Marseille plus dangereuse que Bagdad? Pourquoi il faut se méfier du classement sur la sécurité des villes

C'est un classement qui a été massivement relayé ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Et pour cause, il dresse un constat sans appel: les villes françaises, Brest, Nantes et Marseille en tête, feraient partie des plus dangereuses d'Europe. Pire, la France serait même une bien mauvaise élève au niveau mondial sur la question de la sécurité, placée "entre le Mexique et l'Afrique du Sud" et Nantes et Marseille seraient ainsi plus dangereuses que Bagdad, Tripoli ou encore Lagos.
Dans un article publié le 23 septembre, Le Figaro s'est fait le relais de cette tendance, avec une infographie classant les pays en fonction de leur "indice de sécurité moyen". Un tableau relayé par plusieurs personnalités politiques, dont David Lisnard, maire LR de Cannes, et président de l’Association des maires de France.
Problème: cet article du Figaro, tout comme les nombreuses publications qui estiment que "onze villes françaises comme Nantes, Marseille, Nice ou Paris, figureraient parmi les quinze premières places des plus criminelles d'Europe", se basent toutes sur les données de Numbeo.com. Un site autoproclamé "plus grande base de données au monde sur les villes et les pays", mais dont la méthodologie de recherche pose sérieusement question.
Avis purement subjectifs
Le Figaro le précise dans son article, les données de Numbéo sont basées "sur le sentiment de sécurité des visiteurs" des villes citées. Et c'est bien là tout le défaut de cette étude, qui ne se fonde que sur des avis subjectifs d'internautes.
"C'est sur la base du volontariat. Ne répondent que ceux qui ont envie de le faire", rappelle Guillaume Farde, consultant sécurité pour BFMTV. "Ceux qui se sentent en sécurité, je ne sais pas s'ils vont beaucoup cliquer".
En réalité, Numbéo établit son classement en faisant remplir aux internautes un bref formulaire, dans lequel il est demandé de donner son avis sur une ville en particulier. Contrairement à ce qu'avance Le Figaro, ce questionnaire n'a pas vocation à faire ressortir le sentiment des visiteurs des villes, mais bien de leurs habitants. Il est d'ailleurs demandé, dès le début du questionnaire, si l'on en est résident ou non. Et par la suite, les questions sont orientées en ce sens:
"Au cours des trois dernières années, diriez-vous que le niveau de criminalité dans votre ville a augmenté, est resté à peu près le même ou a diminué?", est-il notamment demandé.
Mais à aucun moment il n'est demandé d'intégrer la moindre preuve de résidence dans la ville sujette à ce questionnaire. Autrement dit, il est parfaitement possible de donner son avis sur une ville sans ne jamais y avoir été. C'est ensuite en se basant sur les données de ce questionnaire que l'indice de criminalité de Numbéo est généré, entre 0 et 100.
Une méthodologie dont les limites ont déjà été soulignées par le passé. En 2017, un internaute résidant en Suède s'était amusé grâce aux questionnaires de Numbéo à faire passer la petite ville étudiante de Lund comme la plus dangereuse du monde. À force de voter en défaveur de la ville, il avait réussi à démontrer les principaux défauts de ce type d'étude.
Le média de vérification Africa Check avait également pointé en 2021 les limites de Numbéo, lorsque six villes sud-africaines s'étaient retrouvées dans le top 20 des villes les plus dangereuses au monde.
Une comparaison "pas nécessairement pertinente"
En réalité, il est très difficile d'établir des comparaisons entre les villes concernant la criminalité. Si des études sur l'insécurité sont publiées par Eurostat, l'Office statistique de l'Union européenne, il est bien précisé que "la comparaison directe des chiffres de la criminalité entre les pays n'est pas nécessairement pertinente ou valable: elle peut mener à des déductions trompeuses ou des conclusions erronées".
"En effet, les systèmes de justice pénale, les définitions des délits et les statistiques sur la criminalité peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre", peut-on lire.
Pour comparer la criminalité entre plusieurs villes, il faudrait en réalité se concentrer sur certains critères bien spécifiques, comme les cambriolages ou les homicides par exemple.
"Le taux d'homicide pour 100.000 habitants en France est d'1,4, il a été divisé par deux en 30 ans. Il est de 19 au Mexique et de 12 aux Philippines", nuance donc Guillaume Farde pour BFMTV.
Comme le rappelle l'AFP, il existe bien certains classements qui se sont lancés le défi de comparer la sûreté des villes. Le journal britannique The Economist, publie par exemple son "Safe City Index".
Pour l'établir, le journal prend en compte pas moins de 76 indicateurs internationaux sur la santé, l'espérance et la qualité de vie. Et contrairement aux chiffres de Numbéo, il ne se base pas uniquement sur le ressenti de certains internautes volontaires.