temps ou la capacité de les remplir, préviennent-ils.
> Des programmes disparates
Les unités dédiées aux détenus radicalisés sont très loin de fonctionner de la même manière dans les quatre établissements pénitentiaires. "L'administration pénitentiaire a choisi de ne pas définir clairement le contenu de ces programmes et de laisser une grande autonomie aux équipes", déplore Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Quand des ateliers d'escrime thérapeutique se déroulent à la prison d'Osny, un ciné-débat est organisé à Lille-Annoeullin, et un accompagnement à la foi est proposé à Fleury-Mérogis. "On ne sait pas bien qui on a en face de nous, et donc où on va avec eux", confie un directeur d'établissement. A Lille, une responsable explique qu'on lui a demandé "de faire preuve d'imagination" pour prendre en charge ces détenus.
> Un problème d'étanchéité avec le reste de la prison
Selon les cas, les détenus radicalisés regroupés dans ces quartiers dédiés peuvent communiquer avec le reste des prisonniers. C'est le cas à Fresnes où l'unité n'est pas implantée dans un quartier spécifique. Il est donc possible de communiquer à travers les fenêtres. A Fleury-Mérogis, les détenus radicalisés sont regroupés dans la même aile que les prisonniers à l'isolement ou le quartier dit "des spécifiques". Seul l'établissement de Lille-Annoeullin permet une quasi-étanchéité. L'unité est installée à l'écart des autres bâtiments de détention, sans aucun vis-à-vis. L'intérêt du regroupement de ces détenus semble ainsi limité s'ils ne sont pas réellement isolés.
> Constitution de réseaux et...
"De manière générale, on doit s'interroger sur le bien-fondé de ce type de rassemblement organisé par l'administration pour des personnes que la justice poursuit pour association de malfaiteurs", note Adeline Hazan, surtout quand il n'est pas étanche. Ce regroupement de détenus radicalisés empêche le "brassage" avec les autres prisonniers et provoque ainsi des effets pervers. Plutôt que d'éviter le prosélytisme et de favoriser le désengagement, ces quartiers permettraient de nouer des liens, des solidarités et de reconstituer des réseaux.
> ... "présomption d'irrécupérabilité"
Le rapport met aussi en évidence les risques qui pèsent sur le parcours judiciaire de ces détenus regroupés. Pour certains, le sentiment de discrimination domine au sein de l'établissement mais pèse aussi, pour les prévenus, sur leur avenir judiciaire avec "un pré-jugement qui pèsera au moment de l'audience". Comme une "présomption d'irrécupérabilité", estiment des avocats.