Marseille : une psychiatre condamnée pour son patient meurtrier

Danièle Canarelli - -
C‘est une première. Le tribunal correctionnel de Marseille a condamné mardi à un an de prison avec sursis une psychiatre poursuivie pour homicide involontaire après le meurtre commis par l'un de ses patients schizophrène. Le 13 novembre, lors d'un procès inédit très suivi par la profession, le procureur avait requis cette peine contre Danièle Canarelli, 58 ans, médecin à l'hôpital marseillais Edouard-Toulouse.« On a un médecin confronté à une énigme qui ne pose pas de diagnostic », a affirmé le président du tribunal, Fabrice Castoldi, à la lecture du délibéré. « Elle est à l'origine de l'errance du patient, de la fuite de l'établissement puis du passage à l'acte qui a conduit à l'assassinat ».
A l'audience, la psychiatre avait reconnu avoir été confrontée à un « problème de diagnostic », mais nié toute négligence dans le suivi de Joël Gaillard, de son hospitalisation en 2000 à sa fugue en 2004, vingt jours avant qu'il tue à Gap, à coups de hachette, le compagnon octogénaire de sa grand-mère, Germain Trabuc. Un meurtre pour lequel ce patient de 43 ans, atteint d'une psychose schizophrénique à forme « paranoïde », a été jugé irresponsable pénalement.
« Des fautes multiples et caractérisées »
Après ce non-lieu, Michel Trabuc, un des fils de la victime, avait engagé une action contre l'Etat et contre l'hôpital, condamné en 2009 pour défaut de surveillance. Il avait également porté plainte contre tous ceux qui avaient pu faire preuve de négligence.
Dans son ordonnance de renvoi, la juge d'instruction avait souligné « des fautes multiples et caractérisées » de la psychiatre ayant « contribué au passage à l'acte violent de Joël Gaillard », qui avait commis avant le drame plusieurs agressions, dont une tentative d'assassinat.
Il lui était notamment reproché de s'être obstinée « dans ses certificats successifs, à noter l'absence de toute pathologie mentale », « en dépit des conclusions » concordantes de ses confrères. Ce qui l'a finalement « conduite à ne pas soumettre son malade à un traitement approprié » et à lui accorder fin 2003 une sortie à l'essai de longue durée.
Une condamnation « inquiétante »
Le syndicat des psychiatres d'exercice public (Spep) a jugé cette condamnation « inquiétante » pour l’exercice de la profession. Le Dr Angelo Poli, vice-président du Spep, se dit « étonné de cette décision qui ne correspond pas à ce qu'on attendait », regrettant cette désignation « d'un bouc-émissaire ». « Nos patients sont toujours à facettes multiples et l'on peut toujours douter sur la réalité d'un diagnostic », dit-il ajoutant que les points de vue peuvent aussi diverger entre spécialistes.
Un avis partagé par l'avocat de la psychiatre, Me Sylvain Pontier, pour qui cette condamnation risque d’avoir des conséquences aussi les patients : « Si le psychiatre vit dans la crainte d’être poursuivi et condamné par un tribunal correctionnel parce que X jours après qu’il ait pris une décision, son patient commet un acte délictueux en dehors de l’établissement dans lequel il est soigné, cela aura des conséquences très concrète sur l’exercice psychiatrique. C’est-à-dire un durcissement des mesures prises à l’égard des patients, pas dans leur intérêt, mais dans un but de protection du médecin ».