Gérard Depardieu a-t-il sexualisé une fillette? La justice se penche sur le "Complément d’enquête" consacré à "la chute de l’ogre"

Gérard Depardieu en promotion à Cannes le 22 mai 2015 - Anne-Christine POUJOULAT / AFP
Une séance en replay au sein même du tribunal de Paris. Près de deux ans après sa diffusion, le numéro de l’émission Complément d’enquête consacré à "Gérard Depardieu, intitulé "La chute de l’ogre", va être examiné par la 31e chambre du tribunal judiciaire de Paris, ce jeudi 2 octobre, au cours d’une audience qui s’annonce électrique.
Jérémie Assous, l’avocat de Gérard Depardieu, a fait citer directement en justice la société de production Hikari estimant qu’elle s’était livrée à un "montage [des images] frauduleux" et au délit de "travail dissimulé", notamment.
Dans le camp adverse, les journalistes auteurs du documentaire attaquent le comédien pour "dénonciation calomnieuse". La justice a donc décidé de réunir toutes les procédures au cours de ce procès pour y voir clair.
Gérard Depardieu estime avoir été "tué socialement" après la diffusion de ce film dans lequel on le voit tenir des propos orduriers alors qu’il se trouve, en compagnie du réalisateur Yann Moix, en Corée du Nord. Si le comédien, aujourd’hui âgé de 76 ans, reconnaît avoir un "langage fleuri", il a toujours contesté avoir sexualisé une fillette âgée d’une dizaine d’années, comme le prétend Complément d’enquête dans le reportage.
Sur les images qui ont, depuis, fait le tour du monde, Gérard Depardieu tient des propos grossiers et à connotation sexuelle en permanence alors qu’il se trouve, en 2018, dans un haras en Corée du Nord où des cavaliers montent à cheval. Dans son reportage, Complément d’enquête assure que certains des propos du comédien s’adressaient à une fillette d’une dizaine d’années en train de faire du poney, ce que le comédien dément.
Un documentaire en Corée du Nord ou une fiction?
Dans cette affaire, la défense de Gérard Depardieu tient en deux points. D’abord, son avocat Jérémie Assous assure qu’il participait à une "œuvre de fiction".
Peu importe que celle-ci ne reposait sur aucun scénario écrit et que Yann Moix lui-même a assuré, après le tournage, qu’il s’agissait d’un "documentaire" (sur France Inter, le 21 septembre 2018), voire "peut-être d’un chef d’œuvre" (sur Canal +, le 7 octobre 2022), pour son avocat, Gérard Depardieu jouait un rôle, comme Benoît Poelvoorde a pu le faire dans C’est arrivé près de chez vous.
Pour autant, la défense de l’acteur des Valseuses assure qu’il ne s’est jamais adressé à la fillette de dix ans et que le reportage de Complément d’enquête a été "truqué" dans le but de le faire passer pour un pédocriminel.
Deux passages sont aujourd’hui au cœur de la polémique: un premier passage où Gérard Depardieu dit "S’il galope, elle jouit…" et un autre où il lance "C’est bien ma fifille, continue. Tu vois, elle se gratte, là…"
Trois expertises au cœur de l’affaire
Si la justice va se pencher dessus ce jeudi, ces extraits ont, en réalité, déjà été examinés par trois experts différents depuis la diffusion de l’émission le 7 décembre 2023.
C’est d’abord un huissier de justice mandaté par France Télévision qui avait visionné les images. Selon lui, il n’y avait aucun doute sur le fait que Gérard Depardieu visait bien la petite fille dans ses propos. "Au cours de cette séquence, je constate qu’à l’exception de la jeune fille, seuls des cavaliers d’apparence masculine entrent en premier plan des caméras", justifiait-il dans son rapport selon des extraits consultés par BFMTV.
Quelques mois plus tard, autre procédure et nouvelle expertise. Dans le cadre de l’enquête menée sur les viols dénoncés par Charlotte Arnould, la juge d’instruction décide de faire examiner le Complément d’enquête pour éclairer sur la personnalité de Gérard Depardieu.
En mai 2025, un expert agréé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence rend son rapport, que BFMTV a pu consulter. Il analyse d’abord la phrase "si jamais il galope, elle jouit". D’après son analyse, cela semble s’adresser à une cavalière adulte, même si, d’après les images, la seule femme dans le champ de vision de Gérard Depardieu apparaît 38 secondes après qu’il a tenu ces propos.
"Mais il n’est pas improbable qu’elle soit entrée dans le manège avant [sans être filmée]", juge l'expert.
Sur la seconde phrase incriminée –"C’est bien ma fifille. Tu vois, elle se gratte là…"–, l’expert est, en revanche, catégorique. "Ces commentaires sont adressés (…) à la fillette sur le poney, indique-t-il. L’analyse technique permet d’établir que des propos à connotation sexuelle ont été adressés à l’égard d’une fillette évoluant sur un poney."
"C’est des grosses salopes ça…"
Très actif sur le front judiciaire, Jérémie Assous obtient, en parallèle, la nomination d’un nouvel expert chargé de regarder les rushs de l’émission.
Le 1er septembre 2025, celui-ci propose aux différentes parties à la procédure une "note de synthèse" dans laquelle il livre ses conclusions. Comme le précédent expert, il pense que la première phrase s’adressait à une cavalière adulte mais que la sortie "Tu vois, elle se gratte là" visait bien la fillette.
Propos à mettre en perspective avec ceux tenus par l’acteur une trentaine de secondes plus tôt: "Le clito qui frotte sur… le pommeau de la selle… c’est des grosses salopes ça… dans les chasses à courre… t’en as des paquets."
Au final, il y a donc trois experts qui estiment que, au moins, l’une des deux phrases problématiques ont bien été adressées à l’attention de la jeune fille d’une dizaine d’années.
Là aussi, Jérémie Assous contre-attaque et prétend que son client a dit "elle se gratte" justement parce que la jeune fille se grattait la joue. Dans les rushs que BFMTV a pu visionner, on voit effectivement l’enfant porter une main à son visage, sauf qu’elle le fait très exactement 18 secondes après que le comédien a prononcé ces mots, ce qui met à mal son argument.
Reste à savoir ce que les magistrats de la 31e chambre du tribunal judiciaire de Paris penseront de ce reportage et des expertises réalisées à son sujet jusqu’ici. Peut-être demanderont-ils à Jérémie Assous pourquoi il a conseillé à Gérard Depardieu de ne pas répondre lorsqu’on lui a posé, lors de la dernière expertise, la seule question qui vaille: "Mais de qui parliez-vous exactement? Une adulte ou une enfant?".