"Polat n’a jamais été le bras droit de Coulibaly": place à la défense au procès des attentats de janvier 2015

Ali Riza Polat, le principal accusé du procès des attentats de janvier 2015, le 2 décembre 2020. - Benoit PEYRUCQ / AFP
Lançant le bal des plaidoiries de la défense, Isabelle Coutant-Peyre est restée fidèle à elle-même ce mardi, au procès des attentats de janvier 2015. Représentant les intérêts du turbulent Ali Riza Polat, la pénaliste s’en est pris à son principal ennemi: l’État. Pointant les errements des services de renseignements dans la surveillance des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly, elle a dénoncé l’ensemble de la procédure, jugée inéquitable.
Après de multiples digressions, son confrère Me Van Rie a quant à lui mis en lumière les faiblesses de l’accusation, réitérant un principe élémentaire: le doute doit bénéficier à l’accusé. Plus tôt dans la matinée, le ministère public avait requis à l’encontre de leur client la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans.
"De quoi souffre ce procès?"
Comme depuis le premier jour, l’avocate, qui n’a cessé de se faire remarquer pour des propos à la limite de l'outrance, a longuement critiqué la tenue d’un procès "inéquitable." L’avocate – et épouse du terroriste Carlos - a critiqué "un combat asymétrique", où la défense est contrainte de faire face à un parquet qui "bénéficie d’une administration importante."
Reprenant les mots de l’écrivain Yannick Haenel, qui s’interrogeait dans les colonnes de Charlie Hebdo: "De quoi souffre ce procès?", d’une cour où l’on est "présumé coupable", a-t-elle répondu. Tour à tour, l’avocate s’insurge contre "le cynisme" de la cour et de son "hypocrisie" à poursuivre Ali Riza Polat pour complicité des crimes des trois terroristes des trois terroristes.
"L’un des deux avocats généraux, parlant de mon client ce matin, a dit qu'il n'a pas été capable de prouver son innocence. C’est une aversion entre les principes et la réalité, mais ça arrive tellement souvent."
"Mais qu’est-ce qui se passe en France ?", regrette encore l’avocate, d’une voix rocailleuse. Ce "grand spectacle" qui se joue devant cette cour aurait mérité "de la loyauté et de l’honnêteté, celle de chercher les vrais responsables."
Les failles de surveillance
L’ancienne élève de Jacques Vergès n’en démord pas: "ce ne sont pas les bons accusés, ce ne sont pas les bons responsables." Une fois encore, Isabelle Coutant-Peyre s’en prend à la surveillance des enquêteurs de la Direction générale de la Sécurité intérieure: pourquoi la surveillance des frères Kouachi, condamnés dans l'affaire de filière d'acheminement dite "des Buttes-Chaumont” et fichés S, s'est-elle interrompue en juin 2014?
"La DGSI triche. Savoir que Chérif Kouachi est allé s'entraîner au Yemen et a rencontré des hauts cadres d’AQPA, mais arrêter toute surveillance parce que ça ne sert à rien, c’est outrageant pour les victimes", a-t-elle dénoncé, avant d’évoquer le sort des 11 accusés assis dans le box:
"Les spécialistes du renseignement eux-même ne se sont rendus compte de rien. Et on voudrait que ces gaillards s’en soient rendus compte?", ironise-t-elle.
Auditionné par la cour fin septembre, un enquêteur de la DGSI avait fait part de son "énorme regret" sur cet échec des services de renseignement.
Puis l’avocate en vient "au véritable scandale" de la procédure. L’absence de Claude Hermant, militant néonazi lillois, trafiquant d’armes et ancien indicateur des gendarmes français. C’est entre les mains de ce dernier que sont passées au moins huit armes retrouvées en possession de Coulibaly.
"On ne s'intéresse pas aux véritables fournisseurs", a déploré l’avocate du principal accusé.
Claude Hermant a été condamné à huit ans de prison dans une procédure portant sur un trafic d'armes plus large mais n’a donc pas été poursuivi dans ce dossier.
4 SMS par jour, la routine des trentenaires
D’une voix claire, le jeune avocat Me Antoine Van Rie a pris le relais de sa consœur, en s’adressant d’abord aux parties civiles.
"Les 7, 8 et 9 janvier 2015, il y a eu ces crimes d'innocents. Il y a eu durant le premier mois de ce procès les dépositions des victimes, leur souffrance, leurs mots. Nous avons été touchés par leur force de vie et aujourd'hui nous ne pouvons qu'exprimer notre compassion."
Mais très vite, il s’en prend aux failles de l’instruction, en particulier sur la téléphonie. 475 échanges ont été comptabilisés par les enquêteurs entre Ali Riza Polat et Amedy Coulibaly durant la période préparatoire aux attentats. 475 échanges dont on ne connaît pas le contenu. "Cela représente quatre SMS par jour. Permettez-moi de vous dire que pour des trentenaires, ce n’est rien. (...) Ce dossier est symptomatique d’un travail de la police qui revient à utiliser et faire parler des indices dans un sens qui arrangerait l’accusation”, déplore-t-il, rappelant que son client n’a, en outre, jamais rencontré les frères Kouachi.
"Monsieur Polat n’est pas le grand organisateur, n’est pas le secrétaire ou le bras droit de Coulibaly. Ce n'est pas lui qui fixe les rendez-vous, soutient Me Van Rie. Il serait carrément le logisticien en chef, à en croire l'accusation, c'est un professionnel, il sait tout."
Revenant sur "les 80 fichiers édifiants" retrouvés sur son ordinateur et attestant de son idéologie radicale, l’avocat souligne qu’il ne s’agissait que d’images enregistrées en "mémoire cache". Celles-ci ont donc été enregistrées involontairement sur l'ordinateur, comme c'est le cas lors d'une visite sur un site pour tout autre internaute.
Enfin, le jeune pénaliste s’appuie sur un rapport du Quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) attestant que l’accusé "ne présente aucune imprégnation idéologique ou radicale. Il ne se projette pas de vivre dans un pays qui applique la charia."
"On a construit une image de monsieur Polat, on l’a imaginé en parfait terroriste. (...) Non monsieur Polat n’est pas un islamiste radical", soutient encore l’avocat, balayant les suspicions d’une possible taqqiya (stratégie consistant à cacher sa radicalisation derrière un comportement modéré).
Ali Riza Polat serait avant tout "victime" de son "soi-disant ami”, Amedy Coulibaly. Reprenant les mots du défenseur de Charlie Hebdo Me Richard Malka, Me Van Rie a conclu sa plaidoirie en demandant aux juges "de faire appliquer le droit", c’est-à-dire d'acquitter Ali Riza Polat. Verdict attendu le 16 décembre.