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Police-Justice

Nice: un ado français s'enfuit de Syrie et finit en prison

Pierre, 17 ans, pris en photo par son père quelques heures après leurs retrouvailles en Turquie, le 22 juin dernier.

Pierre, 17 ans, pris en photo par son père quelques heures après leurs retrouvailles en Turquie, le 22 juin dernier. - -

L'adolescent a pris la fuite du camp où il a vécu durant sept mois, avec les membres d'une branche d'Al-Qaïda. A son retour en France, samedi dernier, il a été mis en examen et écroué. Son père explique son désespoir à BFMTV.com.

Les cheveux coiffés avec du gel, vêtu d'un polo de sport, Pierre (*) ressemble à n'importe quel adolescent de son âge. Mais à 17 ans, il connaît déjà la poussière, le sable de Syrie, et aujourd'hui la case prison. Il est écroué depuis samedi dernier, en détention préventive à Villepinte, mis en examen pour homicide volontaire et association de malfaiteurs terroristes. Rentré de son propre gré en France, en prenant la fuite en pleine nuit du camp jihadiste syrien où il se trouvait, lui hurle son innocence.

Tout commence un jour de novembre dernier. Une lettre est punaisée sur la porte de l'appartement familial, à Nice. Pierre, alors âgé de 16 ans, et son frère Kevin (*), 23 ans, sont partis pour la Syrie. Ses parents sont effondrés, et racontent un "vrai cauchemar".

"On n'a rien vu venir. Ma femme est catholique, moi je suis musulman modéré. Ils n'ont jamais parlé de jihad à la maison", confiait mardi Abdel (*), Français d'origine tunisienne, à BFMTV.com. Il prévient immédiatement la police, qui lui conseille de garder le contact avec ses fils.

"On s'est alors mis à parler très souvent par Facebook. Ils étaient dans un village proche de la frontière turque, dans une brigade d'al-Qaïda, mais ils me disaient de ne pas m'inquiéter." Abdel est fou de désespoir. Vers février, il dit alors sentir un changement chez son plus jeune fils. "J'ai eu l'impression qu'il commençait à réaliser qu'il n'allait pouvoir aider personne là-bas. Il voulait rentrer".

Retrouvailles à l'aube à la frontière

Allocataire du RSA, le père de famille emprunte de l'argent pour acheter un billet pour la Turquie. Il n'a qu'une idée en tête: aider Pierre à fuir la Syrie. Le 21 juin, il arrive à la frontière turco-syrienne. "Je lui ai dit que j'étais là et que je l'attendais. En pleine nuit, il s'est enfui en courant. Il m'a rejoint à l'aube, il était tout sale. On s'est reposés à l'hôtel puis on est repartis pour Nice, avant que ça ne devienne dangereux."

Tous deux s'attendent alors à ce que Pierre soit entendu par les services de renseignement intérieur. Mais ils ne se doutent pas un instant que les agents les attendent directement à l'aéroport. A son arrivée, l'adolescent est placé en garde à vue, une première pour lui. "Dès qu'il m'a vu, au commissariat, il s'est effondré en pleurs", raconte sa mère à BFMTV.com.

"Il n'y a aucune preuve contre lui"

A l'issue de la garde à vue, Pierre est mis en examen. Son avocat, Me Martin Pradel, est scandalisé. "Dans ce dossier, il y a quatre autres mis en examen, tous majeurs. L'un d'eux, que mon jeune client n'a jamais rencontré, s'accuse d'homicide et affirme l'avoir commis en présence de Pierre, avec son concours. Il a un discours totalement incohérent: on ne sait pas qui il a tué, où cela s'est passé, ni quand. Et pourtant, mon client a été mis en examen pour homicide volontaire sur la seule foi de ce témoignage! Ce n'est que de l'addition de présomptions, il n'y a rien de tangible", regrette-t-il.

Selon lui, Pierre s'est rendu naïvement en Syrie, parce qu'il avait été touché par la souffrance d'un peuple. "Il n'y allait pas du tout pour mourir. D'ailleurs, il n'y a pas spécialement été dans un parcours religieux." Me Martel poursuit:"arrivé sur place, comme pour beaucoup d'autres, on leur vole leurs passeports et on les menace. Et quand ces jeunes réussissent à revenir en France, on les place immédiatement en détention sur de simples présomptions. Mais quelqu'un qui part en Syrie en pensant qu'il va pouvoir faire quelque chose n'est pas forcément assoiffé de sang!"

Abdel, son père, ne se remet pas de la situation de son fils. "Je voudrais qu'il soit suivi psychologiquement, qu'on lui apporte une aide! La machine judiciaire ne peut pas broyer un môme de 16 ans qui n'y comprend rien!" L'avocat a fait appel de la détention provisoire. La cour statuera d'ici une quinzaine de jours.

* Les prénoms ont volontairement été changés

Alexandra Gonzalez