
MONTAGE PIERRE-OSCAR BRUNET
Les insoutenables "carnets" de Joël Le Scouarnec, chirurgien pédocriminel jugé pour 300 viols et agressions
Sans une petite fille de 6 ans, il n'aurait peut-être jamais été confondu. Joël Le Scouarnec, 74 ans désormais, est jugé à partir de ce lundi 24 février par la cour criminelle du Morbihan, à Vannes. Un procès hors norme, historique, au vu des 300 faits de viols et d'agressions sexuelles qui lui sont reprochés, mais aussi une plongée vertigineuse dans la perversité pédocriminelle assumée qui n'aurait pu jamais s'arrêter sans la découverte fortuite par les gendarmes des journaux intimes de l'ex-chirurgien.
Cette découverte a été permise, en 2017, par la petite voisine de Joël le Scouarnec, installé à Jonzac (Charente-Maritime) depuis une dizaine d'années. Âgée seulement de six ans, la petite fille rapporte à ses parents, avec ses mots, qu'elle s'est fait violer par leur voisin à travers le grillage qui sépare les deux maisons.
"Ma fille est un héros", confiait sa mère à quelques jours du procès en 2020 au cours duquel Joël Le Scouarnec a été reconnu coupable de viol sur mineur sur cette petite fille et sur une de ses nièces, ainsi que d'agression sexuelle sur une autre de ses nièces et sur une jeune patiente dans les années 90. Dans cette affaire, il a été condamné à 15 ans de réclusion criminelle.
Des faits consignés entre 1990 et 2014
À la suite de cette dénonciation, le domicile de Joël Le Scouarnec est perquisitionné. À l'intérieur, les gendarmes y découvrent l'impensable pour ce médecin aux 35 ans de carrière, chirurgien digestif, certes décrit comme "froid", mais apprécié par ses directions et ses collègues. Plus de 55.000 photos et vidéos à caractère pédopornographique, certaines violentes, des poupées représentant des garçons ou des fillettes, avec lesquelles le médecin, adepte de la masturbation à haute fréquence, s'adonnait à des pratiques sexuelles, parfois plusieurs fois par jours.
Mais il y a aussi des écrits évoquant les actes zoophiles qu'il dit avoir pratiqué ou encore ses "récits pédophiles", fruits de son imagination, à connotation uniquement incestueuse sur ses nièces ou sa petite-fille, entre autres. Un ensemble d'éléments montrant l'addiction au sexe développée par Joël Le Scouarnec qui semble passer tout son temps libre à des mises en scène sadomasochistes ou scatophiles, consistant à porter des perruques ou des couches, ou évoquant son obsession pour les petites culottes en parlant de sa "chasse" au sous-vêtement.

Surtout, les enquêteurs découvrent deux fichiers informatiques intitulés "Vulvette" et "Quequette", dans lesquels il est inscrit le prénom, l'âge, la date de naissance, la date des faits, l'adresse de l'enfant accompagnés d'une description succincte des gestes imposés à ces jeunes patients, des garçons ou des fillettes âgés de 11 ans en moyenne.
Ces agressions sexuelles et ces viols, que Joël Le Scouarnec recense, ont eu lieu dans chaque hôpital où il a exercé, dès 1986 - pour lesquels les faits sont prescrits - puis en 1989, 1990, 1991, 1992, 1994 et jusqu'en 2014 sans discontinuité. À Vannes, Quimperlé, Morlaix, Lorient, Saint-Brieuc, Malestroit, les Sables-d'Olonne, Flers ou encore Loches.
La plongée dans la perversité se poursuit pour ces enquêteurs avec la lecture des journaux intimes de Joël Le Scouarnec, tenus à partir de 1990, et tous découverts sur des supports informatiques. Sur une quarantaine à une centaine de pages par an, tout y est consigné. Le médecin évoque son plaisir à voir les corps dénudés de ses jeunes patients, leurs parties intimes et la satisfaction qu'il a à les toucher.
Les faits décrits dans les moindres détails, que ce soit la position de l'enfant ou le descriptif de ses sous-vêtements, correspondent aux crimes pour lesquels le médecin, dont le comportement a été qualifié de "pervers prédateur" lors d'une expertise psychiatrique, est aujourd'hui renvoyé devant la cour criminelle du Morbihan.
Des détails sordides
"Chère petite Virginie", "petite Sandrine chérie", "chère petite Aurélie", "chère petite Sabrina", "chère petite Céline", "Guillaume, adorable petit garçon", "Xavier, mon chéri, comme tu étais beau", écrit le pédocriminel dans ses journaux, comme il s'adresserait à une conquête. Il y relate le contexte de l'hospitalisation, le moment où il rencontre le patient pour la première fois, dans son bureau ou dans un box de consultation. Puis, sur des lignes et des lignes de texte, il détaille ses fantasmes sur ces jeunes enfants, puis les circonstances des agressions qu'il commet.
"Je t’aime pour m’avoir laissé te caresser", ose-t-il écrire à une enfant. "Je viens de te quitter, tu dormais encore", écrit-il encore, comme s’il écrivait une lettre d’amour.
Des mots qu'il écrit à des enfants pourtant. "Il n'y a rien de plus beau au monde que le corps d'une petite fille", s'épanche-t-il encore, dans ces lignes et ces lignes d'hommage à la pédocriminalité.
Joël Le Scouarnec profite des quelques instants seuls avec l'enfant, en l'absence des parents sortis de la chambre ou des infirmières appelées ailleurs, pour caresser le ventre, les cuisses, les fesses de ses jeunes patients puis pour les agresser sexuellement ou pour s'adonner à des pratiques scatophiles ou urophiles. "Je ne pensais pas te trouver seul", écrit-il plusieurs fois, comme surpris, au sujet de ces patients venus pour des appendicectomies ou des douleurs au ventre. Certains jours, le médecin agresse plusieurs enfants.

Ces victimes sont parfois conscientes, le médecin profitant de son autorité pour faire passer ces attouchements pour des gestes médicaux. Gestes que les experts interrogés pendant l'instruction ont décrit comme "inutiles" et "non recommandés" pour des patients de cet âge. "Je pensais que c'était mal mais j'avais la sensation d'être prisonnière", explique l'une des victimes, âgée de 9 ans au moment des faits.
Dans d'autres cas, les jeunes patients - 256 victimes sur les 299 étaient âgées de moins de 15 ans - étaient endormis, sous anesthésie, ou à peine éveillés.
"Je revois la scène, je suis dans la salle de réveil et il retire la couverture qui me couvrait. Il est au-dessus de moi, je le vois comme un géant", décrit une autre victime, 9 ans également, aux enquêteurs.
"Pédophile" et "très heureux" de l'être
"M. Le Scouarnec fait partie de ces pédophiles qui sont dans la séduction de l'enfant, dans la romantisation de son passage à l'acte et c'est cela qu'on peut trouver un peu dans cette imprégnation qu'il a", analyse Me Laure Boutron-Marmion, avocate de l'association Face à l'inceste qui sera partie civile dans ce procès, comme lors du premier procès de Joël Le Scouarnec.
"Il n'y aurait pas eu ces carnets, on n'aurait jamais rien su", ajoute Me Myriam Guedj Benayoun, avocate de deux victimes. "Joël Le Scouarnec n'est pas un cas isolé mais pour lui, on peut prouver sa perversité car il est dans la revendication de sa pédocriminalité."
"Il ne s'en cache pas car c'est jubilatoire pour lui, son obsession est que la pédophilie soit légalisée", poursuit-elle.
De son côté, Joël Le Scouarnec, qui se revendique pédocriminel depuis 30 ans, a expliqué aux enquêteurs avoir réalisé ces récits pour prendre à nouveau du plaisir en les relisant. "Je suis à la fois exhibitionniste, voyeur, scatophile, fétichiste (...) et pédophile et j'en suis très heureux", se félicitait-il dans ses carnets en 2004.
Pour autant, l'accusé varie d'une défense à l'autre, au fil des auditions et selon les cas abordés. Parfois, il admet puis se rétracte, avoue un viol mais pas une agression sexuelle sur un même patient ou évoque un geste médical sur un enfant quand il admet un attouchement sur un autre. "Notre grande crainte est qu'il maintienne ce positionnement, ne pouvant plus assouvir ses fantasmes physiquement, cela pourrait être jouissif pour lui", poursuit Me Guedj Benayoun.
Le médecin a pu reconnaître des écrits "abjects" mais relavant davantage du fantasme que de la réalité. Il évoque des termes particulièrement "glauques" pour son simple plaisir personnel, sans connotation sexuelle au moment des faits. Il se drape dans sa blouse de médecin, se réfugiant derrière des gestes médicaux, dénonçant l'avis des experts interrogés. Des débats techniques qui vont revenir devant la cour criminelle lors de ce procès historique.