Les policiers saluent l'enquête sur leurs conditions de travail mais craignent qu'on mette "un pansement sur un cancer"

Le rapport des parlementaires relève des conditions de travail "déplorables" pour les policiers. - AFP
Un sentiment d'abandon, des conditions de travail jugées déplorables: le rapport remis publiquement ce mercredi par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale dresse un tableau sans concession des conditions de travail des forces de l'ordre. Manque de moyens, inadéquation de ces derniers avec les missions confiées aux policiers, gendarmes ou personnels pénitentiaires, locaux et véhicules délabrés, procédures administratives trop lourdes ou encore tâches indues, la situation est critique.
"Pour ce qui concerne la sécurité publique, c'est-à-dire les policiers sur le terrain, au contact de la population, qui font la majeure partie des interventions, ils sont dans des conditions qu’il faut améliorer de toute urgence", note Jean-Michel Fauvergue, député LaREM de Seine-et-Marne et co-auteur du rapport.
Le député Fauvergue, ancien patron du Raid pendant 4 ans, dit n'avoir "rien découvert" pendant ces cinq mois de travail pour arriver à ce rapport. "C’est une situation qui dure depuis des dizaines et des dizaines d’années, estime l'élu de la majorité. C’est une situation qui dégénère, parce que dans le budget de la police, 87% du budget est consacré à la rémunération des fonctionnaires, 83% dans la gendarmerie." Il reste alors peu d'argent pour financer d'autres investissements. Sa solution est alors de lancer "un plan de programmation" financé dans le cadre d'une loi de programmation déjà annoncée et qui pourrait être discutée dès l'an prochain.
Propositions concrètes
En clair, le rapport estime qu'il est nécessaire notamment d'évaluer les besoins immobiliers pour des commissariats dont un sur quatre est vétuste en France. Le but est de chiffrer afin de pouvoir prévoir le budget, tandis que les auteurs jugent que 720 sites auraient besoin d’un programme de réhabilitation important. Les députés citent notamment celui de Fontainebleau, où un mur du parking des voitures des policiers s’est effondré, un autre mur menace de le faire, et où le risque de chute de pierres a entraîné la condamnation de vestiaires. Des infiltrations dans les bureaux ont également été décelées. Il propose également de poursuivre le rajeunissement du parc de véhicules, et ce malgré un "effort de renouvellement" ces derniers mois.
Loin des dépenses coûteuses, d'autres demandes formulées pourraient être facilement mises en oeuvre afin d'améliorer le travail des policiers et gendarmes. Les auteurs du rapport évoquent la possibilité de sanctionner certaines infractions, qui jusqu'alors conduisaient à un procès, par une amende forfaitaire. Cela permettrait aux policiers et gendarmes de se libérer de ces heures de procédure, les fameuses tâches indues largement décriées. Il propose également d'augmenter les escadrons de gendarmes mobiles de 10 membres. Si cela coûterait 32 millions d'euros, la mesure aurait un effet bénéfique immédiat pour les conditions de travail des forces mobiles, qui verraient leur rotation horaire allégée.
"Un pansement"
Le rapport est pourtant loin de convaincre. "On met un pansement sur un cancer", souffle un policier. Pour Jean-Pierre Colombiès, de l'union des policiers nationaux indépendants, les propositions évoquées sont envisageables sur le moyen ou long terme et manquent d'effets immédiats. "Je n’entends pas parler d’un coup de balai, un coup de serpillère, qui manque bien cruellement dans un certain nombre de services", ironise-t-il, tandis que certains commissariats doivent faire face à une invasion de punaises de lit ou que des cas de légionelle sont apparus dans certains cantonnement de la région parisienne. Ces travaux ou ces réhabilitations pourraient être envisagés avec le recours à des partenariats avec les villes ou même des entreprises privées, estime Jean-Pierre Colombiès.
"Il y a (des choses) à prendre et à laisser", tranche pour sa part Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat Unité SGP-FO. Là où le rapport évoque la mutualisation de certains services, la syndicaliste y voit la réduction de moyens avec la fermeture prévisible de certains commissariats. Elle estime également nécessaire de décentraliser les prises de décisions et d'inclure d'avantage les officiers dans les discussions. Mais les policiers redoutent surtout que ce rapport ne soit qu'un énième document qui viendra rejoindre la pile de tous les rapports déjà réalisés sur les conditions de travail des forces de l'ordre. Car la situation n'a rien de nouveau, pour exemple, il y a deux ans, les policiers avaient lancé un concours de photos pour dénoncer la vétusté de leurs locaux et équipements.
"Ce rapport sera la pierre angulaire du livre blanc annoncé par le gouvernement sur ce sujet, et les parlementaires seront attentifs à ce livre blanc. Comptez sur nous pour pousser les choses de cette manière-là", promet Jean-Pierre Fauvergue.