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Procès

"J'ai sacrifié ma vie mais je suis là": le "témoignage providentiel" de Sonia, qui a dénoncé Abaaoud après le 13-Novembre

Des policiers patrouillent le 8 septembre 2021 à Paris devant la salle d'audience spéciale mise en place pour le procès des attentats du 13-Novembre

Des policiers patrouillent le 8 septembre 2021 à Paris devant la salle d'audience spéciale mise en place pour le procès des attentats du 13-Novembre - Alain JOCARD © 2019 AFP

C'est un témoignage exceptionnel auquel a assisté la cour d'assises spéciale. Sonia a raconté comment elle a rencontré Abdelhamid Abaaoud au lendemain des attaques du 13-Novembre et pourquoi elle l'a dénoncé, empêchant ainsi de nouvelles attaques.

Sans elle, la France aurait pu vivre de nouvelles attaques sur son territoire au mois de novembre 2015. "Votre geste a permis, semble t-il, d'éviter d'autres attentats. On s'est aperçus qu'il y avait d'autres projets, surtout à la vue des armes et explosifs retrouvés", a rappelé ce vendredi au procès des attentats du 13-Novembre le président de la cour d'assises Jean-Louis Périès au terme du témoignage de Sonia*. Ses informations ont permis, juste après les attentats, de localiser et de neutraliser Abdelhamid Abaaoud, "la cible numéro un" des services de renseignement européens.

"Je ne regrette pas ce que j'ai fait, je ne regretterai jamais (...), dit-elle à l'audience, elle dont le "courage" a été salué par le président de la cour d'assises et les avocats des parties civiles. Pourtant, depuis ces fameux jours de novembre 2015, la jeune femme a dû changer d'identité, déménager, et vit sous statut de témoin protégé, une modification législative ayant été nécessaire. Ce vendredi, son visage n'apparaîtra pas sur les écrans de la cour d'assises, sa voix sera modifiée, sa nouvelle identité sera préservée.

"C'est une vie où on essaie de se construire tous les jours, confie-t-elle. C'est une vie qui m'a coûté cher, très cher, pour moi, mes enfants, mon compagnon. Est-ce que je mérite cette vie là comparée à des milliers de personnes vivantes? Oui, peut-être, c'est un sacrifice à faire, mais le sacrifice coûte cher."

"Les terrasses, c'est moi"

En novembre 2015, Sonia, bénévole aux Restos du Coeur, héberge Hasna Aït Boulahcen, qui se révèlera être la cousine d'Abdelhamid Abaaoud. "Je ne savais pas qu'elle avait une partie de sa famille radicalisée ou partie en Syrie", raconte-t-elle. Le soir des attentats, la jeune fille en question "rigole" en apprenant les attaques. Le lendemain, elle reçoit un appel d'un homme lui demandant de l'aide pour un cousin. "Elle m'a dit qu'il avait 17 ans et qu'il était à la rue", se souvient Sonia, qui décide d'accompagner Hasna Aït Boulahcen au rendez-vous fixé plus tôt.

Nous sommes le 15 novembre 2015, la France pleure les 130 victimes assassinées lors de la soirée tragique du 13. Sonia accompagne Hasna Aït Boulahcen à Aubervilliers, près d'un échangeur. Sorties de la voiture, les deux jeunes femmes "sont téléguidées" jusqu'à un buisson. "Un monsieur avançait, ce qui m'a choqué, c'était ses chaussures, elles étaient oranges, détaille-t-elle. Il m'a serré la main, je le regrette." La cousine lui saute au cou: "Ahmid tu es vivant", lance-t-elle.

En face d'elle, c'est Abdelhamid Abaaoud. Son visage est apparu aux informations. Il est présenté comme le coordinateur des attaques, les services de renseignement le croient en Syrie. Sonia lui pose "beaucoup de questions". "Il m'a dit 'les terrasses, c'est moi'", raconte la mère de famille, décrivant un individu "au regard froid, livide".

"Je lui dis qu'il a tué des innocents, que ce n'est pas ça l'islam, c'est une religion de paix. Il a commencé à dire que j'étais une mécréante et que quand il se levait le matin, il nous voyait comme des morceaux de pain blanc, qu'il avait tous envie de nous faire sauter et qu'il n'avait pas fini."

"Baskets oranges"

Les instructions sont données à la cousine, Hasna Aït Boulahcen, de lui trouver un logement, alors qu'il se terre dans un buisson habituellement occupé par des SDF, et de dégotter deux costumes, entre autre. Sonia et son compagnon sont menacés. Malgré ces menaces, le lendemain matin, Sonia attend que celle qu'elle héberge quitte son appartement pour appeler la police. "J'ai dit ce que j'ai vu, ce que j'ai fait, on ne m'a pas crue", regrette-t-elle. Elle a attendu "des heures et des heures" avant d'être convoquée à la SDAT le 16 novembre 2015 à 18h30.

"Ce n'était pas des propos rapportés par un tiers comme c'est souvent le cas dans le cadre des témoignages", explique l'enquêteur de la SDAT entendu plus tôt dans l'après-midi. Un détail pourtant va faire basculer l'enquête: les "baskets oranges" qui ont interpellé Sonia lors de la rencontre avec Abaaoud à Aubervilliers. Un homme avec des chaussures identiques a été filmé à la station la plus proche où a été découverte à Montreuil une Seat louée par Brahim Abdeslam et utilisée par le commando des terrasses. Sonia identifie le jihadiste sur les planches que lui présentent les policiers.

"Deux scenarii se dessinent pour nous, aussi sombre l'un que l'autre, résume le commissaire de police qui dépose devant la cour d'assises. Soit Abdelhamid Abaaoud est bien présent sur le territoire, c'est un cataclysme sans précédent et c'est le signe d'un nouvel attentat qui ne serait plus qu'une question d'heures. Soit c'est un piège formenté par l'État islamique pour nous attirer sur un terrain moins favorable pour nous."

Attentat prévu à La Défense

La première hypothèse sera toutefois la bonne. Sonia rentre chez elle, elle rappellera les enquêteurs à plusieurs reprises. "Les policiers m'avaient dit de la faire boire, c'était pas une mauvaise idée, elle a bu et elle a parlé", se souvient Sonia pour évoquer les confidences faites par Hasna Aït Boulahcen le 17 novembre. La jeune femme avait acheté des costumes, avait trouvé un logement à son cousin grâce à l'aide d'un dealer de Saint-Denis l'ayant mise en contact avec Jawad Bendaoud.

"Le mardi, je dis 'il faut les arrêter, ils vont recommencer, ils vont tuer d'autres innocents. Je n'aurais pas pu laisser faire ça. Ils comptaient attaquer La Défense, le centre commercial, un commissariat local, une crèche."

"J'ai pas compris pourquoi ils ont préféré attendre qu'ils soient dans l'appartement", s'interroge encore aujourd'hui Sonia au sujet de l'assaut donné une fois qu'Abdelhamid Abaaoud et son complice Chakib Akrouh sont arrivés au 8 rue du Corbillon. L'adresse avait été découverte par Sonia sur un papier traînant dans son salon. "Question de risques et d'opportunité", expliquera l'enquêteur, qui assurera que la volonté des policiers était avant tout d'interpeller vivants les terroristes.

C'est sous les applaudissements que Sonia a achevé son témoignage. Une partie civile dira d'elle qu'elle est une "héroïne". La mère de famille dit avoir fait son "travail de citoyen". Les marques des attentats sont encore pour elle très présentes. "Pendant plus de deux ans, c'est comme si c'était moi qui avais tiré sur ces innocents", dit-elle, se remémorant cette poignée de main avec Abaaoud et assurant encore se les laver "à l'eau de javel".

Un "imprévu" dans "le périple" d'Abaaoud

Reste une question: comment l'une des figures de l'État islamique s'est retrouvée cachée dans un buisson, aux abois, faisant appel à sa cousine au profil "aux antipodes" du sien, et dont la localisation dépend de ce "témoignage providentiel"? L'enquêteur de la Sous-direction de l'antiterrorisme en a l'intime conviction: "Abdelhamid Abaaoud était destiné à accomplir autre chose" avant d'"improviser la fin de son périple meurtrier", débuté avec Brahim Abdeslam et Chakib Akrouh sur les terrasses du 10e et 11e arrondissement.

Cet imprévu, il faut regarder du côté des Pays-Bas pour le comprendre, selon l'enquêteur, et en particulier en direction de l'attaque, semble-t-il envisagée, à l'aéroport Schiphol. Pour la SDAT, deux commandos devaient agir en même temps le soir du 13-Novembre: un à Amsterdam, un à Paris. "Le seul moyen pour expliquer autant de distorsions de la part d’Abaaoud est qu’il n’a pas pu atteindre la stupéfaction avec une attaque simultanée Roissy-Schiphol."

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV